PARTENARIAT STRATÉGIQUE AVEC LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
«Ni un mal absolu, ni un bien absolu»
Entretien réalisé par Mokhtar Benzaki
Le Soir d’Algérie : Revenons aux grandes questions liées à la politique régionale. Comment s’ordonnent les positions respectives des Etats-Unis d’Amérique et de l’Algérie ?
MCM : Limitons-nous à trois questions essentielles. La sécurité et la stabilité du Sahel, le conflit du Sahara occidental et, enfin, la réalisation d’un marché économique maghrébin. Nous pourrions, in fine, examiner le processus de paix au Proche- Orient. Ce sont des questions diplomatiques où l’Algérie pourrait jouer un rôle.
A propos du conflit du Sahara occidental, Mme Hillary Clinton s’est alignée, quasiment, sur la position marocaine en déclarant que le projet d’autonomie du Sahara occidental était «une solution sérieuse, réaliste et crédible ». Le président Abdelaziz Bouteflika, pour sa part, s’en tient, pour le moment, à la position traditionnelle de l’Algérie qui pose comme préalable à toute solution au conflit, un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Malgré la concertation permanente entre l’Algérie et les Etats-Unis d’Amérique sur la question, les perspectives d’un dénouement rapide de ce conflit ne sont pas — tant s’en faut — évidentes. Est ce la persistance de ce conflit qui bloque la construction du Maghreb et, partant, la réalisation de ce marché économique magrébin tant attendu côté américain ? Rappelons que le PIB global des pays du Maghreb s’élève à 380 milliards de dollars pour 90 millions d’habitants et un taux dérisoire de 2% pour les échanges sont intermaghrébins. Conscients de cette opportunité, les Etats-Unis d’Amérique avaient tenté, dès 1998, de favoriser la mise en place d’un cadre multilatéral ou s’intégreraient leurs relations avec les pays maghrébins. C’est en cette circonstance que vit le jour la fameuse initiative Eisenstadt, du nom du sous-secrétaire d’Etat au commerce américain. Il s’agissait de relier entre eux les trois pays maghrébins majeurs, Algérie, Maroc et Tunisie — à travers des projets d’échanges commerciaux communs avec les Etats-Unis d’Amérique. La mise en œuvre de cette initiative américaine impliquait, nécessairement, la suppression des bannières douanières et l’assainissement des relations bilatérales entre l’Algérie et le Maroc. Aucune avancée substantielle n’a été effectuée sur ces deux plans, même si les Etats-Unis d’Amérique font pression systématiquement pour une réouverture rapide de la frontière algéro-marocaine. Comme le processus de paix au Proche- Orient est bloqué, l’Algérie est exemptée de devoir y contribuer. Bien que son aura diplomatique ne soit plus celle d’antan, pourtant, l’Algérie, ayant été le soutien emblématique de la cause palestinienne, était créditée de la capacité d’influer sur l’opinion publique arabe. S’étant placée en retrait par rapport à cette cause considérée auparavant «sacrée», l’Algérie s’est, de facto, disqualifiée pour jouer le rôle qui en était espéré. Nous avons vu, par exemple, se chevaucher les positions de M. Abdelkader Hadjar, ambassadeur auprès de la Ligue arabe plutôt hostile aux thèses américaines sur la question et celles du ministère des Affaires étrangères soucieux de ne pas heurter frontalement les Etats-Unis d’Amérique. Le plus significatif, pour illustrer l’ambivalence de la position algérienne sur cette question, consiste, certainement, à relever que M. Abdelaziz Bouteflika, véritable chef de la diplomatie algérienne, laisse, volontiers, persister l’ambiguïté…
Existe-t-il une convergence diplomatique entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Algérie ?
Si vous voulez faire allusion à un statut d’allié stratégique pour l’Algérie, nous en sommes loin. Un statut d’allié stratégique, à l’image de celui dont bénéficie le Maroc, implique des engagements internes et externes. L’Algérie refuse de se plier à cette contrainte. Une politique de rapprochement stratégique avec les Etats-Unis d’Amérique se fonde sur une cohérence globale impliquant un équilibre entre les facteurs internes et les facteurs externes. Je me souviens, de ce point de vue, de la discussion que j’ai eue avec l’ambassadeur américain à Alger, M. Cameron Hume, dans les années 1980. J’entrepris de recueillir son avis, en effet, sur l’article publié par la célèbre revue américaine Foreign Affairs à propos du statut qui aurait été celui de l’Algérie comme «Etatpivot de la politique extérieure américaine». M. Cameron Hume jugea l’affirmation sans fondement en me répondant avec une franchise hilarante : «L’article de Foreign Affairs? Des spéculations d’académiciens !» Il poursuivit, alors, «L’Algérie n’est pas un Etat-pivot de la politique extérieure américaine. Elle peut le devenir à condition qu’elle en verse le prix». Il existe une convergence d’intérêts qui lie l’Algérie aux Etats-Unis d’Amérique en matière de lutte contre le terrorisme mais qui ne préjuge en rien des positions respectives des deux pays sur les grandes questions diplomatiques. Et pour cause, à bien des égards, la diplomatie algérienne en est encore à l’heure de la guerre froide. M. Abdelaziz Bouteflika a bien déclaré, en 2008, au général William Ward, commandant de l’Africom : «L’Algérie souhaite être un partenaire stratégique pas un adversaire des Etats-Unis d’Amérique.» Cela semble avoir été un vœu plus qu’un engagement. Ce constat est révélateur des incertitudes qui peuvent entourer le dialogue stratégique algéro-américain lequel pourrait juste servir d’alibi pour enrober les impératifs de la coopération sécuritaire.
C’est en raison de cette coopération sécuritaire que le régime algérien continue de bénéficier des faveurs des Etats- Unis d’Amérique, voire d’autres pays occidentaux, comme la France ?
Vous parlez des faveurs des puissances occidentales comme si celles-ci bâtissaient leurs politiques étrangères sur la base de considérations sentimentales. Encore une fois, c’est l’impératif de défense de leurs intérêts vitaux qui détermine les politiques étrangères de ces puissances. Nous avons examiné les centres d’intérêt qui retiennent l’attention des Etats-Unis d’Amérique en Algérie. La France partage les mêmes centres d’intérêt mais élargis, cependant, à d’autres domaines. En raison de la proximité géographique, de l’héritage historique et d’une certaine communauté linguistique. Pour les Etats-Unis d’Amérique, la coopération sécuritaire, en effet, est essentielle. Autant la feuille de route stratégique américaine pour l’Algérie peut être, plus ou moins, décryptée, autant celle de la France – l’Union européenne étant à la traîne – reste ambiguë. Quelle est la politique arabe, méditerranéenne ou africaine de la France ? L’héritage gaullien semble avoir été si peu préservé. Dans le cas de l’Algérie, c’est l’accessoire qui transparaît à travers une feuille de route trop marquée par une propension morbide à vouloir tout focaliser sur des objectifs mercantiles. Cette préoccupation ressort, clairement, dans le câble diplomatique révélé par Wikileaks portant sur l’échange intervenu, en janvier 2008, entre les ambassadeurs français — François Bajolet — et américain — Robert Ford — à Alger. L’échange ayant pour objet le troisième mandat de M. Abdelaziz Bouteflika, l’ambassadeur français, après avoir insisté sur l’absence d’alternative à cette réélection, précisait, aussitôt, que, de toute manière, l’intérêt stratégique de la France en Algérie portait sur «la stabilité économique et la croissance». Il faut espérer, pour la France aujourd’hui, que M. François Hollande apporte à la politique algérienne de son pays les inflexions majeures qu’il faut. D’essence stratégique, naturellement.
Cette tournure de l’entretien nous conduit, justement, à comparer l’expertise des Etats-Unis d’Amérique et de la France pour ce qui concerne l’Algérie. L’expertise française sur l’Algérie continue-t-elle, à ce propos, d’imprégner la perception américaine ?
L’influence française sur la perception américaine de la situation en Algérie semble, désormais, moins forte. L’expertise française était, largement, mise à contribution comme source de documentation académique, voire comme outil de référence pour la prise de décision politique. L’expertise française présente l’inconvénient de recourir à un prisme déformant, celui de l’héritage colonial qui altère l’objectivité de l’analyse scientifique. L’expertise française recourt, fréquemment, à des prénotions qui comportent un jugement dévalorisant sur la société algérienne. Les Etats- Unis d’Amérique, prémunis contre ce syndrome colonial, développent une approche moins idéologique, plutôt empirique, qui permet d’éviter les écueils que rencontre l’expertise française. Les Etats-Unis d’Amérique s’appuient pour l’évaluation de la situation en Algérie, sur les câbles diplomatiques, les rapports de renseignement – lors de la décennie noire jusqu’en 2000, ce sont, il est vrai, les services de renseignement français qui ont alimenté leurs homologues américains – et les études élaborées par les think tanks. Il existe, désormais, aux Etats-Unis d’Amérique de nombreux lieux de réflexion et d’analyse dédiés, spécialement, au monde arabe et musulman en général. Certains de ces centres de réflexion s’intéressent, de manière plus marquée, au Maghreb et à l’Algérie. Il serait fastidieux d’énumérer la liste de ces centres et de ces experts que le professeur William Quandt a eu l’amabilité de mettre à notre disposition. Signalons, cependant, «The American Institute for Maghrebian Studies (AIMS)», fondé en 1984 et regroupant les experts américains ou maghrébins. AIMS qui publie Journal of North African Studies dispose d’antennes implantées à Tanger (TALIM), Tunis (CEMAT) et Oran (CEMA).
En somme, les Etats-Unis d’Amérique disposent, désormais, de canaux d’information indépendants des réseaux français ?
Eloignons-nous, un moment, de l’aspect doctrinal et conceptuel de l’expertise américaine sur la société algérienne. C’est avec amusement, à cet égard, que j’ai lu sur la toile que des bloggeurs critiquaient la composition de la délégation des représentants de la société civile qui ont eu à rencontrer Mme Hillary Clinton lors de sa visite de février dernier à Alger. Lesdits bloggeurs reprochaient à la responsable américaine d’établir des contacts avec «une société civile pro-américaine», au sens d’élite artificielle coupée des profondeurs de la société algérienne. Comme si l’ambassade des Etats- Unis à Alger pouvait commettre, par manque de perspicacité, pareil impair. Il est probable que la composition restrictive de la délégation reçue par Mme Hillary Clinton avait, effectivement, les apparences d’une élite BCBG. Ce serait se méprendre sur le degré de connaissance des profondeurs de la société algérienne par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Alger. Contrairement à l’ambassade de France dont le réseau de relations se confine — en règle générale — à l’élite francophone, l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique prospecte large, notamment au sein des élites anglophone et arabophone. L’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Alger est plus à l’écoute des pulsions du pays profond. Elle entretient, par exemple, un contact, dynamique et permanent, avec les quartiers populaires et insalubres de la capitale, où elle recrute personnels contractuels et vacataires.
Vous semblez suggérer qu’il existe une face cachée de la politique américaine vis-à-vis de l’Algérie ?
Tout naturellement. Imaginer que les Etats-Unis d’Amérique se contentent des rapports officiels entretenus avec l’Algérie, c’est de la candeur. Les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent faire autrement que de se préparer à un bouleversement probable de la situation politique en Algérie. Sans qu’il ne s’agisse, forcément, de précipiter ce bouleversement. Mais, pour verser dans le cynisme, disons que si le coup de pouce à cette évolution devenait nécessaire, il existe le fameux modèle de «Révolution pacifique» conçu par l’Américain Gene Sharpe, auteur de l’ouvrage de référence From Dictator Schip to Democratie. Un modèle largement expérimenté dans les pays de l’Europe orientale. Ce modèle comporte trois moments privilégiés. Premier moment, une campagne intensive de déstabilisation psychologique de l’autocrate ciblé et de son entourage. Deuxième moment, une action soutenue de sensibilisation en direction des élites politiques, sociales et culturelles du pays considéré. Troisième moment, la mise en œuvre d’un plan de contacts avec les chefs militaires et les responsables des services de sécurité de ce même pays pour les convaincre d’adopter, pour le moins, une attitude de neutralité face à une éventuelle «Révolution pacifique». Cela implique une immersion tous azimuts au sein de la société. Avec des applications qui varient selon les contextes spécifiques. Il est difficile d’imaginer, en effet, qu’une grande puissance comme les Etats-Unis d’Amérique allait se suffire, en Algérie, de diplomatie apparente. Il est normal que les Etats-Unis d’Amérique essayent de devancer les évènements pour en prendre, préventivement, le contrôle. A plus forte raison lorsque la préservation des intérêts américains, dans le pays considéré, l’exige.
Vous avez affirmé que le président Abdelaziz Bouteflika était redevable aux Etats-Unis d’Amérique pour sa réélection en 2004. Pouvez-vous étayer cette affirmation ?
Replongeons-nous dans le contexte d’époque, celui de 2004. Le président George Bush, qui venait de lancer le projet dit de «démocratisation du Grand-Proche- Orient», avait rencontré de vives résistances auprès de régimes potentiellement visés, ceux de l’Arabie saoudite, de l’Egypte et de la Tunisie. Ces pays-là assimilaient le projet américain à une ingérence dans leur souveraineté nationale. La réaction américaine fut prompte puisqu’il fut décidé de différer, temporairement, la mise en œuvre de ce projet. En Algérie, paradoxalement, l’élection de M. Ali Benflis, principal concurrent de M. Abdelaziz Bouteflika, présentait, dan ledit contexte, l’inconvénient de pouvoir constituer l’exemple d’une ouverture démocratique réussie dans un pays arabe autocratique. De l’élection éventuelle de M. Ali Benflis, pouvait résulter, alors, un effet d’entraînement sur le monde arabe qui aurait forcé la main aux Etats-Unis d’Amérique. Cette solution était d’autant moins acceptable que le président Abdelaziz Bouteflika semblait offrir, par rapport aux intérêts américains, des engagements avec de sérieuses garanties.
De quels engagements s’agit-il ?
Libéralisation de la législation des hydrocarbures, dénouement rapide du conflit du Sahara occidental et, enfin, participation déterminée au processus de paix au Proche-Orient lequel passe par la normalisation des relations avec Israël. Vous allez me contraindre à me livrer à des répétitions, ces engagements ayant déjà été examinés au cours de cet entretien. Mais pour l’utilité pédagogique, répétons-nous. A propos de la loi sur les hydrocarbures, M. Abdelaziz Bouteflika, après avoir tenu l’engagement de libéralisation, a fini, face à une forte pression interne, par se raviser. Tant que la manne financière que procure la vente des hydrocarbures met les pouvoirs publics à l’abri des pressions externes, le statu quo actuel pourra être préservé. A propos du conflit du Sahara occidental, quoi que puisse avoir été la volonté M. Abdelaziz Bouteflika de favoriser le dénouement de ce différend, il a dû reculer, probablement, devant la résistance de l’institution militaire, particulièrement des services de renseignement. Force est de constater, cependant, que l’activisme diplomatique traditionnel au profit de l’indépendance du Sahara occidental s’est dissipé. Sur le troisième point, le processus de paix au Proche-Orient, M. Abdelaziz Bouteflika, sans prendre d’initiative majeure, a gelé, de fait, les relations chaleureuses qui existaient entre l’Algérie et la résistance palestinienne. Pour s’être abstenu de trop s’aventurer sur ce terrain, peut-être a-t-il mesuré l’hostilité de l’opinion publique nationale pour tout rapprochement avec Israël ?
Revenons à votre argumentaire sur la place de l’Algérie dans l’agenda des priorités américaines. Pourquoi le changement de régime en Algérie ne serait pas une priorité dans cet agenda ?
Les Etats-Unis d’Amérique ne pourraient, totalement, occulter la situation actuelle en Algérie. C’est certain. Ils ont conscience du potentiel d’exaspération de la population aussi bien que de l’état d’obsolescence du régime. Simplement, les Etats-Unis d’Amérique sont focalisés, et pour cause, sur les évènements en cours en Syrie et sur l’évolution des choses en Egypte. Dans le cas de la Syrie, une interférence directe de l’Iran dans la crise qui secoue ce pays pourrait présenter un risque d’embrasement gravissime du champ de théâtre opérationnel que constitue, potentiellement, la zone concernée. Dans le cas de l’Egypte, un casus–belli entre la hiérarchie militaire et les Frères musulmans, majoritaires au Parlement et dans la vie politique nationale, pourrait provoquer une guerre avec Israël qui compromettrait, gravement, la stabilité régionale. Les Etats-Unis d’Amérique qui ne souhaitent pas faire face à plusieurs fronts, simultanément, peuvent-ils se permettre d’ouvrir un autre front au Maghreb, en Algérie, plus précisément, alors que, à proximité, la crise libyenne est loin d’être résorbée ? Improbable. Il apparaît plus urgent pour les Etats-Unis d’Amérique de faire face aux menaces de grave détérioration de la situation sécuritaire dans le Sahel et les pays limitrophes. Car, malgré tout ce qui peut être dit sur le sujet, les Etats-Unis d’Amérique, jusqu’à preuve du contraire, continuent de considérer que l’Algérie est un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme et pour le maintien de la sécurité au Sahel. Ce qui pose problème, c’est moins la nature politique du régime algérien que la réticence de l’Algérie à accepter de se placer dans le mécanisme de sécurité régionale que veulent instaurer les Etats- Unis d’Amérique. Oui, dans la problématique des relations algéro-américaines, c’est, actuellement, le paradigme sécuritaire qui domine. Manière détournée de dire que l’impératif de démocratisation qui constitue, en apparence, le socle du projet du GMO n’est pas l’objectif essentiel dans la démarche américaine. Ce que, avec sa franchise de propos habituelle, précisait l’ancien secrétaire d’Etat américain, Henry Kissinger, ce 1er avril 2012 : «Pour les Etats, la doctrine de l’intervention humanitaire dans les révolutions est soutenable seulement si elle est en adaptation avec le principe de sécurité nationale.»
En somme, vous suggérez que les Etats-Unis d’Amérique feraient preuve de duplicité dans leur démarche vis-à-vis de l’Algérie…
Se peut-il que les Etats-Unis d’Amérique effacent de leur mémoire, avec autant de désinvolture, les péripéties vécues dans les pays arabes qui viennent de subir des bouleversements politiques de portée historique ? Ces pays arabes où de puissants dictateurs ont été chassés du pouvoir ? A priori, même si les autorités algériennes se montraient complaisantes sur les questions de politique étrangère, les Etats-Unis d’Amérique ne sauraient leur accorder un blanc seing, en bonne et due forme, pour ce qui concerne la politique interne. Les formules relatives aux progrès démocratiques dans le pays qu’énoncent les responsables officiels américains sont de pure circonstance. Peu importe que les autorités publiques algériennes les interprètent dans un sens extensif. Avez-vous pris la mesure des descriptions faites sur l’état des lieux en Algérie par l’ambassadeur américain Robert Ford ? «Un pays riche et un peuple malheureux.» C’est une formule qui a fait florilège. C’est un réquisitoire implacable contre le régime algérien. Par une formule sibylline dont les diplomates gardent le secret, l’actuel ambassadeur américain à Alger, Henry Ensher, laisse montrer qu’il n’en pense pas moins même si son langage est moins provocateur : «Lorsque nous (les Etats-Unis d’Amérique) enregistrons l’opportunité de changement d’un régime non démocratique vers une réelle démocratie, nous la saisissons pour soutenir cette démocratisation.» Dans le même ordre d’idées, rappelons l’exercice pédagogique, d’apparence amusante, auquel s’est livrée Mme Hillary Clinton lorsqu’elle a reçu les représentants de la société dite civile à l’ambassade américaine à Alger. Elle avait évoqué «un tabouret à trois pieds. Le premier pied, c’est un gouvernement responsable, efficace et qui rend compte à son peuple. Le deuxième pied, c’est un secteur privé dynamique ouvert sur le monde et capable de créer des emplois et des opportunités économiques pour son peuple. Le troisième pied, enfin, la société civile – des personnes comme vous et moi — qui œuvrent à améliorer la vie de leurs compatriotes». Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’elle voulait, implicitement, mettre en relief les retards accumulés par l’Algérie dans la mise en œuvre d’une société vraiment démocratique. La «Real politik» repose, aussi, désormais, sur l’inéluctabilité de l’évolution démocratique des sociétés soumises à des régimes autocratiques.
Quel pronostic pourriez-vous, finalement, formuler à propos de l’évolution des relations algéro-américaines ?
Nous voilà au centre de la problématique du dialogue stratégique algéro-américain. L’Algérie ne peut organiser son avenir en occultant le rôle essentiel que les Etats-Unis d’Amérique jouent sur l’arène internationale, c’est une évidence. Dans le même ordre d’idées, les Etats-Unis d’Amérique ne sauraient négliger le poids, même relatif, de l’Algérie en termes de potentiel économique, de richesses humaines, de rayonnement régional possible et de capacité de support à une politique dynamique de sécurité régionale. Bref, il existe, du côté algérien comme du côté américain, une volonté de consolider les rapports actuels mais, de part et d’autre, également, il existe une certaine raideur. Le meilleur témoignage de cette raideur, côté algérien, c’est le refus, clairement affiché, à recevoir l’Africom sur le territoire algérien. A tenir compte de la fin avérée de la guerre froide et de l’échec consommé du non-alignement, le renforcement des relations algéro-américaines apparaît, néanmoins, comme une perspective incontournable. La perspective de voir les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis d’Amérique se hisser au niveau stratégique, ce n’est ni un mal absolu, ni un bien absolu. Les Etats- Unis d’Amérique, contrairement à l’Algérie, disposent, probablement, d’une feuille de route de portée stratégique. Cette feuille de route subit des adaptations, de manière pragmatique, en fonction de l’évolution de la conjoncture en Algérie. Comment, cependant, pourraient évoluer, à court et moyen terme, les relations algéro-américaines ? Deux scénarios peuvent être envisagés qui constituent, l’un et l’autre, une solution extrême qu’il serait souhaitable de récuser. Premièrement, c’est la solution du raidissement pathologique des autorités algériennes à l’endroit du renforcement de la coopération avec les Etats-Unis d’Amérique, non pas tant pour des considérations idéologiques, que pour ne pas être engagé par un coût politique connexe excessif. Deuxièmement, c’est la solution de la soumission totale des autorités officielles algériennes à l’égard des Etats-Unis d’Amérique, notamment pour ce qui touche aux domaines sécuritaire et diplomatique, soumission qui serait une prime à verser pour garantir une caution internationale au régime en place. C’est entre ces deux solutions qu’il faut prospecter un scénario qui permette l’établissement d’une relation stratégique entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Algérie sans porter atteinte aux intérêts vitaux de l’un ou l’autre pays. Il faudrait, dans ce contexte, que la conduite de la diplomatie algérienne réponde à la défense des intérêts supérieurs de l’Algérie pas à la sauvegarde d’intérêts restreints d’un clan ou d’un pôle de pouvoir. S’il faut céder à l’émotion, rappelons, volontiers, l’envolée du président Joseph Fitzgerald Kennedy ce 2 juin 1961 : «Chers compatriotes américains, ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour lui.» Puisse émerger, dans notre pays, ce leader algérien capable de s’adresser, ainsi, à son peuple : «Un partenariat stratégique algéro-américain est possible, à condition qu’il ne porte pas préjudice aux intérêts vitaux de l’Algérie.»
M. B.
A suivre
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/11/07/article.php?sid=141157&cid=50
7 novembre 2012
Contributions