Culture :
Ce dernier essai de Boudjemaâ Karèche se lit comme on voit un film, on ne se lève que quand on a fini de voir défiler devant nos yeux et la vie et l’œuvre de Mohamed Bouamari, que Boudjemaâ Karèche déroule pour nous à travers les passages du cinéaste à la Cinémathèque d’Alger qui ont duré cinquante ans, nous baladant ainsi de villes en villages, voire de douars en lieux-dits, traversant les montagnes et les mers, voire les océans.
Nous sommes, dès la première ligne-image, saisis et captivés par les personnages nombreux, très nombreux même, connus et anonymes, qui ont été séduits et par le cinéaste et par le cinéma, grâce aux projections de films, suivies de débats que le cinéaste a animés à la Cinémathèque, transmettant ainsi l’amour du cinéma et cultivant le rêve, Boudjemaâ Karèche donne le la, dès l’exégèse de cet essai filmique : «(…) Il n’y a pas de fatalité. Se créer tous les jours pour exister et vivre. Comme il n’y a pas de vie sans rêves, quel bonheur et quelle chance d’avoir vu que le cinéma existe et… Bouamari aussi.» Tout est dit. Le film-essai peut commencer et c’est par la fin qu’il commence, fort, très fort même, en arrachant les larmes des yeux, tout comme au cinéma et en nous tenant en haleine jusqu’à la dernière page-image, plutôt la dernière ligne-photo de cet éloge du cinéma algérien à travers un réalisateur-phare qu’est Mobamed Bouamari. La remémoration et l’évocation de Mobamed Bouamari, par Boudjemaâ Karèche, fait forcément ressurgir différentes époques de l’Algérie, chacune marquée par des personnages haut en couleur, de toutes les nationalités, des quatre coins de la planète, du monde du cinéma, mais pas que, qui ont donné le goût du cinéma et autorisé la transmission de cet art, voire donner corps et forme au cinéma algérien et dont cet essai laisse trace de cette formidable solidarité internationale qui a soutenu la production cinématographique algérienne. Et Boudjemaâ Karèche, qui a dirigé la Cinémathèque algérienne près de cinquante ans, peut en parler de cette production cinématographique, quand bien même il est juriste de formation et dont la vue se décline de jour en jour, il n’en demeure pas moins l’un des plus grands connaisseurs du cinéma algérien. Aussi, L’héritage du charbonnier. Vie et œuvre de Mohamed Bouamaridonne à voir la passion du cinéma et du directeur de la Cinémathèque algérienne et du réalisateur héros de cet essai, où larmes, cris et rires redonnent corps et souffle à des époques épiques, tantôt burlesques, tantôt douloureuses, où le désir de créer, de produire, de montrer et de débattre des films est omniprésent dans chaque page, voire dans chaque ligne. Cette passion du cinéma va pousser et le directeur de la Cinémathèque et le réalisateur à sillonner le pays, y compris dans les villages socialistes, pour projeter, et en plein air, le film Le charbonnier où «(…)toutes les femmes du village étaient sagement assises devant l’écran et nous pûmes constater même quelles s’étaient préparées pour la circonstance… Et la projection commença… L’atmosphère était dense, tant les spectateurs vivaient profondément le film. Pendant la séquence où le charbonnier gifle sa femme par désespoir et misère, Bouamari… aperçut des larmes qui scintillaient… Il ne put retenir les siennes». Pour Boudjemaâ Karèche, «il nous est impossible, pratiquement interdit, de tenter un récit sur la vie et l’œuvre du cinéaste Mohamed Bouamari, sans évoquer son épouse, son actrice, sa complice, Fetouma Ousliha, dont le livre est truffé de ses photos, tantôt seule, tantôt en compagnie de personnages prestigieux du monde de la culture tels Alloula et Ouahid. Parce que la Cinémathèque algérienne était le lieu privilégié de débats, comme en témoigne Wassyla Tamzali dans son livre Education algérienne, en rendant hommage à Boudjemaâ Karèche : «La Cinémathèque a été une bouffée d’oxygène pour beaucoup de personnes, l’espace le plus propice à la pratique de la parole.» Il été dans l’ordre des choses durant les années 1990 où «l’Algérie tout entière… était devenue invivable. A Bordj-Bou-Arréridj… des élus locaux… ont fermé la petite salle de la cinémathèque…». S’il est vrai que Boudjemaâ Karèche a déplié dans le menu détail les obstacles et les entraves que le cinéma algérien a rencontrés tout au long de ces dernières 50 années, il n’a pas manqué de relater de façon très précise. Cela n’a point empêché la passion contagieuse du cinéma, ni l’amour de ce 7e art de se transmettre de génération en génération et la jeune cinéaste Habiba Dhahnine symbolise cette transmission. Elle qui a ému Mohamed Bouamari : «(…)Lorsqu’elle parla du ciné-club qu’elle animait avec sa sœur Nabila, et combien elles ont été aidées par les projections-débats avec et autour du Charbonnier… que Fetouma, représentait pour elle la flamme et l’intelligence de toute femme debout.» Aujourd’hui cette jeune cinéaste réalise des films et transmet à son tour cette passion du cinéma à travers des ateliers ce création de films documentaires et le coffret Béjaïa doc signe cette transmission de la passion du cinéma. L’héritage du charbonnier, le livre filmé est un livre à voir absolument, comme on voit un film
Faïka Medjahed, psychanalyste
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/11/04/article.php?sid=141034&cid=16
7 novembre 2012
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