Voxpopuli : SPÉCIAL 1er NOVEMBRE
Niché au pied de l’immense et majestueuse falaise du «Petit Perdreau», du haut de ses 1 200 m d’altitude, Boudghene, «El Pueblo» domine toute la ville de Tlemcen, en balayant l’horizon nord jusqu’à la Méditerranée.
L’histoire de ce ghetto est passionnante. A Tlemcen, il suffit de demander où se trouve Boudghene et on vous indiquera facilement la direction du plateau de la sainte Lalla-Setti. Au fait, qui ne connaît pas ce quartier populaire qui a tant fait parler de lui. Autrefois, on l’appelait «Grottes Boudghene» (Ghirane Boudghene), c’était sous le temps de l’administration coloniale. Au lendemain de l’indépendance, on lui a trouvé une autre appellation un peu plus sympathique, Boudghene est devenu «le Mexique». Abritant plus de 40 mille âmes et symbolisant tant de misères et l’indécence face aux chics quartiers de Tlemcen, le «Mexique» reste un quartier réservé exclusivement à cette frange de la population fidèle à la tradition du «nif» (l’honneur). Ce quartier des damnés pendant la période coloniale reste le pied-à-terre de tous les exilés fuyant la campagne. Tout le monde se rappelle de l’exode des années 70. Bien que réputé dangereux à l’époque, Boudghene le proscrit accueillait tout le monde. Si aujourd’hui, «le Mexique» présente une façade un peu moderne, à certains endroits, il est resté un véritable musée. Il suffit de s’aventurer dans ses ruelles étroites, de jeter un regard sur les vieux murs délabrés des chaumières datant du siècle dernier pour savoir qu’il y a encore des gens qui vivent à mille lieues du monde civilisé. C’est au début de ce siècle que les premiers gourbis furent construits au pied de Lalla-Setti. Plus tard, ces taudis furent généreusement dotés d’un nom : Boudghene, on lui doit cette appellation grâce à une honorable famille de Tlemcen qui n’est autre que celle du colonel Lotfi, héros de la révolution, tombé au champ d’honneur à Béchar. Dès le début de la Révolution en 1954, Boudghene allait sortir définitivement de l’anonymat et devient le fief imprenable des Fidaïs de la région. L’administration coloniale s’est vite rendu compte que ce quartier allait lui donner du fil à retordre. C’est alors que le tristement célèbre Salinas, chef de SAS, lui consacra tout un programme répressif. Les premiers barbelés encerclent Boudghene dès 1956. Nul ne pouvait entrer ou sortir de ce ghetto révolutionnaire sans être fouillé et fiché par la garde mobile et les «Saliguènes», nom donné au corps expéditionnaire sénégalais. Quartier de jeunes fougueux, rares sont les jeunes qui ont survécu au-delà de leurs 20 ans. Les noms des chahids se murmurent de bouche à oreille contre l’oubli. Les ruelles et derbs sont baptisés par des souvenirs silencieux. Dans l’ex-Tahtaha (el bayada), on a certes érigé une grande mosquée, mais pas l’ombre d’une minuscule stèle à la mémoire de ceux qu’on fusillait à l’aube. Qui a souvenir aujourd’hui de Ouled El Sef, de Nehari, de Fahchouch, de Mohamed Seghir un jeune Marocain tombé les armes à la main à djebel el-Kaddous au printemps de l’année 1960 ? «Ces joueurs de billes» au visage imberbe savaient jouer aussi de la grenade et du 6-35. Ils sont morts avant qu’ils n’eussent leurs 20 ans. En mourant à cet âge, ils ont tenu une promesse, ne pas servir sous le drapeau de la France coloniale. Boudghene, à l’instar de tous les quartiers populaires du pays, a fait offrande de sa jeunesse à la Révolution. Trente ans après l’indépendance, ce quartier populaire est resté le même, fidèle à ses enfants et ses traditions. Certains de ses habitants n’ont jamais quitté les lieux. Ils sont les témoins du passé, comme du présent. Dans les années 70, ce faubourg était désigné comme le fief de la pègre tlemcénienne, réputé dangereux. Nul n’osait s’y aventurer ; ce fut tout simplement de l’intox, car certains voulaient tout simplement raser Boudghene.
C’est Boumediène lui-même qui est intervenu pour sauver ce pan d’histoire
En fait, c’est là une vieille idée chère au colonialisme, car en 1958 les autorités d’occupation avaient projeté la destruction du douar et sa population. Je me souviens de cette journée de deuil dans les années 70, le journal El- Moudjahid annonçant dans ses colonnes que «le faubourg Boudghene sera rasé». Mais c’était sans compter avec la «Rejla» des «mexicains ». Ceux qui convoitaient ce site merveilleux pour implanter de luxueuses villas se sont lourdement trompés. Et c’est le président Houari Boumediène lui-même qui est intervenu pour sauver ce pan d’histoire (on raconte que Boumediène aimait ce plateau dont il gardait beaucoup de souvenirs). Même aujourd’hui, les jeunes sont souvent indexés, ils se sentent frustrés. Pour certains, Boudghene n’a pas changé. Et pourtant, cette population «mexicaine» n’a pas offert que des délinquants à la ville de Tlemcen. Des médecins, des universitaires sont issus de ce ghetto accablé de tous les maux et victime de tant de préjugés. Il est vrai que les choses ont quelque peu changé, depuis que le petit club de football le CR Boudghene a offert une ossature en or au Widad de Tlemcen, Brahimi, le «goléador» du Widad et de l’équipe nationale, est un pur produit de Boudghene. Boudghene reste ce haut lieu de faits d’armes. Il est en quelque sorte La Casbah tlemcénienne. Quelque part sur le plateau des «petits perdreaux», deux grandes dames veillent sur Boudghene. Ces deux saintes, Lalla-Setti et la Sainte Marie (Meriema pour les autochtones) continuent à bercer de leurs regards sacrés et éternels la nouvelle génération de Boudghene qui ignore tout de l’histoire de cette bourgade..
M. Z.
* A la mémoire de mon ami d’enfance Abdelkader Lakermi qui a tant aimé «les brumes de Lalla Setti».
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/10/31/article.php?sid=140874&cid=49
31 octobre 2012
2.Pers. révolutionnaires