Effigies de héros nationaux, statues de combattants et combattantes de l’ALN (Armée de libération nationale) ont été inaugurées, le jeudi 4 octobre 2012, à Tizi-Buiren (col des Lions), à l’entrée du chef-lieu de la commune d’Iferhounene (daïra d’Iferhounene, wilaya de Tizi-Ouzou). C’est vraiment un chef-d’œuvre, d’autant plus que les autorités locales y ont mis la touche nécessaire en y incluant un musée portant la liste nominative de plus de 1 600 chahids de la daïra, gravée sur du marbre, un siège pour l’ONM (Organisation nationale des moudjahidine) et un autre pour les enfants de chouhada.
Des monuments et des stèles, nous en avons vu ailleurs en hommage à ceux qui ont donné leur vie pour que vive l’Algérie. Mais ce qui différencie la belle et magnifique réalisation, objet de notre article, des autres ce sont les symboles dont elle est chargée, symboles inscrits en droite ligne de l’esprit de Novembre 1954, sans lequel le joug colonial français n’aurait jamais été brisé, ni même secoué par les yeux doux des assimilationnistes et les ruades des autres, tempérés par une politique de diversion et de dénaturalisation en douceur, tout en ayant le verbe haut afin de mystifier les militants de la cause nationale. Sans prise de conscience et sans unité, le combat aurait été classé en pertes et profits, comme toutes les insurrections passées, y compris celle du 8 Mai 1945. Ce sont ces deux éléments fondamentaux qui ont présidé à la conduite et à l’achèvement des travaux dont certains voulaient voir un échec total et cuisant. Ce symbole d’unité est d’abord mis en relief à travers les effigies de héros nationaux, sans distinction à base de régionalisme ou d’autres facteurs aussi mesquins que néfastes. A côté de Abane Ramdane, Ali Melah, Cheikh Amar, Mohamed Zaâmoum dit si Salah, figurent Larbi Ben M’hidi, Benboulaïd, Didouche Mourad, Zighoud Youcef, c’est toute la nation qu’on voit à travers leurs portraits. Cette symbolique d’unité va s’élargissant davantage, en ne faisant de distinction ni entre les chouhada et les survivants puisque les portraits du colonel Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Akli Mohand Oulhadj y sont matérialisés, avec la même matière – de la résine — dans la même et identique embrasure de murs construits en pierres taillées. C’est une belle leçon d’histoire à ceux qui, depuis 1962, travaillent dans le sens de la négation et du reniement des vrais combattants qui ont survécu à la guerre de Libération, soulignant par manœuvre et mauvaise foi que l’indépendance n’est acquise que par «le sang des chouhada». Ces fabulations honteuses et invraisemblables ne sont fomentées que dans le prolongement du slogan de populisme rentier : lancé par les tenants du pouvoir, en 1962, «un seul héros : le peuple», pour détacher ce dernier des combattants du FLN/ALN dont il a vu et vécu en communion, le courage et l’abnégation. Si tous les combattants étaient anéantis, en totalité, la France coloniale n’aurait pas à négocier. Si les chouhada sont connus aujourd’hui, si le sang n’a pas été versé en vain, c’est parce que des hommes et des femmes ont continué le combat jusqu’à la victoire finale et tenu à leur serment de libérer le pays ou de les rejoindre dans l’Au-delà. A ceux qui veulent pulvériser la société et diviser les combattants FLN/ALN, tombés au champ d’honneur ou ayant survécu à la guerre, nous leur disons «Faqou», car il n’y a pas les uns d’un côté et les autres de l’autre. Nul n’a signé de contrat avec le Bon Dieu et ne savait «si la balle était destinée pour mon compagnon ou pour moi» comme l’avait composé et chanté Laimeche Ali, maquisard en 1945 natif de Chéraïoua (Tizi-Rached), village d’origine des deux cheikhs Seddik Benarab, chef de la résistance entre 1830 et 1870, et de si Moh Oum’Hand, le poète errant, contemporain de cheikh Mohand Ouelhoucine. Quant au monument lui-même servant de piédestal aux statues d’un combattant et d’une combattante, il scelle la symbolique de l’unité, en lui conférant une troisième dimension, rendant hommage, sans distinction, aux hommes et aux femmes qui s’étaient dépensés, corps et âme, pour le recouvrement de la souveraineté nationale. Faire fi du combat de la femme, pour quelque motif que ce soit, est une aberration et une hérésie d’autant plus qu’elle a prouvé sa détermination à s’élever aux lumières de la connaissance et au savoir pour peu que l’on y mette de la qualité en dehors de toute idéologie. La statue de combattante représente à la fois Tin-Hinan, Dihya (Kahina), Lalla Fatma N’soumer, les deux chahidate de Tizi- Guefres qui ont creusé leur tombe avant leur assassinat, Raymonde Peschard et toutes celles qui sont tombées sous les balles de «la civilisation française» ou qui ont survécu et mené le combat jusqu’à la victoire finale dont les prénoms se mêlent et s’entrecroisent, Sekoura, Chabha, Koula, Aïni, Zaïna, Ghenima, Ouzna ou Fazia qui portaient à leur actif l’enlèvement de 28 postes militaires ennemis, en Wilaya III historique, avec leurs frères maquisards de l’ALN. Tout ce magnifique faisceau de symboles d’unité a été couronné par une foule immense et compacte d’anciens compagnons de lutte, de citoyens et de responsables dépositaires de l’autorité de l’Etat, venus de nombreux coins d’Algérie : Tizi-Ouzou, Alger, Béjaïa, Bouira, etc. Mais au-delà de la symbolique ellemême, cet ensemble historico-artistique constitue un jalon indéniable de l’écriture de l’histoire de la région d’Iferhounen qui faisait partie du secteur 1, Région 1, Zone 3 de la Wilaya III, d’une façon particulière et du pays d’une façon générale. Le choix du terrain d’implantation n’est pas fortuit. Il résulte de la convergence d’un certain nombre de faits marquants durant l’invasion française et la guerre de Libération. Toponymie et histoire s’entrelacent en symbiose et placent cette région montagneuse au cœur de notre passé récent et lointain. Avec Illula Umalu, le chahid de la guerre que nous avons livré à la France coloniale, dépasse les 2 500. Déjà, l’étymologie des termes «Tizi- Buiren» ou «col des Lions» nous donne, quelque peu, une idée de ce que les lieux pouvaient représenter, au propre et au figuré. En outre, à quelques lieux se situe le col de Chellata où s’étaient concertés, pendant un certain temps, au XVIe siècle de l’année grégorienne, quatre savants de la foi, pour la précipitation de l’effondrement du royaume de Koukou, tenu par les Belkadi d’Aourir Ath Ghobri. Il s’agit de Sidi M’Hand Oudriss, Sidi Abderrahmane El-Iluli, Sidi M’Hand Umalek et Sidi Mansour. D’ailleurs, ce dernier sera à l’origine de la mort, en 1618, du dernier roi de la dynastie, à savoir si Ahmed Ath-El- Kadi à qui une délégation de notables a demandé d’acquérir une femelle à l’éléphant qu’il avait déjà et qui leur faisait énormément de dégâts, contrairement à leurs vœux d’élimination du pachyderme. Vers l’ouest, à 3 km, se situe Thachekirth où les moussebline de Boubaghla et Lalla Fatma N’Soumeur ont fait subir, en 1854, une défaite mémorable à l’armée française, lors de sa quatorzième expédition en Haute- Kabylie. Ce ne sera que le 10 juillet 1857 que le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie, occupera le mont Timezguida qui surplombe le col des Lions. De là, il dirigera ses trois divisions, sous l’autorité des généraux Yusuf, Renault et Mac-Mahon, en coordination de celle venue de l’Est (Constantinois) pour la prise d’assaut de toute la région, capturant Lalla Fatma N’Soumeur et deux cents de ses combattants et combattantes au village Aït-Atsou d’Illilten. Cette dernière sera confiée à la division du général Yusuf qui la conduira dans la plaine de Beni Sliman, avec des arrêts et pauses, assez durables, à Fort- Napoléon (devenu Fort-National, avec la Commune de Paris et l’avènement de la IIIe République, et Larbaâ-Nath-Irathen, à l’indépendance) et aux Issers pendant 40 jours. Par ailleurs, durant la guerre de Libération nationale et du 22 juillet 1959 à la fin de la même année, à quelques encablures à l’est, le général Challe a installé son PC (poste de commandement) dénommé Artots entre le col de Chellata et le mont Azru N’Thur, pour diriger l’opération «Jumelles» qui durera six mois, sous le patronage direct du général de Gaulle qui visitera la région pour ragaillardir et donner du souffle à ses troupes lors de la «tournée des popotes», se déplaçant par «Alouette» de PC en caserne et en poste avancé. La région avait reçu un coup très dur, mais n’a cédé en rien de sa combativité héroïque. Avec les pertes humaines se chiffrant aux deux tiers des effectifs (plus de 8 000/plus de 12 000), la Wilaya III historique s’adaptera aux nouvelles conditions de lutte, notamment en faisant appel aux femmes et en scindant ses unités en petits groupes. Nous saurons par la suite que l’opération «Jumelles» a été déclenchée sur demande officielle du Conseil général du département de la Grande-Kabylie, sous la houlette du général Faure, du député-maire d’Agouni- Gueghrane Azem Ouali et du président du Conseil général Marcellin, lors de sa session de janvier 1959 (voir annexe tirée du Recueil des actes administratifs). C’est dans le cadre de cette nouvelle stratégie qu’un groupe de moudjahidine a eu raison du prince François d’Orléans, fils du comte de Paris, lors d’une sortie, à la tête d’une section militaire française, — il avait le grade de sous-lieutenant — le 11 octobre 1960, au village Taourirt N’Ali Ounaceur, à quelques coudées de Tizi-Buïren. Cela s’opérera bien après les batailles mémorables d’Ibelkissen un certain 11 août 1956 où cheikh Amar, en partance pour le Congrès de la Soummam, tombera en héros, de Tifilkuts, d’Azru «Bazoka» ou le bombardement et la destruction des villages de Tizit et de Bécheur. Je ne termine pas sans dire que ce monument constitue un jalon dans l’écriture de l’histoire de notre pays que certains veulent, à tout prix, enterrer. Ceux-là travaillent dans le même sens voulu par l’ancienne puissance coloniale qui essaie d’inculquer, dans les esprits, que la marche vers l’indépendance était inéluctable et que le FLN historique aurait pu faire l’économie de centaines de milliers de vies d’Algériens et d’Algériennes s’il avait suivi la politique de Messali Hadj. De telles sornettes et propos fallacieux ne tiennent plus la route. Mais, faut-il, encore, se mettre sérieusement à l’ouvrage, pour l’enseignement de l’histoire réelle dans notre système éducatif. Et c’est en prenant conscience, de façon aiguë, que nos jeunes générations sauront défendre, becs et crocs dehors, le pays de leurs aïeux, qui leur est légué en héritage.
31 octobre 2012
Histoire