Comme un album de famille, une série de photos sous cellophane : le livre national de l’année. On le prend et on regarde : premières pages, Janvier. Photos d’Algériens sous la neige et article sur la crise du gaz butane. La Kabylie souffre. Autant que, El Bayadh d’ailleurs.
Février, des rumeurs sur Bouteflika. Un ministre annonce un partenariat avec des Suédois, dix neufs Algériens meurent dans un accident et le ministre des pneus annonce des contrôles sur les contrôles des contrôles techniques. Mars : Ould Kabila annonce de nouveaux partis agréés. Le projet d’un parti par algérien se concrétise et avance bien. Moins vite que l’usine Renault à Oran. Avril : la contrebande. Comme chaque année on va en parler, réunir les chiffres puis les disperser. Une pénurie avec sa solution directe: pétrole contre pomme de terre. Des rumeurs aussi sur la santé de Bouteflika, sa mort, son retour et son mandat. Mai : échanges d’éditos scabreux entre des journaux algériens et des journaux marocains. Guerre de sable mais grain par grain. Un algérien s’immole mais cela fait moins de feu qu’une allumette qui craque. Le syndicat des travailleurs du travail menacent de marcher sur Alger. Sortie d’une nouvelle promotion de policiers sous le nom « promotion Chadli ». Le nom fait polémique. Il était destiné à un aéroport mais il n’en reste plus. Des émeutes éclatent à Sidi-Dinar. Mort de l’un des colonels de la wilaya huit. Enterrement officiel. Polémique sur l’écriture de l’histoire algérienne. Juin : Le ramadan en bande-annonce. Une famine « dont vous êtes le héros ». L’Etat cherche de la viande dans le monde. Un peuple qui ne mange pas, vous mange. Bouteflika apparait pour la seconde fois de l’année, assis à coté d’un ambassadeur. Il est vivant. Juillet : la guerre et la canine. Une association annonce le début du ramadan un samedi, la commission NASA des Affaires religieuses dit dimanche. Polémique puis tassement. Cap sur le vêtement et le pain. Polémique sur les prix, l’inflation, la hausse des prix, la baisse de dignité, la violence. Août : les immigrés. Couloir vert, nouvelles mesures, vieille chanson.
Des harragas sont interceptés. Etrange métier révolutionnaire : les Algériens étant le seul peuple arabe où les contestataires s’immolent par l’eau. Harraga vient du verbe « brûler », mais par mer. Septembre : rumeurs sur un nouveau gouvernement. Rentrée scolaire. Polémique sur le surpeuplement des classes, le poids des cartables et l’utilité de l’avenir assis. Octobre, le mouton. Le manger, l’acheter, le mordre, en épouser la cause ou l’effet. Novembre ? Photos d’anciens moudjahiddines devenus très anciens d’ailleurs. Faut-il dissoudre le FLN ou seulement Belkhadem ? Des inondations, les premières. Polémique sur une stèle de pieds-noirs en France. Rumeurs sur le volume II des mémoires de Chadli, le Président dit le plus analphabète, mais qui se révéla être le seul à avoir laissé un livre. Décembre, début de l’hiver. Pluies exceptionnelles comme chaque année. C’est la date d’anniversaire du journal, avec des rumeurs sur la prime et des rumeurs sur janvier. Janvier ? C’est le début de la même routine. Bouteflika va encore apparaitre 5 fois : deux fois pour les deux Aïd, une fois pour déposer une gerbe de fleurs, une fois pour démentir sa mort et une fois pour confirmer la mort d’un autre qu’il a connu. A la fin, le sommaire. L’album peut cependant être customisé ou personnalisé : y ajouter des noms, des photos ou des prix.
Depuis que les Romains sont partis, avec les Espagnols, les Vandales, les Ottomans et les Français, on s’ennuie un peu. Il y a bien une guerre au Mali mais c’est loin et il n’y a pas de biens vacants à la fin. Juste de vieux mausolées.
30 octobre 2012
Kamel Daoud