Du coup, puisqu’il s’agit d’un système politique basé sur la force et l’autorité, le seul à parler concrètement est le ministre de l’Intérieur: il est chargé de mentir, de frapper, de réprimer et d’ordonner mais aussi de surveiller, de normaliser, de garantir et d’expliquer. Tous les chiffres d’un gouvernement peuvent être faux, jamais ceux d’un ministre de l’Intérieur.
Du coup, un ministre de l’Intérieur dans les pays «arabes», jusqu’après les révolutions, a cet air discret mais plein écran, effacé mais imposant, intelligent mais sombre, cultivé mais froid qu’ont tous les ministres de l’Intérieur dans les pays «arabes», les pays de fer et les pays à poing. Le ministre de l’Intérieur, chargé d’être l’ordonnateur suprême des rapports de force, se retrouve donc à expliquer tout et à parler de tout: pomme de terre et conquête de l’espace. Droits de l’homme et clonage d’animaux. Le ministre de l’Intérieur est chargé de frapper et de caresser. Expliquer les taux invraisemblables lors des élections et de trouver des explications aux dépassements de ses polices ou aux tirs amis. En somme, le ministre de l’Intérieur est un technicien des régimes clos: sa doctrine de l’ordre lui donne une mystique du devoir. Du coup, il est sans culpabilité au nom de la transcendance. Du coup, on comprend ce don pour l’invraisemblable qu’ont les ministres de l’Intérieur dans les régimes durs et cette tendance à tout expliquer puisqu’il est dit qu’ils peuvent tout régenter et parce qu’ils ont pour mission de tout surveiller. Du coup, cet air d’être absent mais vigilant et d’être sans vie de famille, sans chaleur, sans faiblesse, sans remords et sans sommeil.
Un ministre de l’Intérieur étant par définition à l’intérieur de toute chose.
Dernière question: que fait un ministre de l’Intérieur quand il est chez lui à l’intérieur de sa maison ? Le contraire de ce qu’il fait à l’intérieur du pays. Question d’équilibre paradoxale.
23 octobre 2012
Kamel Daoud