Rached Ghanouchi, de son vrai nom Rached Khériji, cet ancien instituteur diplômé en théologie de la Zitouna à Tunis, qui a étudié la philosophie à Damas pour devenir professeur de lycée, se dévoile après son retour d’exil à la faveur de la révolte du 14 janvier 2011, à laquelle lui et son mouvement n’avaient pas participé.
Depuis l’élection le 23 octobre 2011, de l’assemblée nationale constituante, dont la majorité des sièges avait échu à son mouvement En-Nahdha, il est l’homme fort de tunisie. Il décide de presque tout ce qui se passe dans le pays. Puissant leader du mouvement islamiste de son pays il a réussi à mettre hors circuit tous ses anciens compagnons de route, du Mouvement de la Tendance Islamique fondé en 1981, prolongement de l’ancienne organisation clandestine créée en 1969,la Jama’a Islamya. Abdelfateh Mourou, le morisque ou bien la mauresque, est l’un de ceux là. Cet ancien complice de Ghanouchi relate ainsi l’histoire de l’action politique de son camarade : ’Le Mouvement de la tendance islamique (Mti), devenu par la suite Ennahdha, c’est moi qui l’ai fondé. Rached Ghannouchi a rejoint le groupe plus tard. Au début, notre esprit était intimement lié à celui des frères musulmans d’Egypte. Nous nous sommes détachés peu à peu et nous avons fini par tracer notre propre voie ». J’évoque Mourou, pour dire que jusqu’à la révolte du 14 janvier 2011, le mouvement islamiste, obédience frères musulmans, avait perdu beaucoup de terrain au profit d’une autre branche plus radicale et que ces ténors usés, devenaient aphones, et ses troupes végétaient. Ayant choisi de demeurer au pays contrairement à Ghanouchi, Abdelfateh Mourou eut à subir les incessants harcèlements policiers et judicaires, pour son activisme politique, beaucoup plus ostentatoire qu’opérant.
Il était plutôt prêcheur de mosquées qu’homme politique de terrain. Il fini par être laminé par le système de Ben Ali, et réintègrera son cabinet d’avocat, en s’accommodant alors de la ligne que lui imposait le régime. Il proclamera officiellement, renoncer à la violence, cesser toute action et toute intervention politique, jusqu’à ce qu’il soit, comme tous ses condisciples surpris, mais non moins réhabilité par la révolte du 14 janvier. Il se présentera dès lors aux élections à l’assemblée constituante, mais ne sera pas élu. Il tentera alors, par le truchement de Youssef Qaradhaoui, un rapprochement avec ses anciennes amours En-Nahdha, et sera élu au bureau exécutif et aussi représentant personnel de Ghanouchi, lors du congrès du mouvement islamiste tenu le 16 juillet 2012 au parc des expositions d’El-Kram, dans la banlieue Nord de Tunis. Ghanouchi qui ne cesse de prendre du poids politique à l’interne comme à l’international, s’autorise des déclarations déterminantes, voire décisives, pour son pays, aux lieux et places des institutions en charge de le faire. Avant que l’assemblée nationale constituante n’annonce la date des prochaines élections législatives, problème de l’heure en Tunisie, le leader d’En-Nahdha, avait lui déclaré et décrété le 04 octobre 2012, qu’elles auront lieu la première semaine de juillet 2013. S’étalant sur le sujet, et répondant à la question de savoir qui d’entre Mourou ou de Marzouki, l’actuel président tunisien par intérim, serait le candidat d’Ennahdha, Rached Ghannouchi dira: ’ L’un et l’autre et d’autres encore sont aptes à assumer une telle fonction mais cette question ne s’est pas encore posée pour nous. Si j’ai avancé le nom d’Abdelfattah Mourou, cela n’engage que moi mais pas le parti ’. Annonce-t-il ainsi une vérité, ou bien, s’agit-il d’un ballon sonde qui ruinerai l’avenir politique de son ancien compagnon ? En tout état de cause, il se place hors de la mêlée, et laisse entendre qu’il est le faiseur de président en Tunisie, quant au suffrage citoyen, mystère et boule de gomme. Mais ce qui crée le tollé dans sa manière de procéder, et qui fait actuellement le buzz, c’est la diffusion sur la toile, d’une vidéo polémique enregistrée au mois d’avril 2012,selon le propre aveu de Ghanouchi, lors d’une discussion qu’il avait eu avec des jeunes salafistes. Cette bande fait désordre depuis sa diffusion le 10 octobre 2012, sur le net. Tout s’est mis en branle, on parle de scandale, d’esclandre, et on évoque le complot contre la démocratie, contre l’armée tunisienne et même contre la république.
C’est une conspiration contre la forme et la dimension civiles de l’Etat tel que voulu par tous les Tunisiens. C’est une lame de fond, un ras de marée contre les acquis de la révolte, et une infidélité vis-à-vis des martyres du 14 janvier. Tout ce que compte la Tunisie d’acteurs politiques et animateurs associatifs, à part ceux du courant islamiste dans toutes ses variantes, réagit. C’est une onde de choc, et de fortes bourrasques soulevées. Le secrétaire général adjoint chargé des relations internationales de l’union générale des travailleurs tunisiens, Kacem Afaya, répondant à une question sur le sujet sur radio mosaïque FM, avait avec le sourire ironique au coin de la lèvre, dit : »on doit l’emmener -Ghanouchi- en consultation chez le psychiatre ». Un avocat a porté plainte, et de nombreux députés à l’assemblée nationale constituante ont signé une pétition pour demander la dissolution de parti En-NAhdha, ils accusent l’auteur de la vidéo, de haute trahison et d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Cette initiative est soutenue par la centrale syndicale UGTT. Des informations rapportent également que le ministère de la défense de Tunisie, mis en cause par Rached Ghanouchi dans la vidéo, réaffirme son attachement à son indépendance et son caractère apolitique. Le 11 octobre il publiait le communiqué suivant : » Suite aux informations relayées à travers les médias et les réseaux sociaux concernant l’institution militaire, le ministère de la défense nationale affirme pour l’unième fois que l’armée nationale demeurera neutre vis à vis des différents partis et autres sensibilités politiques et qu’elle restera à l’abri des polarisations et des surenchères politiques et qu’elle se place au-dessus des campagnes et de calomnies et que ces manœuvres ne risquent pas d’affecter son image ou le moral de ses troupes. Il réitère son appel aux militaires à observer la neutralité totale, les lois du pays et les formalités des forces armées nationales et d’accomplir leurs missions avec dévouement pour servir les intérêts suprêmes de la patrie et sauvegarder sa souveraineté et veiller à son immunité ». Par ailleurs et à titre illustratif, le secrétaire général du parti des patriotes démocrates unifiés, avait déclaré que les propos tenus dans cette vidéo constituent un véritable complot contre la citoyenneté, la république et l’alternance au pouvoir. Certains autres intervenants estiment que les déclarations de Ghanouchi contiennent une dangereuse division de la société tunisienne, en mécréants et en islamistes, qui consiste à mettre progressivement la main sur tous les rouages de l’Etat. L’armée, la police, les médias, les lieux du culte, qui selon cette approche, contiennent encore en leurs siens des laïcs, qui bloquent leur fonctionnement. Mais en vérité, que dit expressément Rached Ghanouchi ? Il proclame textuellement ceci : ’ Les laïques contrôlent encore l’économie, les médias et l’administration, l’armée et la police ne sont pas non plus garanties». Et il enchaîne en direction des personnes de son auditoire de circonstance, ’Maintenant on n’a pas une mosquée, on a le ministère des Affaires religieuses. On n’a pas une boutique, on a l’État. Donc, il faut attendre, ça n’est qu’une question de temps. Aujourd’hui vous, les frères salafistes, vous avez le contrôle des mosquées. Celui qui veut créer une radio, une télé, une école coranique qu’il le fasse. Mais pourquoi êtes-vous pressés? Il faut être patient ». Sous-entendu, pour contrer, ceux qui dirigent présentement selon ce leader la tunisie. Il dit clairement que si son parti contrôle le gouvernement, toutes les institutions en dehors des ministères échappent à l’emprise et à la supervision d’En-Nahdha.
Et pour illustrer son propos, il parle de l’Algérie et assène : » Croyez-vous qu’il n’y aura pas de retour possible en arrière? C’est ce que nous avions cru vivre en Algérie dans les années 90, mais notre jugement était erroné: les mosquées sont retombées dans les mains de laïcs et les islamistes ont été de nouveau persécutés. Et pour étayer son exemple, et insister sur la fragilité de la victoire islamiste en Tunisie, lors de l’enregistrement non autorisé, dit-on, en direction de ceux qui l’écoutaient, il relève comme démonstration: ’la régression des islamistes en Algérie, alors même que le camp laïc y était moins fort qu’en Tunisie et que les islamistes y étaient plus puissants ». Dans son rôle d’apôtre propagandiste, le leader des frères musulmans de Tunisie, met en garde ses ouailles, qu’un retournement de situation est vite arrivé, mais à ce moment là dit-il, la donne aura changée et repartir à la reconquête du pouvoir avec de telles casseroles, sera mission impossible, alors qu’ils l’avaient cueilli comme un fruit mûr lors des élections des membres de l’assemblée constituante le 23 octobre 2011. Donc riche de l’expérience algérienne et de la sienne propre forgée durant son long exile, il préconise d’opérer par étape pour consolider l’enracinement de la pensée islamiste en adoptant une stratégie d’endoctrinement des masses et en ciblant particulièrement les jeunes. Également dans une autre diffusion vidéo, balancée en quasi simultané avec la première, et pareillement consultable sur la toile, où Rached Ghanouchi n’apparaît pas, mais tient un discours de même teneur. Le leader islamiste, dans un entretien téléphonique avec l’un des chefs salafistes les plus radicaux de Tunisie, Bachir ben Hassène, pour pas le nommer, qui le questionnait sur la place de la chari’a, dans la future constitution tunisienne, affirme : ’lorsque nous serons forts et puissants, nous pourrons décréter des lois régissant la vie sociale et la famille selon le modèle islamique ».
Une fois ces enregistrements rendus publics, fidèle au modèle qu’il incarne, Ghanouchi, ferré comme un poisson, dit assumer entièrement ses propos, même si pour nuancer et maintenir l’ambiguïté, il prétend que certains termes de son discours avaient été sortis de leur contexte, et autrement utilisés. Pouvait-il faire autrement, qu’adopter la position du dos rond, quand n’importe quelle parade dans sa situation, ne serait ni défendable et encore mois plaidable ? Cependant, au-delà de la langue de bois comme justificatif plutôt dérobade que résolution, la stratégie du double langage est ici manifeste. Sauf qu’en l’occurrence les masques sont tombés, et avec fracas et beaucoup de dégâts. Les islamistes, face aux volées de bois vert, face aux questionnements, aux supputations et aux critiques sur le projet de société qu’ils proposent, quand ils sont piégés par leurs propres déclarations, se ramassent, se soustraient rapidement et fuient le débat. Quand par erreur ils se dévoilent, ils crient par réflexes défensifs au complot. Ceci étant, il est permis à ce palier de la chronique de se demander, à qui profiteraient les fuites des deux enregistrements à ce moment là, précisément ? Certains diront que ce sont les salafistes qui pressés d’instaurer un état théocratique en Tunisie, reprochent aux islamistes d’En-Nadha, leur manque d’enthousiasme, et de la tiédeur dans leur démarche pour ce faire. Le fait que la prochaine constitution ne consacrera pas la chari’a, comme source principale de législation en Tunisie, d’une part. Et que En-Nahdha d’une autre renonce à faire mention, de l’atteinte au sacré dans la future loi fondamentale du pays, auraient fait réagir les salafistes, pour saper et miner les ambitions leurs frères d’opinion et compromettre leur avenir politique. D’un autre coté, certains autres attribuent l’exploit, s’il en est, de la divulgation du fond de la pensée de Ghanouchi, aux animateurs du mouvement de Nida Tounès, dont Béji Caïd Sebsi est l’initiateur. Qu’importe, mais le temps apportera la réponse, si du moins de telles explications auront encore une quelconque importante pour éclairer un tant soit peu sur le projet islamiste. Parce qu’en l’espèce le trait notable et fait substantiel, c’est la constance du discours islamiste qui une fois de plus, est publiquement dévoilé et de surcroît, par l’une des grosses pointures du mouvement. Qui plus est, se trouve être en charge des affaires d’un pays, dont la révolte avait fait fuir dans l’humiliation et l’indignité, un des autocrates bâtisseurs de régimes liberticides de par le monde. Alors, Rached Ghanouchi a-t-il été délibérément piégé, mais sincèrement par ses propres frères d’armes et d’esprit ? Il semble bien que oui. Et sans préjuger de ce que sera l’Egypte de demain, où les islamistes, frères musulmans originels, pur jus, gouvernent, je citerai Mohammed Saïd Al-Achmaoui, ce haut magistrat égyptien qui dans son livre, l’islam politique, éditions Laphomic/Bouchène 1990, disait en exorde de l’ouvrage ceci : ’Dieu voulait que l’islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique ». A cogiter.
19 octobre 2012
Abdelkader Leklek