Bon, pour le reste, le pays va bien mais ne va nulle part. Tous assis comme je t’ai dit. Non non ! Les barbus ici chez nous n’ont pas les dents mais ils ont les mêmes idées qu’ils veulent glisser même dans le pain et l’eau. Le problème, tu sais, c’est que les gens ne croient plus en rien et donc ils ne croient pas aux islamistes comme dans les autres pays. Personne ne fait de la politique. C’est la démocratie de l’intestin. Ou la dictature du vide. En fait, c’est comme après la mort : personne n’a de corps sauf les femmes, personne ne possède rien sauf les martyrs, personne ne fait de politique sauf en rampant ou en se faisant marcher dessus. On se promène, puis on se heurte et alors on parle de Mektoub, sans le lire. Le reste du monde est notre ennemi mais on veut aller partout dans le reste du monde, sauf chez nous. Tu y comprends un peu non ? L’essentiel est qu’il ne s’y passe rien. On est tous au même endroit, morts, martyrs, disparus, vivants, nouveau-nés et vieux et jeunes et on attend. Ça manque d’air justement à cause de tous mais bon. On regarde aussi la télé. Plus que des décédés qui attendent un jugement dernier. Et on commente. Entre nous. Pour personne. On sait que le monde est une illusion ou une salle d’attente. Tu veux une image : ici chez nous c’est comme si on était tous assis dans une salle d’attente de dentiste alors que personne n’a plus de dents ! Je divague. Que veux-tu l’indépendance c’est parfois comme ça : cela vous est livré dans mode d’emploi ! »
Assis dans moi-même par Kamel Daoud
S'abonner
Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les mises à jour par e-mail.
17 octobre 2012
Kamel Daoud