Dimanche, 07 Octobre 2012 09:50
…PORTRAIT…
S’il y a un homme qui m’a prouvé dans l’épreuve qu’il était un vrai ami, c’est bien Taiebi Réda. On était alors au cœur de la tragédie algérienne. Comme c’est jubilatoire de parler de cette effroyable décennie au passé. Qu’on se rappelle : les journalistes et intellectuels étaient chassés comme l’outarde par les émirs dans les steppes algériennes. J’avais peur de mon ombre et mon ombre avait peur de moi : elle me fuyait tout le temps, j’avais peur de mon voisin et mon voisin avait peur de moi : je représentais tout ce qu’il n’aimait pas, donc ce que Dieu n’aimait pas. Son Dieu à lui, inflexible et sectaire, dur et sanguinaire, alors que mon Dieu à moi était celui du Prophète, tout en tolérance et en ouverture. Menacé comme tout le monde, mon monde s’écroulant, invité dans un pays frontalier, je devais le rejoindre par route. 1000 kilomètres en passant par la Mitidja, Blida, Khemis, Ain Defla et tant d’autres hameaux, tant de routes que le sang des innocents a bitumées.
Il me fallait un compagnon pour m’accompagner dans cette aventure dont je n’étais pas sûr de sortir indemne. Mais quel est le fou, l’insensé qui pourrait prendre pareil risque sans retirer aucun avantage sonnant et trébuchant sinon convertible en poste ou en promotion ? Quel est le fou ? Pas de fous ? Si, un fou : Réda Taiebi.
Je lui fais la proposition. Il l’accepte sans même me demander un temps de réflexion. Il accepte sans aucune condition. Je me suis alors rappelé ce que m’avait alors dit mon ami Abrous Hamid, ex-confrère à la radio 3 en me le recommandant pour le quotidien où j’étais responsable d’un département : “C’est un homme bien, un homme droit comme on en voit rarement.” Dès le premier abord j’ai été convaincu par Réda.
Ancien international de handball, il avait une voix aussi douce que son physique était pacifique : de bons yeux paisibles et calmes, un regard franc, beaucoup d’humour et la gentillesse même. Que demander de plus au bon Dieu pour animer le volet hand de notre département ? Par la suite, j’apprendrai que Réda était la fidélité et l’honnêteté même.
On pourrait croire qu’avec toutes ces qualités on ne peut être que mou et écrasable. Non, l’homme avait du caractère et pour reprendre un slogan mitterrandien : il était une force tranquille qui donnait beaucoup d’assurance et de sécurité au reste de la troupe.
Réda n’avait pas besoin de hurler pour être entendu, il n’avait pas besoin de rouler des mécaniques pour s’imposer. Mais ces qualités, mais cette honnêteté, mais cette absence d’opportunisme et d’affairisme sont fatales en Algérie. Il galéra longtemps pour avoir un logement. A plus de cinquante ans il cherchait toujours.
A cet âge où on récolte plus qu’on sème, Réda a pris la tangente avec toute sa famille. Il a enrichi son pays d’accueil. Appauvrissant le nôtre. Le nôtre vraiment ? Plutôt le leur…
H. G.
hagrine@gmail.com
12 octobre 2012
Hamid Grine