L’investissement long et silencieux de l’Arabie Saoudite dans la promotion du wahhabisme international a donné ses fruits, mais il faut se précipiter de les cueillir avant que ce Hamad ne rafle tout pour lui ! Les vieux monarques de Riyadh se réveillent.
Des décennies durant, ils ne focalisaient que sur l’Iran ; et voilà que les frasques de l’émir qatari leur offrent une visibilité à l’échelle planétaire. En Libye, en Tunisie, en Egypte, Hamad offre son expertise de putschiste par Al Jazeera interposée. Et lorsque la destitution pacifique ne fonctionne pas, il envoie des armes aux rebelles libyens qui font de Benghazi et d’autres villes des zones libérées (zones d’exclusion, en langage militaire), ce qui signifie que les plans offerts à son ami Abdel Jalil étaient étudiés bien à l’avance par des experts en matière militaire. C’est aussi ce que veulent faire, désespérément, ses mercenaires en Syrie. La politique étrangère du Qatar est le résultat de bien d’autres paramètres mais son carburant est ce culot rendu possible, comme un blanc-seing total, par la seule existence de bases américaines dont celle d’Al Oudeïd est la plus grande à l’étranger. Les 10 000 hommes militaires, les navires de guerre, porte-avions, les bombardiers et antimissiles américains déployés au Qatar font de cet émirat un protectorat comme dans les siècles derniers. Quoiqu’articulée sur cette force étatsunienne, la ligne diplomatique du Qatar semble floue mais ses positions apparemment contradictoires trahissent une duplicité notoire. Par exemple, durant la guerre israélo-libanaise de l’été 2006, Qatar a affiché son soutien au gouvernement et au peuple libanais, mais en même temps, il a autorisé les Etats-Unis à utiliser son territoire pour livrer des bombes dites intelligentes à Israël ! La fourberie, c’est là une caractéristique fondamentale de cette «diplomatie» également caractérisée par l’audace, la versatilité et l’absence de principes. Ici, les alliés sont tous conjoncturels, qu’ils soient arabes ou autres, mais avec la constance de la vassalité due aux puissances occidentales. C’est ce que prouvent ses relations avec l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Syrie et même les autres pays du Golfe que Hamad a essayé de déstabiliser. En octobre 2010, l’émir Khalifa bin Hamad Al-Thani disait qu’il ne s’ingérerait jamais dans les affaires des autres pays et qu’il se concentrait sur l’éducation, la santé et les investissements, en se tenant «à l’écart des conflits et des questions militaires» afin de «jouer les médiateurs dans les crises, sans prendre position en faveur d’un camp ou d’un autre», selon Politique internationale. com(1). Or, on sait que Doha a commencé à financer le terrorisme en Algérie dès 1994, que plusieurs membres de la famille régnante ont financé les djihadistes, que l’actuel ministre de l’Intérieur a hébergé des talibans à l’aller et au retour d’Afghanistan qu’il a même rencontré Ben Laden, selon un câble officiel sur WikiLeaks.
Le wahhabisme, «idéologie» conquérante
Une politique du chéquier couplée à un entrisme qui abuse du pousse-toi que je m’y mette ont permis à cette diplomatie d’être sous les feux de la rampe, à la place de pays traditionnellement plus représentatifs, notamment sur la question palestinienne. Les «printemps arabes» ont été une occasion pour Doha de se surpasser, de monter sur ses ergots en ajoutant une échelle pour se rendre plus visible, au point où certains y voient réellement un géant. En tout cas, son bellicisme a fait mal en Libye, en Syrie, au Mali et ailleurs. Car ce pays est derrière tous ces troubles et conflits qu’Al Jazeera pare du beau burnous de «printemps arabe», sauf ceux de Bahreïn où Doha a envoyé ses troupes pour mater l’opposition, tout comme l’Arabie Saoudite dont la chaîne qatarie évite de montrer les manifestations et leur répression. Pour mettre en place son nouvel ordre mondial, ou son Grand Moyen-Orient (GMO), ces nouveaux plans Sykes-Picot enrobés d’une publicité humanitaire, libératrice et civilisatrice (comme ce fut le cas en Irak où près de 2 millions d’Irakiens ont perdu la vie et le pays ramené un siècle en arrière), l’Occident s’est trouvé des complices précieux. Le beau cheval de Troie nommé Qatar ne se contentera pas de hennir, il aura à faire les basses besognes : massacrer les Libyens sous prétexte de leur apporter la démocratie, massacrer les Syriens, en envoyant des milliers de terroristes wahhabites recrutés à travers le monde. Pour l’Occident, le wahhabisme et le terrorisme sont des outils stratégiques pour remodeler la carte du monde chère au GMO ; et pour les monarchies de la péninsule arabique, un moyen de se venger de ces démocraties socialistes, nassériennes ou baâthistes qui les avaient tant empêchées de dormir en paix. A l’époque de Nasser, Boumediène, Hafid El-Assad, Saddam, Kadhafi et même Bourguiba, ces rois et émirs étaient méprisés autant que leurs «idéologies». Aujourd’hui, ils ont réussi à renverser les valeurs et imposer le wahhabisme pour faire régresser les autres peuples à leur niveau et remettre en question les acquis de la modernité et du progrès. La volonté de régression — «régression féconde», disent leurs conseillers occidentaux — ce symptôme de démence pure et simple, en tout cas d’une schizophrénie caractérisée, s’est imposée dans nos sociétés grâce à la pénétration de la propagande salafiste et wahhabite. Le wahhabisme à burka et le salafisme au kamis virent aisément au djihadisme armé qui voit partout des impies à tuer. Des millions l’ont été, en Afghanistan, en Algérie, en Syrie et dans de nombreux pays, même en Arabie Saoudite car il n’est pas dit que celui qui nourrit un serpent ne se fasse pas mordre. Lorsque Riyadh s’alignait sur Washington et Tel-Aviv contre le Hamas palestinien, Doha organisait une conférence sur Ghaza en janvier 2009 pendant l’offensive israélienne «Plomb Durci». Tirant la couverture à soi, le Qatar écarte en même temps l’Egypte, et s’apprête à sacrifier l’OLP, pour ne pas dire tout le peuple palestinien. En 2011, il isolera Damas en demandant au Hamas de s’installer à Doha, en contrepartie d’un milliard de dollars : dans son nouveau siège, dans le voisinage d’Abassi Madani, Khaled Mechaâl représentera-t-il peut-être mieux la cause palestinienne… La crise syrienne actuelle s’inscrit dans cette stratégie qui vise à l’irakisation ou l’afghnanisation de ce pays, à en faire un pays ingouvernable avec un terrorisme pérenne — bombes quotidiennes et kamikazes en sus — comme il vise à la liquidation du problème palestinien, et en même temps à émietter la Jordanie et le Liban en petits Etats confessionnels et ethniques. Maintenant qu’il tient en laisse cet allié et sa Ligue arabe, l’Occident peut attaquer n’importe quel pays musulman sans être accusé de croisade. Et les frères musulmans autant que les wahhabites, grâce à lui, auront obtenu une honorabilité qui les propulse aux fauteuils de la présidence et des Parlements (Morsi, Ghennouchi, Abdel Jalil) et même à des postes militaires importants, comme ceux attribués aux terroristes libyens notoires Ismaïl Al-Salabi, Abdelhakim Belhadj et Abu Sofiane Qoumou. A la tête d’une poignée de terroristes soutenus par la Maison-Blanche, Hamad s’en va faire des «révolutions» dans le monde arabe avec comme objectif final de mettre à genoux l’un des derniers raïs arabes modernistes, El-Assad. Après avoir vu couler le sang de dizaines de milliers de Libyens et celui de Kadhafi comme cadeau suprême, l’émir d’une dictature dynastique peut alors clamer, avec cynisme : «Les peuples arabes de la région aspirent à la démocratie et la justice et détestent la corruption et la tyrannie.»(2)
Une diplomatie excommunicatrice
Une diplomatie offensive et intolérante va bientôt se transformer en diplomatie excommunicatrice, takfiriste : si tu n’es pas avec moi c’est que tu es contre moi, est le principe qatari. En un tour de main, Doha a réussi à dresser tous les Etats arabes et musulmans ou presque contre la Syrie. Le pays des omeyyades sera exclu de la Ligue arabe. Puis cette même Syrie qui a aidé à créer un Islam tolérant et équilibré, sera exclue de l’Organisation de la coopération islamique ! A La Mecque, le sommet de la trahison et de la lâcheté (14 août 2012) va excommunier tout un peuple pour enterrer à la fois la Syrie et la Palestine. En un tour de passe-passe, Hamad a transformé une Ligue arabe moribonde et inutile en une secte de la compromission au dollar, une simple chambre d’enregistrement de la Maison-Blanche, et l’Organisation de la coopération islamique en une coquille vide, dans l’attente qu’elles n’implosent si elles ne continuent dans la trahison. L’agenda étatsunien et atlantique alloué au Qatar inclut aussi l’Arabie Saoudite mais cette dernière, trop vieille, devait être ménagée pour des tâches en apnée. La parole était donnée au tonitruant Premier ministre qatari dont la force de l’âge lui donne cette assurance que le monde arabe tout entier finirait bientôt à ses pieds. Ici, la diplomatie est assimilée à de la prédation, pas à du partage ou de l’échange, alors que la politique suppose de la solidarité lorsque nécessaire : il n’y a aucune différence entre la vision qatarie et la diplomatie impérialiste du fort avalant le faible. D’ailleurs, on ne peut pas analyser la politique qatarie suivant les critères des Etat-nations institutionnalisés, rationnels avec des fondements civilisationnels et historiques. Le Qatar n’a que quatre décennies d’histoire et il se propulse sur la scène mondiale, ce qui ne manque pas d’irriter même ceux qui tirent ses ficelles. Quand il met quelqu’un dans le collimateur, il faut qu’il le déboulonne : cela a marché avec Saddam, Kadhafi, Ben Ali et Moubarak, en fournissant armes, terroristes et un déluge de propagande signé Al Jazeera. Pour affirmer sa présence, il ne se contente pas de profiter du vide laissé par les autres pays arabes mais il le crée par des opérations de déstabilisation qui visent même ses voisins, le Koweït et les EAU ! Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont aplani leur différend frontalier au profit de leur pré carré et des intérêts américains. L’Iran est dans leur viseur, les Etats-Unis l’ayant désigné comme leur ennemi mortel, sous prétexte d’une «lutte contre la propagation du chiisme», une lutte qui vise à diaboliser Téhéran pour maintenir une tension permanente dans la région. Sans tension, pas de vente d’armes. Doha et Riyadh sont devenus les piliers de ce qu’on appelle «l’arc sunnite», cette invention moyenâgeuse de l’Arabie Saoudite qui engloberait les pays de la péninsule ainsi que l’Egypte, la Jordanie, le Liban et la Palestine occupée. La Syrie et l’Irak sont accusés d’avoir trahi et de faire partie de «l’arc chiite», alors que la Syrie est un Etat moderne où même les chrétiens ont leurs droits, l’Irak est en train de chercher un équilibre politique entre sunnites et chiites, tandis qu’en Iran vivent près de 20 000 juifs, ce qui montre la tolérance de ces pays par rapport au modèle saoudo-qatari. Le but est donc de ramener Damas au sein de «l’arc sunnite», par la force ! Cet «arc sunnite» sous contrôle saoudo-qatari imposera le diktat wahhabite à tout le monde musulman. Riyadh et Doha joignent donc leurs forces pour des «révolutions» wahhabite bénies par les pays occidentaux qui font tout pour l’accès des islamistes au pouvoir, à l’image de Abdel Jalil, Ghennouchi, Morsi… Zbigniew Brzezinski disait : «Le véritable intérêt vital pour l’Amérique est d’assurer que le Golfe demeure une source sûre et stable d’approvisionnement en pétrole, vendu à un prix raisonnable à l’Occident industrialisé.» Et peu importe si une dictature éclairée ou une dictature sanguinaire est au pouvoir dans ces pays marionnettes.
A. E. T.
(A suivre)
1. Politique internationale.com
2. Discours de Hamad au Conseil économique de Los Angeles le 8 avril 2011.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/10/10/article.php?sid=140136&cid=41
11 octobre 2012
AlI EL HADJ TAHAR