J’ai la nette impression que les écrivains algériens de langue arabe (Laâredj, Zaoui…), lorsqu’ils se mettent à écrire des romans, n’arrivent pas encore à se sortir de leur langage poétique. Du moins, c’est l’impression que j’en retire à la lecture des textes traduits en français. Tout particulièrement au niveau de la nouvelle génération, celle des années 80-90, l’ancienne ( Ouettar, Benhedougga, Boudjedra aussi..) étant plus directe dans son langage, parfois cru, car avec une vie trop liée aux péripéties de la lutte de libération nationale et leur envie de recouvrer leur identité perdue ou détournée, leur âme…et leur corps aux désirs longtemps comprimés, pour ne pas dire réprimés.
C’est cette impression qui m’envahit à la lecture du roman de A. Mostaghenemi, «Le Chaos des sens», un autre best-seller de la littérature arabe contemporaine, après son fameux «Mémoires de la chair» (édité en arabe en 1985 et en français en 2002 en France… puis transformé en série télévisée) Une histoire d’amour, et quel amour ! Une femme mariée (à un officier militaire, en pleine période d’ébullition politique) qui, peut-être, cherchant à se «libérer», se «jette» «à corps perdu» dans les bras d’un «diseur de vérités» (un journaliste, pardi!). Que de symboles: force, sécurité et autoritarisme Vs liberté, jouissance et créativité dans une atmosphère incroyablement surréaliste! Voilà qui n’arrange pas le dialogue inter-corporations. Un amour bouleversant raconté avec une écriture (rendue merveilleusement par la traduction) d’une beauté rarissime. Un seul (petit?) défaut: comme la plupart des auteurs arabes (sauf, peut-être, Zaoui et… Boudjedra, celui-ci il y a longtemps), l’auteure n’arrive pas à franchir le pas… de porte quand il s’agit de parler d’amour. Le chaos s’arrête aux seuls sens et tout juste aux bras de l’amant. Les «voyeurs» resteront sur leur faim!
Avis : A lire absolument en profitant de chaque ligne, de chaque mot. Et, en ne retenant de l’histoire que les sens profonds et cachés. Et, il y en a. A. Mostaghanemi, bien qu’assez directe, y excelle. Et, c’est là tout l’art de l’écrivain universel.
Alger la noire. Roman (policier) de Maurice Attia. Editions Barzakh (Actes Sud, 2006), Alger 2012. 392 pages, 500 dinars.
L’auteur est un Algérois et il est né et Algérie en 49. En 62, il avait donc dans les 13-14 ans. On peut dire qu’il était alors trop jeune pour comprendre très exactement ce qui se passait à l’époque… Mais c’était, aussi, l’âge des premiers engagements. On devine qu’il avait «saisi» les enjeux et les drames de l’époque.
A travers ce premier volet de toute une trilogie, volet qui a obtenu bien des prix et traduit, dit-on, en plusieurs langues, il a présenté la communauté pied-noir de l’époque, celle de Bab El Oued, la plus radicale (et la plus inconsciente) par son engagement aux côtés de l’OAS, dans ses aspects les plus réalistes. Noir, c’est noir ! Pas les pieds seulement, mais toute l’âme. L’histoire : sur fond de, terrorisme, l’Inspecteur Paco (d’origine espagnole) et son ami un autre policier, (d’origine juive, celui-ci) va sauver l’honneur, non en essayant de sauver les «melons», mais de mener à son terme son enquête sur un crime d’un couple : un jeune arabe et une belle européenne, trouvés, enlacés, nus, assassinés dans une plage, crime déguisé en crime terroriste. Des policiers déjantés dans une société européenne en pleine décomposition, dominée par un «bourgeoisie» pourrie jusqu’à la moelle, et qui a fait le malheur de tous les autres.
Avis : Ce n’est qu’un bon polar et il se lit, donc, d’un trait. Rythme soutenu… mais une fin qui n’en est pas une. Aucune morale : Les crimes restent impunis. Aspect positif : l’auteur nous décrit sa société de l’intérieur, et de manière crue. Cela nous change des romans presque roses écrits par les européens «nostalgériques» et…, aussi, par des nationaux et qui nous décrivent une société coloniale européenne presque pacifique. Interdit aux moins de 18 ans.
Phrase à méditer: «Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer… Il cherchait son chemin, et nul n’avait à le lui indiquer» et «J’ai, par nature, tendance à me méfier des gens qui me trouvent intelligent»
Le dernier juif de Tamentit. Roman de Amin Zaoui Barzakh, Alger 2012 141 pages, 500 dinars
Le tout dernier-né de Amin Zaoui est une véritable bombe. Une histoire qui est, à première vue, «tirée par les cheveux» mais qui peut se tenir, tant il est vrai que notre société n’est pas une, mais diverse, en tout cas dans sa formation. En pleine recomposition. Des personnages, véridiques ou fictifs, traversent l’Histoire du pays, à des époques différentes. L’Andalousie, Tlemcen, Tamentit, capitale du Touat, Tombouctou, les religions, tout particulièrement la musulmane et la juive (cherchez le noeud gordien ou le «truc» – de la problématique de la cohabitation pacifique séculaire… passée). On ne sait plus vraiment qui est qui et qui fait quoi, l’essentiel étant, durant des siècles, de vivre, de survivre, dans une coexistence plus que parfaite… les fanatiques et autres intégristes ne venant qu’assez tard… assez récemment. Bien sûr, pour ne pas déroger à la règle «zaouienne» désormais connue, il y a, en fond, une très belle histoire d’amour… L’auteur n’hésite plus à «casser» les derniers tabous et à aller encore plus, loin, encore plus cru, laissant l’érotisme oriental bien loin derrière. C’est «tout sexe» ! Provocateur, Zaoui ? Non. Tout simplement vivant avec son temps et, surtout, ayant horreur de l’hypocrisie sociale d’une société qui, en vérité, «prend son pied» largement (en tout cas ceux qui en ont les moyens, tous les autres se contentant des cages d’escaliers ou des terrains vagues) à l’abri des regards. K. Yacine, R. Boudjedra, Ouettar et Mosteghanemi, à côté de lui, font figure de «dinosaures» sur ce chapitre. Mais, ils ont enfin trouvé un continuateur, un écrivain vrai (et non un simple romancier), éclatant (par son écriture) et porteur de changements sociétaux.
Avis : Selon vos sens et vos appétits. Interdit aux moins de 18 ans.
Phrase à méditer : «Depuis notre jeunesse, nous taillons notre mort à la grandeur de nos rêves et de nos amours»
Au commencement était la mer… Roman de Maissa Bey Barzakh, Alger 2012 (1ère édition, Marsa, 1996) 152 pages, 600 dinars
C’est le premier roman d’une auteure qui allait rapidement en produire bien d’autres tout aussi éclatants. Et, c’est peut-être le plus abouti, certainement en raison de la virginité littéraire de l’auteure qui y a mis tout son talent (au niveau de l’écriture, «sobre et économe», dixit Claire Etcherelli, qui a fait une post-face), tout son génie (au niveau du déroulé du roman)… et bien du courage (les années 90, vous vous souvenez ?). C’est le premier pas qui compte, n’est-ce pas ? L’histoire d’une jeune fille durant les années 90, une jeune fille, orpheline de père, qui s’éveille à la vie et à l’amour, dans une ambiance familiale qui, au fil du temps et des évènements, se dégrade (le grand frère devenant un fondamentaliste islamiste, terrorisant son entourage), dans une atmosphère extérieure assez noire où plus personne ne rêve, avec des interdits et des menaces qui se multiplient contre tous ceux qui voulaient penser et agir librement. Deux chapitres superbement écrits (4/ pp 75 et 76, avec la description d’une «guerre» qui ne veut pas (encore) dire son nom et 10/ pp 90 et 91 sur les lois «édictées par des «décideurs des croyants» – chaque jour au nom d’un «ordre nouveau» concernant les «délits», punis de mort, bien sûr…et visant surtout les femmes, comme toujours.
Avis : A lire pour se souvenir… et comprendre que rien n’est encore joué. Se lit d’une seule traite. Et, il faut dire un grand merci à l’éditeur qui a ré-édité l’ouvrage
Phrase à méditer : «Elle a dû apprendre à se taire (à l’école, puis au collège). Rentrer dans les rangs… Il lui fallait seulement restituer, comme une nourriture mal digérée, avec le même dégoût d’ailleurs, ce qu’on lui enseignait…Rien de plus…Elle a franchi toutes les étapes, jusqu’au bac. Avec des félicitations …Les vraies réponses, elle doit les chercher ailleurs»
11 octobre 2012
Belkacem AHCENE DJABALLAH