Ce n’est peut-être pas encore une lune de miel, mais ça prend de plus en plus la forme d’un mariage de raison. Entre l’Algérie et les Etats-Unis, un étrange rapprochement est en train de s’opérer depuis quelques semaines, ouvrant la voie à un «partenariat stratégique » que les deux pays promettent de renforcer, en lui donnant chacun un contenu différent, en attendant de trouver un terrain commun. Traditionnellement, les deux pays se retrouvent systématiquement sur des rives opposées, particulièrement quand il s’agit de questions liées aux groupes armés, au terrorisme, ou aux mouvements de résistance. Le poids de l’histoire, la différence de culture politique, et les valeurs divergentes en vigueur dans l’un ou dans l’autre pays, semblaient éliminer la moindre possibilité de rapprochement.
La crise malienne a pourtant révélé des positions qui, à défaut d’être identiques, n’en sont pas moins convergentes, en attendant qu’elles se rejoignent peut-être. Certes, il serait exagéré de dire que l’Algérie et les Etats-Unis ont la même position envers la crise malienne, encore moins que les Etats-Unis ont endossé de la thèse algérienne pour une solution politique négociée à cette crise. D’ailleurs, le général Carter Ham, patron de l’Africom, l’a bien souligné, en rappelant à Alger son pays «n’a pas la même perception» que l’Algérie de ce qui ce qui se passe au Mali. Il a, notamment, émis des réserves sur l’identification et la nature des groupes qui opèrent dans le nord du Mali.
Mais il n’empêche que dans la crise malienne, Washington a adopté une position qui constitue une grande première: pour la première fois, les Etats-Unis, non seulement n’ont pas adopté une position va-t-en guerre dans une affaire impliquant clairement des groupes armés, mais ils ont affirmé leur préférence pour une solution politique et diplomatique, à laquelle un effort militaire viendrait éventuellement en appoint.
La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a ainsi déclaré que le Mali constitue, certes, une «poudrière », mais elle a affirmé que «seul un gouvernement démocratiquement élu aurait la légitimité de négocier un accord politique au nord du Mali, de mettre fin à la rébellion et de restaurer l’Etat de droit ». Le Général Carter Ham a de son côté affirmé que la crise au nord du Mali «ne peut être résolue que de manière diplomatique ou politique ». «La composante militaire fera partie d’un tout, et jouera un rôle bien précis dans le règlement de ce conflit», a-t-il dit, précisant qu’un processus politique devrait «commencer par la mise en place d’un gouvernement légitime à Bamako». Il a aussi noté «la nécessité de faire face aux préoccupations des populations dans le nord du Mali», pour prendre en charge les revendications des Touareg. A l’évidence, aucun diplomate algérien ne renierait de tels propos.
Cette position américaine est la bienvenue pour l’Algérie, au moment où une expédition militaire se prépare activement, avec pour objectif déclaré de chasser du nord du Mali des groupes armés de sinistre réputation, Ansar Eddine, MUJAO et AQMI, et de rétablir ainsi l’intégrité territoriale du pays. Et même si les Etats-Unis ont fini par approuver, du bout des lèvres, une intervention militaire, leur hésitation fera date.
Faut-il en conclure que les Etats-Unis et l’Algérie sont devenus alliés de fait contre la tentative française d’entrainer la CEDEAO dans cette aventure ? Que les Etats-Unis vont, à l’avenir, analyser sérieusement toute situation avant de dégainer ? Ou bien voulaient-ils simplement marquer leur territoire, pour signaler à la France que l’Afrique n’est plus une chasse gardée ? La France, qui fait le forcing pour organiser rapidement une intervention militaire, ne pouvait obtenir l’aval de l’Union Africaine. Elle a contourné l’obstacle en obtenant la participation de son pré-carré, la CEDEAO.
Les Etats-Unis ont marqué un temps d’arrêt avant d’arrêter une position définitive. Pour eux, l’expérience récente a montré que les expéditions militaires en territoire musulman se sont révélées hasardeuses. De la Somalie à l’Irak en passant par l’Afghanistan, les résultats n’ont pas toujours été heureux. A l’inverse, ils constatent que la seconde guerre de Somalie, menée par des troupes de l’Union Africaine, dans le cadre de processus politiques mené avec un certain doigté, a donné des résultats probants. Les shebab, groupes armés islamistes de Somalie, viennent de perdre leur dernier point d’ancrage, alors qu’ils contrôlaient naguère la capitale Mogadiscio, après avoir contraint les Etats-Unis à une retraite peu glorieuse.
Dans l’affaire malienne, Washington est motivé par des considérations précises : éviter que le Sahel ne devienne une vaste région hors contrôle ; trouver un point de chute à l’Africom, pour la rapprocher du théâtre des opérations ; suppléer la faiblesse ces«états défaillants» qui ne peuvent assurer le contrôle de leur territoire, transformé en repaire de groupes terroristes ou de réseaux criminels; installer, dans la mesure du possible, des régimes bénéficiant d’un minimum de légitimité, condition nécessaire pour aspirer à contrôler le pays, aux yeux des Américains.
Dans la crise malienne, ces objectifs américains et ceux de l’Algérie convergent, alors que la démarche française est perçue comme susceptible de créer une situation d’instabilité chronique. D’où ce rapprochement algéro-américain. Mais tout ceci peut être conjoncturel, et il suffirait d’un rien pour que tout s’écroule. L’expérience américaine en Libye a montré que la situation peut à tout moment déraper. Et dans une vie de couple, l’Amérique a montré qu’elle constituait un conjoint plutôt infidèle.
4 octobre 2012
Abed Charef