Tout va mal, surtout la France ; fuyez et ne revenez pas semblent d’ailleurs inciter les médias, leurs commentateurs appointés et leurs éditorialistes encore bronzés. François Hollande et ses reniements de faux-derche à propos de l’Europe et de l’austérité, les plans sociaux par dizaines et leurs licenciements par centaines pour ne pas dire par milliers, les agressions mortelles et les incivilités ici et là, l’argent des paris qui souille la renommée d’un sport que l’on croyait à l’abri des margoulins et, bien sûr, la crise économique toujours et, nous dit-on, pour longtemps : soudain, Alger, sa saleté, ses embouteillages infernaux, ses nouveaux habitants vulgaires et mal dégrossis, paraissent bien anodins, presque sympathiques ; en tous les cas bien moins toxiques.
Et il faut aussi se colleter avec les inévitables postures bruyantes des intellectuels omniprésents. Car si le voyage permet de distinguer l’essentiel de l’accessoire, le vrai du feint, il rend surtout insupportable l’agitation égotique soit disant dédiée à de grandes causes mais qui vise surtout à faire augmenter, à si peu de frais et de dangers, les ventes en kiosque et les droits d’auteur. Revenir d’un pays où des caricaturistes ploient sous les (vraies) menaces et les poursuites (au pénal !), permet ainsi de relativiser les diatribes enflammées à propos de la liberté d’expression. Ah, que l’islam et les musulmans ont bon dos ! Ah, qu’ils sont utiles et nécessaires pour se donner bonne conscience et pour renforcer les sentiments de supériorité à l’égard des gens du Sud. Sans l’islam et les musulmans, que deviendraient celles et ceux qui tentent de se glisser par effraction dans les habits, trop grands pour eux, d’un Zola, d’un Malraux voire d’un Sartre ou d’un Camus ? Ces polémistes, moralisateurs à deux sordis, sont une maladie de la France et contribuent par leur vacarme à occulter les vrais enjeux.
Un rapport rend public la dangerosité des OGM, un autre s’inquiète des défaillances de certaines centrales nucléaires, des associations mettent en garde contre les dégâts que risque de provoquer le prochain hiver parmi la population des sans-domiciles (et ne parlons même pas des grands dossiers internationaux), mais, sous la conduite d’animateurs-journalistes (ou l’inverse), on préfère soliloquer en groupes télévisuels à propos de l’existence d’un racisme anti-blanc ou de l’urgence ou pas à interdire la construction de nouvelles mosquées. Prenons les paris : dans les semaines qui viennent, nous auront de nouveau des débats fracassants sur le halal à l’école, le voile, le sacrifice rituel du mouton, la circoncision, le nombre de ressortissants français qui effectuent le pèlerinage à La Mecque
Le voyage est silence (y compris dans un pays où tout le monde braille pour un oui, pour un non ou pour rien du tout). Il est intériorité, lenteur et réminiscences. Le retour est bruit, confrontations futiles, vitesse et craintes exagérées. C’est dans ces moments que se (re) forge la conviction que la comédie médiatique hexagonale est un affront aux intelligences et une insulte aux consciences. Alors, oui, la tentation est grande de rompre le combat. De s’éloigner de cette scène en toc en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux. D’abandonner la place aux bateleurs et aux naïfs qui ne cessent de leur prêter attention. Et, soudain, l’on comprend pourquoi tel ou tel voisin, ami, parent, n’écoute plus la radio, ne lit plus la presse, ne regarde plus le journal télévisé. Ce n’est pas un manque de curiosité ou d’implication citoyenne mais juste une réaction d’autodéfense.
Mais tout cela ne dure pas longtemps. Une semaine, dix jours et voilà la réadaptation achevée. On se remet au découpage des journaux, on lit, on peste et on écrit. En un mot, on retrousse les manches et on réagit, quitte à se battre contre d’insaisissables moulins à vent. Oui, le retour est dur, parfois même insupportable mais c’est en l’appréhendant autrement qu’on arrive à y faire face. Tout ce bruit, toute cette mauvaise foi, ces crispations identitaires dans un pays qui cherche sa voie, tout cela signifie que le retour n’est rien d’autre que la continuation du seul voyage qui compte, celui des batailles au quotidien.
4 octobre 2012
Akram Belkaid: Paris