Dans le pays, le bon peuple de l’hymne devine que le régime a ses enfants ailleurs, son argent ailleurs et que, quand il se sent fatigué et malade, il va ailleurs. On ne s’unit pas avec un homme, ou une femme, qui prépare sa valise, tout le temps et à la moindre secousse. L’appel à l’unité doit s’accompagner d’une cause légitime et d’hommes ou femmes légitimes. Et cette légitimité n’est pas celle de l’aliment de bétail ou de l’égalitarisme néo-Benbella. C’est celle de la Justice et de la compétence. Et c’est pourquoi il faut faire vite : rendre le pays au bon peuple de l’hymne pour que l’hymne fonctionne et que l’unité soit préservée. C’est une formule simple qui fonctionne partout. En Terre de Feu comme en Israël. Un pays est partagé par les étrangers comme un butin seulement quand il est morcelé par les siens comme un bien vacant et vécu par son peuple comme un enfermement. Donc on est d’accord : le pays le plus vaste d’Afrique attire aujourd’hui les mangeurs de terres et de gisements mais on ne peut le sauver que si on y croit, que si ceux qui nous gouvernent sont les meilleurs entre nous et seulement si certains de ceux qui le possèdent ne le regardent pas justement comme ceux qui veulent l’envahir : un bœuf tombé ou une femme coincée dans un angle mort.
Le peuple de l’hymne sent confusément que ce n’est pas une histoire d’amour, comme en 54, entre lui et le Pouvoir. Mais une histoire de lait à traire et de foules à manipuler. Confusément, le peuple de l’hymne connaît les noms des premiers qui fuiront à la première morsure au flanc de la géographie nationale. Le bon peuple a vécu cela il y a deux siècles. Tous les Algériens se souviennent, en dormant, de la fuite du dernier dey quand la France a débarqué.
Du coup, il y a peur de deux ennemis : de celui qui va déserter et de celui qui nous envahit. Du coup, il y a méfiance et soupçon. «J’ai regretté d’avoir investi tout mon argent ici» a dit un jour un homme d’affaires patriote au chroniqueur. La cause ? «Eux, alias le régime, seront les premiers à fuir et ont déjà pris leur précaution et ne perdront rien si le bateau coule». L’appel à défendre l’unité doit être précédé par la légitimité, la restauration de la confiance et l’honnêteté du propos : un régime n’a pas le droit de nous demander de défendre le pays quand lui-même a ses enfants et son argent dans d’autres pays. L’unité d’un pays est menacée. Par la mauvaise foi d’abord et toujours.
29 septembre 2012
Kamel Daoud