Les histoires de femmes dans notre pays, et plus généralement dans les pays arabo-musulmans, sont toutes, pour la plupart, chargées de tristesse et, bien souvent de drames. Rarement, elles se retrouvent joyeuses ou en position dominante. Et, même, si pour les moudjahidate, elles étaient là, bien présentes dans le combat libérateur, on nous rappelle toujours qu’il y avait un «homme» derrière. Elle n’était là que pour l’aider, le soutenir, le nourrir, le soigner, exécuter son plan Et, chaque fois qu’un espace ou un moment de liberté est gagné, il est vite récupéré, brutalement ou subtilement, par les mâles qui restent, toujours, les détenteurs et les distributeurs de pouvoir, de postes, d’avantages. Avec l’aide, parfois, de femmes encore ignorantes de leur statut d’ «opprimées» Bien sûr, de nos jours, les choses ont (légèrement) évolué. Mais, jusqu’à nos jours, dans certains milieux, la situation n’a fait qu’empirer chaque avancée de la femme rendant encore plus forcenés la rage et le machisme des hommes.
Zahra Farah a réussi le tour de force d’écrire un véritable roman qui raconte avec simplicité et vérité une histoire de femmes, somme toute banale (en quelque sorte, «vie et mort de femmes en Algérie profonde»), certes avec pour toile de fond la Seconde Guerre mondiale, mais symbolique d’une oppression qui dure depuis des siècles et qui se perpétue encore sous d’autres formes, sous couvert du sens du devoir et de la fierté ancestrale. A l’époque, l’école ainsi que le travail ne permettaient pas une certaine autonomie (ou la libération du joug machiste comme aujourd’hui) Seule issue : s’éloigner, fuir en un ailleurs plus libérateur (du moins en apparence)
Avis : Se lit en très peu de temps… Finit en une autre impasse. Roman presqu’incomplet. En espérant une suite. «L’adieu au Rocher II», pourquoi pas ?
Phrase à méditer : «C’est une petite fille lui (la nouvelle maman) confia-t-elle d’un ton maussade. Au bout d’un instant, elle (la sage-femme) ajouta comme un sombre présage : «sa vie va être bien difficile»
Histoire de ma vie.
Récit autobiographique de Fadhma Aith Mansour Amrouche (Préfaces de Vincent Monteil et de Kateb Yacine). Editions Mehdi, Tizi Ouzou 2009 (Paru chez Maspéro en 1968, chez La Découverte en 1991 et chez La Découverte-Syros en 2000) 221 pages, 400 dinars
C’est, selon l’expression d’un des préfaciers, Vincent Monteil, «Une vie. Une simple vie, écrite avec limpidité par une grande dame kabyle, d’abord en 1946, puis en 1962, avant que la mort ne vienne la prendre en Bretagne, le 9 juillet 1967, à quatrevingt-cinq ans». C’est la vie de la maman de Taos et de Jean Amrouche. Elle raconte tout, dans les moindres détails : sa naissance, son enfance de «fille naturelle», rejetée par une «société close», impitoyable, son baptême (1899), sa scolarité (elle fut une des toutes premières «indigènes» à fréquenter l’école française en Kabylie et «cela fit scandale», la vie des kabyles chrétiens (mal à l’aise, à peine tolérés, déchirés entre les fidélités contradictoires), ses exils intérieurs et à l’étranger (en Tunisie), la vie quotidienne dure… très dure (Kateb Yacine dira que «ce n’est plus un pays, c’est un orphelinat») d’autant qu’elle n’a jamais accepté d’être «le bonne de personne (les colons cela s’entend), surtout en pays kabyle» – et, surtout, la fierté d’avoir des enfants qu’elle a aimés par-dessus tous…avec sa Kabylie qu’elle n’a quitté avec regret car désormais toute seule – qu’après le décès de son époux, en décembre 1958 .
Comme ses enfants Taos et El Mouhoub, c’est un «être-frontière» entre les deux rives de la Méditerranée, comme on voudrait tellement qu’il en existât tant de nos jours. Kateb Yacine le dit si bien: «Le livre ( ) porte l’appel de la tribu, une tribu comme la mienne, la nôtre, une tribu plurielle et pourtant singulière, exposée à tous les courants et cependant irréductible, où s’affrontent sans cesse l’Orient et l’Occident, l’Algérie et la France, la Croix et le Croissant, l’Arabe et le Berbère, la montagne et le Sahara, le Maghreb et l’Afrique, et bien d’autres choses encore…un arbre de jouvence inconnu des civilisés, piètres connaisseurs de tout acabit qui se sont tous piqués à cette figue de barbarie, la famille Amrouche»
Avis : A lire absolument. Car, c’est «un défi aux bouches cousues». A mon sens, elle est plus que digne de figurer au Panthéon des femmescourage, des femmes-repère de ce pays. Et, comme le dit Kateb Yacine «qu’on ne vienne pas me dire : Fathma était chrétienne !»
Phrase à méditer : «Je suis restée, toujours, l’éternelle exilée, celle qui, jamais, ne s’est sentie chez elle nulle part. Aujourd’hui, plus que jamais, j’aspire à être enfin chez moi, dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide, affamée de liberté, d’indépendance, l’âme de Jugurtha !»
Farès. Ouvrage mémoriel de Farida Sellal Casbah Editions (1ère édition en 1998), Alger 2007 (publié pour la première fois en 1991). 283 pages, 470 dinars
Ignorance, quand tu nous tiens! J’avais toujours cru que l’ouvrage n’était qu’un roman de plus sur les étagères des librairies. Par ailleurs, j’avais entendu parler (sans trop de détails) du drame vécu par l’auteur.
En fait, le travail de mémoire de Farida Sellal, connue, de nos jours, surtout pour ses magnifiques photos et son activité associative au bénéfice, entre autres, de l’art ancestral qu’est l’Imzad, est un véritable tour de force pour, grâce aux mots et à travers eux, «guérir»le mal qui la minait, après le terrible accident survenu à son garçon (brûlures) alors âgé à peine de trois ans. C’est, aussi, un travail qui peut aider d’autres, concernés par de tels accidents, hélas, encore nombreux dans notre pays; accidents qui nécessitent des soins hautement spécialisés. Elle raconte, sans fard, simplement, clairement, directement, sa vie, juste avant le drame (le bonheur), juste après (le désarroi), et le long chemin, un véritable parcours du combattant réussi grâce au soutien de son époux certes et aussi à son «engagement» (j’allais écrire hargne, et il y avait de quoi!), mais aussi grâce à l’amitié et à la solidarité, menant à la guérison du petit (le calvaire, puis la libération). Elle raconte, aussi, sa rencontre, avec la foi. Un livre qui raconte l’amour maternel (et parental), mais surtout la douleur d’une mère. Un livre qui se lit avec émotion, que l’on a envie, à certains moments, de refermer et que l’on continue pourtant, une minute après, à parcourir pour arriver très vite à la fin. Minute après minute, seconde après seconde, sa douleur et ses espoirs étaient nôtres.
Avis : En toute objectivité, croyez-moi ! Superbement écrit. Se lit d’un seul trait. Et, on aimerait tellement voir Farida Sellal encore écrire mais, cette fois-ci, sur les drames quotidiens de la société algérienne. On aime bien ses photos, mais je suis convaincu qu’elle pourrait être (ou aurait pu être) une grande romancière.
Phrase à méditer : «J’avais tout, je savais tout, ou, du moins je le croyais ! Ce que je ne savais pas de cette vie, c’est qu’il suffit d’un jour, d’un instant, d’une seconde, pour que toute cette existence soit déviée»
27 septembre 2012
Belkacem AHCENE DJABALLAH