Culture :
Nous avons rencontré Badr’Eddine Mili au 17e Sila et nous lui avons posé, à brûle-pourpoint, des questions sur ses œuvres mais aussi sur l’actualité du salon, de la littérature algérienne, de la critique et du champ culturel national. Voilà ce qu’il nous a répondu.
Le Soir d’Algérie : Vous vous apprêtez, ce vendredi 28 septembre, à signer, en compagnie de Noureddine Saadi, d’Arezki Metref et de Rachid Mokhtari, l’ouvrage collectif consacré au cinquantenaire de l’indépendance et intitulé Ce Jour-là. De quoi s’agit-il ?
Badr’Eddine Mili : Je dois avouer que je suis un peu gêné de parler au nom de mes amis, auteurs de ce recueil d’autant qu’ils sont au nombre de 15, de prestigieuses plumes qui ont accepté de raconter comment, avec quelles émotions et quel ressenti ils avaient vécu cette journée du 5 Juillet 1962 dont j’ai dit, dans mon texte contributif, que je l’avais imaginée «comme un fragment d’éternité prêté au temps ordinaire pour un retour au point Qanta des origines». L’idée était de Noureddine Saadi, toujours aussi perspicace et talentueux éclaireur. Et nombreux furent parmi les esprits inspirés qui ont répondu présents et contribué à produire ce feu d’artifice d’art et de sentiments, mêlés dans une bigarrure de fresques admirables de simplicité et de créativité .
Qu’en est-il de votre trilogie ? Les lecteurs attendent le troisième tome promis dans la foulée de La Brèche et le Rempart et Les Miroirs aux Alouettes bien accueillis par le public et la critique.
Ecoutez, je ne suis pas dans l’écriture automatique, stakhanoviste et je ne suis pas de ceux qui publient des opuscules, chaque semestre, en les qualifiant de roman. Bien que le temps soit un redoutable ennemi, je prends mes aises pour donner naissance à une littérature de bonne facture capable de provoquer des réactions qui renvoient soit à la réflexion soit à la connaissance et à la prise de conscience, tout en évitant de camper le rôle présomptueux de donneur de leçons et de clefs. La saga dont vous parlez connaîtra son épilogue, probablement à la fin de 2013, dans Les Abysses de la passion maudite qui revisitera la grande déchirure de la société algérienne des années 1990. On y lira la façon dont les Algériens ont géré le terrorisme et les oppositions idéologiques, politiques et culturelles qui en découlèrent, avec Stopha, un héros malgré lui, pris dans l’œil du cyclone. On y découvrira aussi comment la société a trouvé dans le recours à Novembre et à son actualité les ressources vitales pour mener son combat contre l’horreur, sortir la tête de l’eau et repartir à la conquête de la modernité et du progrès dans un consensus enrichi du pluralisme et de la diversité nécessaires à la liberté et à la viabilité d’un Etat de droit. C’est la leçon magistrale que nous a administrée cette halte salutaire et ce face à soi-même qu’a constitué la commémoration du cinquantenaire de l’Indépendance.
La Brèche et le Rempart a été retenu, précisément, dans le cadre de ce cinquantenaire, pour être adapté à la télévision. Quand pensez-vous engager le tournage du film ?
Effectivement, le roman a reçu le feu vert pour une adaptation cinématographique sous la forme de trois épisodes de 90 minutes chacun, qui seront réalisés par Karim Traidia, un transfuge de l’Académie du cinéma d’Amsterdam et lauréat de plusieurs prix qui ont consacré ses œuvres à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes ainsi qu’à ceux de Valence et de Carthage. Mon vœu est qu’il prenne le contre-pied de Ce que le jour doit à la nuit d’Alexandre Arcady et qu’il égale l’œuvre de Mustapha Badie, l’adaptateur de La Grande Maison de Mohammed Dib. J’ose espérer, d’ailleurs, que la Télévision nationale puise dans le patrimoine littéraire algérien foisonnant qui recèle, en l’absence de scénarii professionnels, de formidables trames de textes à adapter. Ceux qui y voient une solution de facilité se trompent. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir les innombrables œuvres littéraires adaptées, en tout temps, au cinéma et à la télévision, notamment aux Etats-Unis et en Europe.
Quel bilan dressez-vous de ce 17e Sila qui tire à sa fin ?
Lors de son inauguration, votre journal s’est interrogé, en une, pour savoir s’il s’agissait d’un salon ou d’une foire et il n’avait pas eu tort. Comme les années précédentes, cette manifestation a tenu de l’un et de l’autre, en ce sens que les organisateurs l’ont conçu, encore une fois, comme un gros marché de livres à écouler pensant, ainsi, faire face au déficit de distribution et de lecture qui a cours durant le reste de l’année. De plus, ces hommages rendus à tire-larigot, en veux-tu, en voilà, à d’obscures plumes, à l’exception de quelques écrivains-phares, ne sont pas faits pour crédibiliser cet important rendez-vous culturel, de la même façon que les invitations lancées à des cohortes d’étrangers, pompeusement, présentés comme «des amis de l’Algérie» qui viennent effectuer des virées touristiques à Alger, aux frais de la princesse, sans produire, à leur retour chez eux, le moindre compte-rendu sur leur randonnée en «pays indigène». Ce que certains prennent pour du lobbying est une parfaite supercherie, car si ce type d’action avait débouché sur des résultats visibles, on l’aurait su depuis longtemps et on ne traînerait pas, encore, les effets du camouflet que fut pour nous la loi française sur les bienfaits de la colonisation. Malheureusement, il existe des groupes de pression francophiles très actifs incrustés dans le paysage culturel national qui brouillent la vision et faussent les données. Le devoir des intellectuels algériens patriotes est d’y réagir vigoureusement. C’est ce qui m’incite, de temps à autre, à me fendre de fortes humeurs contre les écrits de certains de leurs icônes.
Un mot sur la critique littéraire nationale ?
Là aussi il y a du bon et du moins bon à l’instar des auteurs eux-mêmes, parmi lesquels se glissent des plumes indigentes ainsi que des opportunistes et des petits télégraphistes. Nous prenons notre mal en patience en attendant d’avoir affaire à des professionnels qui sachent faire la part des choses et informer objectivement le lectorat, au lieu de faire mousser les petits copains. Réunis ensemble, la distribution, les prix de vente et une certaine critique de complaisance constituent les principaux facteurs à l’origine de la misère de l’édition
Un dernier mot pour conclure ?
Je vous en réserve même deux. Le premier pour vous recommander le dernier Bernard Pivot intitulé C’est quoi la question ?Un journaliste pose tellement de questions, tout au long de sa carrière, qu’il en devient blasé, se posant lui même la question de savoir s’il a pu arracher, à chaque fois, à son interlocuteur, les bonnes réponses. Le deuxième, c’est celui que m’inspire Voltaire lorsqu’il pose la question à Zadig, à la manière de Socrate usant de la maïeutique avec son esclave : «Quelle est de toutes les choses du monde, la plus longue et la plus courte, la plus prompte et la plus lente, la plus visible et la plus étendue, la plus négligée et la plus regrettée, sans que rien ne se peut faire, qui dévore tout ce qui est petit et qui vivifie tout ce qui est grand ?» Et Zadig de répondre : «C’est le temps.» Des longues luttes et des combats sans fin qui furent les miens, je tire une seule leçon qui me tient lieu de viatique : l’homme doit se faire tout petit face au temps qui est «la mesure de l’éternité, qui fait oublier tout ce qui est indigne de la prospérité et immortalise les grandes choses !» Fin de citation et à de prochains rendez-vous pour vous raconter la suite de mon actualité.
R. N.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/09/27/article.php?sid=139645&cid=16
27 septembre 2012
Auteurs Algériens