Dans une contribution (in Liberté du 19 juin 2012), intitulée : «L’étatisme économique est l’ennemi de la prospérité», Taïeb Hafsi, professeur en économie à HEC Montréal, vante les mérites de la libre entreprise en Algérie, en citant des exemples de réussite d’entrepreneurs privés : Rebrab, Benamor, Hasnaoui, etc. Quant à Omar Aktouf, professeur dans la même université, dans une contribution (in El Watan du 14 août 2012), intitulée «Eternelle stratégie de l’autruche néolibérale», il prône le retour à l’étatisme, «pour solutionner les problèmes économiques de l’Algérie».
Au passage, il égratigne son collègue : «Taïeb Hafsi fait appel à la rescousse ses inspirations étasuniennes, pour tenter de trouver solution à la terrible équation algérienne…» Ce dernier réplique : «Il (Aktouf) a décidé de partir en guerre contre le capitalisme international et l’impérialisme…» On l’aura compris, il s’agit à la base d’un débat idéologique «gauche/droite», à deux mille lieues (distance d’Alger à Montréal) de nos préoccupations quotidiennes, dans un pays livré à l’«économie de bazar» ; rare point de convergence entre les deux universitaires… Voici grosso modo l’objet de la polémique entre les deux hommes, installés à Montréal, dans un quasi-paradis sur Terre, à des annéeslumière de l’Algérie, dans tous les domaines. Loin de moi l’idée de leur jeter la pierre : c’est le rêve partagé par une écrasante majorité d’Algériens qui cherchent par tous moyens à émigrer à l’étranger ; les cris de «Visa ! Visa ! Visa !» lancés par le peuple de Bab- El-Oued, à l’adresse de Jacques Chirac en 2001, en sont la cruelle réalité. Par ailleurs, un sondage réalisé par le journal Liberté en décembre 2008 montre que «la moitié des habitants de l’Algérie est tentée par l’étranger » et «81% des sondés affirment qu’il y a dans leur entourage des personnes en stand-by, prêtes à faire le grand saut et se disent disposées à payer très cher pour cela». Si MM. Hafsi et Aktouf partageaient notre condition d’Algérien (ce que je ne leur souhaite pas, du moins en l’état actuel des choses), ils auraient sans doute apprécié autrement l’ordre des priorités, non sous l’angle économique, mais dans son éminentissime caractère politique. Dans les années 1970, les choix politiques malheureux mis en œuvre, avec des «révolutions» pilotées par un système étatiste outrancièrement bureaucratisé, ont conduit à des pénuries chroniques de toutes sortes et leurs corollaires les files d’attente humiliantes. Au lieu de travailler, de se cultiver et de jouir des choses de la vie, paysans, ouvriers, fonctionnaires, etc., consacraient une partie de leur existence au ravitaillement dans des Souks-El-Fellah parcimonieux, en toutes sortes de produits : œufs, lait et laitages, fruits et légumes, viandes, etc. Et voilà qu’aujourd’hui l’«économie de marché», devient «économie de bazar». Ainsi, lorsque l’Algérie comptait 14/15 millions d’habitants, nous avions de l’argent (grâce à la planche à billets) mais sans trouver l’équivalent en produits sur les étals. Aujourd’hui, à la faveur de l’argent du pétrole, le marché regorge de produits, portant des codes à barres trempés dans la sueur de peuples lointains, mais le porte-monnaie de la majorité des ménages est vide. Voilà un Etat enrichi grâce à la manne des hydrocarbures et un peuple appauvri paradoxalement pour les mêmes raisons. Nous sommes dans la continuité du credo politique des années 1970, selon lequel la bonne ou la mauvaise fortune ne peut venir que du système… La problématique de l’Algérie se pose prioritairement, me semble-t-il, sous l’angle politique, en l’occurrence la gouvernance entre l’Etat, le corps politique et la société : une approche de la démocratie participative, suivant un triptyque, «où deux des acteurs contrôlent le troisième» : formule préconisée par l’ONU sans recueillir les faveurs ni de la classe politique ni des élites algériennes ; la preuve le sujet n’est jamais ou presque pas débattu… En attendant, faute d’implication des Algériens dans la chose publique, notre pays peine à régler des problèmes prosaïques, liés à la satisfaction de simples besoins, relevant du droit humain : coupures chroniques d’eau, électricité, téléphone, internet, etc. ; marchés improvisés sur les trottoirs et les chaussées, au milieu de la saleté repoussante de la cité, nécessitant des campagnes de propreté à la veille de chaque échéance électorale des APC ; perturbation cyclique des circuits de distribution de la nourriture, des médicaments, des carburants ; inexistence des instruments des paiements (chèques, carte bancaire, etc.) dans le commerce ; usage de manière indécente de la monnaie liquide, sale et mutilée, transportée dans la fameuse chkara ; preuves s’il en est de la mainmise de la mafia financière sur une partie non négligeable de l’économie du pays ; absence de facturation et de traçabilité de produits et marchandises vendues sur les marchés ; pénuries insensées des timbres postes et fiscaux se vendant au marché noir ; inexistence de commissions paritaires (prudhommes) pour l’arbitrage des conflits sociaux entre employeurs et employés ; des employés qui vont jusqu’à provoquer la faillite de l’entreprise qui les emploie, sans que le propriétaire puisse se faire justice par les voies de droit ; pléthores d’effectifs avec lesquelles on tente de suppléer à l’inénarrable absentéisme d’une ressource humaine aux prises avec une foule prodigieuse de maux sociaux (entassement dans des logements précaires et insalubres, transports en commun défaillants, insécurité, harcèlement bureaucratique, etc. ; hôpitaux-mouroirs, devenus lieux de pugilat où le personnel du corps médical se fait tabasser par des familles des malades (le dernier en date s’est produit à Constantine) ; des automobilistes qui «pètent» les plombs suite aux retraits absurdes du permis de conduire, selon un registre barbare n’existant nulle part au monde : au point qu’un automobiliste de Khenchela a bourré sa voiture d’explosifs dans le but de faire sauter le commissariat de la ville, le 3 août 2012… Voici présentés à grands traits certains problèmes sociaux, représentant autant de phénomènes antiéconomiques, auxquels sont confrontés les Algériens, mais dont l’essence est éminemment politique : l’absence de contrepouvoirs réels… La problématique de notre pays se pose, certes, en termes de pensée économique : la stérilité de l’Etatpatron dans les années 1970 et l’économie de bazar aujourd’hui. Mais l’option économique constitue un élément et non l’élément de la problématique algérienne… En effet, avec des réserves d’environ 200 milliards de dollars déposées à l’étranger, l’Algérie pourrait tenir 5 ans en s’offrant le luxe de continuer à vivre sous perfusion à partir du sous-sol saharien, représentant 98% de nos recettes en devises et les 2/3 des recettes budgétaires : un véritable matelas financier servant à la satisfaction du train de vie de l’Etat, des besoins socioéconomiques et de ressorts politiques pour colmater toutes les brèches sociales. Malgré l’absence de stratégie de développement, le revenu économique du pays ne présente pas de caractère d’urgence, tant que les hydrocarbures charrient de la richesse (hélas, sans créer d’emplois productifs, se traduisant par 20% de taux de chômage). Mais cette fausse richesse chasse la bonne : celle du travail honnête, de la sueur, de l’esprit d’entreprise… Comment on en est arrivé là, s’il n’y avait pas à l’origine une énorme faille politique, en corrélation étroite avec l’absence de démocratie ? Ce n’est pas l’étatisme, ni le libéralisme qui changeront quoique ce soit à cette équation. A mon avis, il y a déficit de réflexion politique, en vue d’un changement de ce système de toutes les apories (contradictions logiques conduisant à une impasse du raisonnement)… En l’absence de contrepouvoirs réels, le système cherche la pérennité, avec le même personnel politique, au risque de «pourrir» tout le corps social avec l’argent du pétrole ; bien extorqué à nos enfants et petits-enfants à qui on risque de laisser, à ce rythme, un pays failli. Et celui qui cherche à créer de la richesse, en dehors du système, sera fatalement cloué au pilori, avec des chausse-trapes empoisonnées, dignes des pièges des ninjas, durant la période médiévale nippone ! Dans de telles conditions, quel sort pourrait être réservé, par un système politique qui fonctionne par lui-même et pour lui-même depuis 50 ans, aux choix économiques proposés par l’un et l’autre des deux universitaires montréalais ? A moins d’un changement pacifique et constructif, sur la base d’un consensus national. Or, cela suppose l’existence d’une opposition politique réelle et non choisie par le système, ou à tout le moins des contrepoids véritablement indépendants, du genre médiateur de la République (France, Tunisie, Maroc) ; ombudsman (Suède, Canada…) ; comité de médiation en Chine ; protecteur du citoyen (Pays d’Amérique latine), etc. Or, le système ne veut rien de tout cela. N’a-t-il pas fait la peau au corps des médiateurs de la République, créé en 1996, par le président Liamine Zeroual ? Malgré le travail appréciable accompli, cette institution fut congédiée sans autre forme de procès. Le passage à la trappe de ce corps institutionnel, au lendemain du départ en 1999 de l’auteur de ses jours, démontre à l’évidence le poids colossal de la bureaucratie dans la gestion des affaires du pays ; être capable d’enterrer des institutions et des lois qui dérangent ses sbires, cela n’existe dans aucun pays au monde… Dès lors, il devient inutile de chercher à faire passer des idées économiques, les plus lumineuses soientelles, avec un système hermétiquement fermé à tout ce qui ne vient pas de lui. D’où puise-t-il de tels pouvoirs occultes en totale impunité, sinon du système politique ? Pourquoi le terrorisme des bureaux n’est-il pas combattu avec la rigueur qui s’impose, malgré les promesses depuis 1979 des régimes successifs d’éradiquer ce fléau ? Avec un système bureaucratique «clos et couvert», non soumis à aucune surveillance ni tenu de rendre des comptes, nulle option économique préconisée par les deux universitaires montréalais n’a de chance d’aboutir, tant que le pays ne sera pas débarrassé de ce système monstrueux, comparable à celui né dans l’imaginaire de la romancière britannique Mary Shelley, à travers le personnage du docteur Frankenstein, qui fabriqua un monstre échappant à tout contrôle. Dès lors, pour continuer à exister comme individu respectable, l’Algérien émigre à l’étranger où le travail, les connaissances et les sciences de nos compatriotes ont droit de cité : on apprend par Internet qu’ils sont 7 à 8 millions d’Algériens, parmi eux 100 000 hommes d’affaires et des dizaines de milliers d’universitaires, installés à l’étranger… Pourquoi choisir l’exil si l’Algérien avait la possibilité de vivre convenablement et de créer chez lui de la richesse ? La réponse coule de source… L’Algérie a besoin prioritairement d’un check-up politique : il nous faut connaître la pathologie dont est l’objet le corps social ; comprendre les raisons pour lesquelles les défenses immunitaires de la société ne fonctionnent pas et éventuellement extirper ce mal profond, inoculé à l’aube de l’indépendance à tout un pays, tel un virus pathogène d’une redoutable virulence. Tous s’en plaignent, mais tout le monde semble s’en accommoder, tant est immense le sentiment d’impuissance à le combattre. Un sentiment à la mesure du désarroi qui s’est emparé de pans entiers de la société, dès lors que les conditions diagnostiques et thérapeutiques sont difficiles à mettre en œuvre. Pendant ce temps l’élite soliloque (à quelques exceptions près) et c’est une autre dimension de nature intellectuelle, qu’il faut rajouter à la crise multidimensionnelle de ce pauvre pays ! Les Algériens ont fait le choix de la résignation volontaire (chacun pour soi et Dieu pour tous), après nous être retournés contre nous-mêmes, avec un bilan traumatique de l’ordre de 200 000 morts. Il est peut-être temps de faire un examen de conscience : n’est-ce pas le rôle de l’intellectuel d’expliquer au peuple qu’il est à la base la première victime du mal politique qui ronge le pays, certes, mais il est également coresponsable de cette monstruosité, au même titre que les pères fondateurs du système, en l’occurrence le duo Ben Bella-Boumediene : surtout le second pour en avoir jeté les fondements, durant son long règne d’autocrate absolu, sans lois ni institutions, toutes mises aux placards, pendant 13 ans?… Pour jeter finalement tout un pays dans la gueule d’une bureaucratie qui deviendra à la longue un pouvoir tentaculaire, nuisible et incontrôlable ! Rousseau disait : «Il n’y a pas de corps politique sous un régime despotique, car le peuple ne devient peuple que par un pacte d’association.» Mais E. de La Boétie délivre un autre message dans son fameux discours sur «la servitude volontaire des peuples…» ; J. De Maistre disait aussi «toute nation a le gouvernement qu’elle mérite !» ; et pour finir avec de la poésie, savourons ce formidable couplet de Baudelaire : «Je suis la plaie et le couteau, la victime et le bourreau.» ( Les fleurs du mal). Mais, à la décharge de ce peuple, il faut dire qu’un clan décidé, comme celui d’Oujda, pouvait avoir raison d’une foule éparse de 8 millions de personnes en 1962… Par analogie, on apprend dans Toute l’histoire du monde qu’une poignée de conquistadores espagnols (60 au total) s’empara de l’empire incas, sans coup férir. Il leur a suffi de mettre en confiance le souverain, de lui offrir des curiosités venues d’Europe et puis le prendre en otage, avec une incroyable audace ; ainsi, finiront-ils par tenir en respect tout un royaume, comptant une douzaine de millions de sujets… L’Algérie s’est trouvée dans ce cas de figure prise en otage par la volonté d’une poignée d’hommes résolus : notre souverain — le peuple — est depuis 50 ans ligoté dans ses langes comme un enfant… il gigote ici et là pour satisfaire son tube digestif ; il fait la «politique du ventre» qu’on appelle : la biopolitique… Mis à part un bref intermède de trois ans, suite aux émeutes d’octobre 1988, où nous avons cru au miracle de voir enfin le peuple pétrir son destin de ses propres mains… On connaît la suite ! Le système politique algérien est très complexe et plus pernicieux que tout ce qui est imaginable : il a réussi le tour force de tester, dans son laboratoire alchimique, tous les régimes enseignés en sciences politiques, pour sortir finalement de son éprouvette le monstre tant décrié, contre lequel tout un pays est désarmé : nul ne lui échappe, pas même des présidents, des généraux, des ministres, des chefs d’entreprise, l’homme de la rue… Il s’agit d’une sorte de polyarchie (organisation composite) dans laquelle on retrouve de manière diffuse un peu du tout politique : de l’autocratie, de la cryptocratie, de la kleptocratie, du beylicat ; du népotisme ; du clientélisme ; du régionalisme d’Etat ; du clanisme ; de l’ethnocratie ; de la médiocratie ; une redoutable bureaucratie ; de l’oligarchie ; de la théocratie; de l’anarchie (avec pour devise : taag aâla men tag) ; de l’ochlocratie… En fait, l’ochlocratie (pouvoir de la foule) est beaucoup plus un «laisser-faire» el-ghachi (pourvu qu’il s’occupe de son ventre, sans se mêler d’intrigues politiques). Mais son existence permet de justifier la vacuité de tous ces adjectifs : «populaire» ; «démocratique» ; «national» ; et autres slogans «par le peuple et pour le peuple», etc., servant de décorum sur les frontons des édifices bureaucratiques. Au risque de me répéter, la première cause du malheur commun tient à la société de pouvoir et d’autorité politique en Algérie ; source dans laquelle s’abreuve le système polyarchique. Comment dès lors peut-on opter pour tel ou tel modèle économique quand nous n’avons pas réglé les problèmes de fond, en l’espèce : le choix de société et la nature du régime politique ? Parmi les 12 millions d’Algériens vivant à la limite du seuil de pauvreté, nombreux sont ceux qui ne se posent plus la question de savoir comment remplir leur ventre, sans devoir se livrer à des actes répréhensibles auxquels beaucoup sont poussés irrésistiblement… Et ceux qui se font appréhender en volant pour manger sont traduits en justice, alors que les prédateurs de notre mère nourricière (l’Algérie) jouissent de l’impunité… Si le pays est au bord de l’implosion, le système économique n’est pas en cause autant que la répartition inégale de la richesse nationale, par un système politique chaotique… Ladite opposition a-t-elle une seule fois diligenté une enquête parlementaire sur un sujet ou un autre qui touche à l’intérêt national ? Sonatrach, autoroute Est-Ouest… Quant à l’élite, elle n’a certes pas le pouvoir de l’homme politique, ni même le pouvoir spirituel de l’imam, mais elle a l’insigne privilège d’être nantie du Savoir universel lui permettant d’exprimer des idées originales. Mais ce statut ne l’autorise pas à se tromper dans l’ordre des priorités, de problématique, de peuple, de siècle, de pays… Les deux thèses développées par les deux universitaires se discutent «étatisme de Aktouf» et «libéralisme de Hafsi». A mon avis, leurs options respectives dépendent prosaïquement, au-delà du contexte historique, du poids sociologique et du niveau culturel, de la volonté politique de bien ou mal faire… L’exemple de l’«économie de marché socialiste » en Chine n’incite- t-il pas à la réflexion ? Voilà un bel exemple de synthèse d’un système libéral, piloté par l’Etat et le PCC (sujet sur lequel T. Hafsi a fait plusieurs communications). Le régime politique chinois n’a pas cessé de se remettre en cause : il lui a fallu au préalable entreprendre de véritables purges (révolution culturelle…), engager des réformes profondes du parti, de l’Etat, des corporations, avec un personnel politique sans cesse renouvelé ; de nombreuses têtes de l’appareil politique sont tombées, plutôt que de faire couler bêtement le sang des Chinois… Ainsi, le dogmatique PCC a réussi avec pragmatisme à amarrer, en moins d’une génération, ce pays de 1 milliard 340 millions d’habitants à la modernité. Aujourd’hui, l’élite est partout ! Elle est choisie parmi les lauréats au sortir des universités et écoles chinoises, qui forment 1 million d’ingénieurs/an : cette vision a conduit à une parfaite maîtrise du savoir-faire managérial et technologique, faisant passer ce pays au stade de 2e économie mondiale, en passe de devenir la première et dorénavant le 1er laboratoire du monde… La nouvelle option économique chinoise n’est-elle pas de nature à concilier les positions de nos deux universitaires montréalais, en faisant une synthèse par superposition de leur modèle respectif ? En Algérie, du fait d’une économie dirigiste, gérée par injonctions bureaucratiques par des tutelles qui tirent à hue et dia, le secteur public ne sera jamais performant, d’autant qu’il traîne des «éléphants blancs», extrêmement coûteux à la collectivité ; résultant d’une politique économique désastreuse (industrie dite industrialisante), initiée dans les années 1970 par Belaïd Abdesselam, inspiré par E. De Bernis et cautionnée par Boumediene. Comme il fallait s’y attendre, ils avaient fait fausse route «en achetant au lieu de construire un système productif», comme le soulignait à juste titre Rachid Boudjema, Docteur en économie. (Cf. Economie du développement de l’Algérie). L’Algérie porte encore sur ses épaules le legs de ce modèle de gestion lamentable économiquement et frustrant psychologiquement, pour avoir ruiné tous les espoirs des Algériens. Quant au secteur privé, il est fragile parce que les «capitalistes» algériens rasent les murs ; ils craignent d’être trop visibles, au risque de subir les effets boomerang d’un système politique imprévisible, et pour tout dire parano : un capitaliste non créé ou contrôlé par lui l’inquiète et le dérange ; d’où la pertinence de la question de Omar Aktouf sur les origines des fortunes… En réalité, l’histoire de la ploutocratie algérienne est ancienne, autant que l’est l’infortune de la bourgeoisie des origines. Elle débuta en 1963, lorsque la dvoïka Benbella-Boumediene prit le parti d’acheter, à coups de centaines de millions de dinars, les «départs» à la retraite des anciens officiers de l’ALN, avec des crédits à fonds perdus, puisés dans la bourse déliée de l’Etat-patron naissant. Pendant ce temps, pleuvaient les nationalisations sur les biens d’honnêtes bourgeois… Lorsque Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda et leurs compagnons s’opposèrent aux dérives du régime de Boumediene, en rédigeant un manifeste en 75, ils furent assignés à résidence et leurs pharmacies confisquées, sans autre forme de procès ; en sorte que, privés de ressources économiques, ils se trouvèrent à la merci du pouvoir… Bon nombre d’entreprises sont acculées à la faillite par pression bureaucratique, quand d’autres sont purement et simplement empêchés de faire «décoller» leurs projets : c’est le cas de SB (le Monsieur Dassault algérien), un industriel de Tiaret qui s’est ruiné en investissant au début des années 2000 la bagatelle de 90 millions de DA pour créer une industrie aéronautique, avec l’ambition de fabriquer des hélicoptères, des avions taxis et d’épandage agricole (même des drones). Son projet fut inauguré en 2003 par le président de la République et, après lui, trois ministres des Transports ont défilé dans ses ateliers en grande pompe. Ainsi, des prototypes, ayant obtenu des prix dans des salons internationaux, leur furent présentés et filmés à plusieurs reprises par la télé. En dépit d’encouragements et moult promesses, aucun de ses aéronefs n’a décollé depuis une dizaine d’années, à cause de blocages bureaucratiques inexpliqués à ce jour… De tels traumatismes, ayant pour toile de fond le pouvoir économique des individus, gratifiant certains et frustrant d’autres, laissent inévitablement des traces indélébiles dans la mémoire collective, raison pour laquelle le credo de bon nombre d’entrepreneurs algériens et étrangers est la spéculation ici et tout de suite… Le nombre de cas de réussite cité par T. Hasfi peut être multiplié à l’infini, dans une économie fondée sur le secteur privé. Mais comment faire dans un système de gouvernement qui appréhende l’entreprise sous l’angle politique, au lieu de la considérer dans sa dimension socioéconomique ? En outre, l’interventionnisme intempestif du gouvernement est-il de nature à créer un climat de confiance dans les milieux d’affaires ? Sinon de limiter la portée des investissements locaux et étrangers et de rendre hypothétique toute projection à long terme des entreprises existantes… En effet, certaines décisions malheureuses du gouvernement Ouyahia (entre autres) n’ont pas été sans conséquences sur la gestion économique du pays : traumatisme des cadres par la pénalisation de l’acte de gestion ; système bancaire bridé ; non-transfert des créances des transporteurs étrangers, à qui on a prêté le flanc pour imposer désormais à notre commerce extérieur le paiement d’avance du fret ; un décret en voie de parution prévoit le contrôle du commerce extérieur par des sociétés étrangères d’inspection, à des coûts inimaginables (à vouloir sauver 1 dinar on en dépense 10 en devises) ; obligation d’ouverture du crédit documentaire au mépris de la volonté des parties au contrat commercial international, etc. (Cf. l’article de l’auteur intitulé : Le crédit documentaire obligatoire, des conséquences désastreuses, El Watandu 07/02/12). Dans un environnement fait de blocage, de suspicion et d’interventionnisme politico-bureaucratique, à quel sort sont vouées les options économiques préconisées par les deux universitaires montréalais ?
K. K.
*Journaliste indépendant, auteur, consultant et formateur.
Point de vue sur la polémique entre universitaires algériens au Canada Par Kamel Khelifa *
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24 septembre 2012
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