Le Abou Emir est donc une production nationale du pays « arabe » mais destinée à l’exportation. De son pays d’origine, le Abou Emir ne garde que son pseudo et une famille consternée et anonyme. Fils de qui ? De plusieurs circonstances : diffusion éditorial du wahabbisme, échec des indépendances, répression des polices politiques, échec scolaire et amoureux et mauvais rapport avec le Père et le surmoi. Le Abou a de l’influence mais il provoque des doutes : car la durée de vie d’un vrai djihadiste est de vingt-cinq ans. Si le Abou Emir a 40, c’est qu’il a acheté une dizaine d’années de plus en monnayant quelque chose. Passons. Donc à 04 heures du matin le Abou Cheikh est en Arabie saoudite. A 08 heures il est au Pakistan avec halte thermale en Afghanistan. A midi, il est au Maghreb et vers 13 heures il est au Sahel ou à Tunis-ville ou au Sinaï. Il ne meurt jamais ou seulement comme Nabil M., aussi connu sous le nom de Nabil Alqama. Emir adjoint d’El Qaïda au Sahel et qui est mort dans un accident de voiture en allant payer la dime à un chef de tribu dont il avait tué l’âne par erreur (Ô respect insondable de l’humain et de l’animal chez ces gens !). Physiquement : le même partout. Yeux petits, barbe disparate, front dégarni, cheveux longs, taille moyenne, visage peu beau ou déformé par une étrange volonté de tuer jusqu’au jugement dernier, nez droit et doux mixage entre le sourire et le hurlement. Collections ? La bombe, les femmes mais surtout les otages blancs, les chaussures sport Nike, la jupe longue au-dessus de la cheville, le khol, internet, les grands couteaux, les séjours All-inclusif au Sahara, les motos du Mollah Omar, les ultimatums.
L’Emir est donc de plus en plus typé, on le reconnaît vite dans la mosquée ou sur Youtube. Il a un gros trait incompréhensible qui fait qu’on ne sait pas pourquoi il croit si intensément à sa mission, quel est son salaire et pourquoi tant d’effort dans le désastre. C’est que l’Emir est rarement débile comme ses disciples qui meurent sous ses doigts. On dirait une grosse intelligence déçue par une ancienne affaire personnelle. Il ne fait jamais de la politique et regarde avec mépris les islamistes dit modérés. Lui est dans l’épopée alors qu’eux sont dans l’attente des élections. On l’a vu en Algérie, à Kaboul, à Tunis cette semaine, au Sinaï. En Arabie saoudite il est dit « Savant » et a un salaire et travaille assis. Ailleurs, dans les autres déserts, il travaille au contrat, debout et avec une moto ou un œil borgne et une main coupée. Quand va-t-il mourir ? Un jour, une nuit. Lorsqu’on cessera de l’utiliser et de le subir.
19 septembre 2012
Kamel Daoud