Contribution : Contribution
Pourquoi l’Algérie officielle peine-t-elle ou tarde-t-elle, 27 ans après sa mort, à rendre à Ferhat Abbas ce qui lui revient et à reconnaître, avec la solennité qui sied, les éminents services qu’il a rendus à la patrie ? Sur le compte de quel inflexible préjugé, cette lenteur, cette réticence sont-elles à mettre ?
L’origine sociale, le parcours atypique de l’auteur du Manifeste? Ses déclarations controversées et pas tout à fait recoupées sur l’existence de la Nation algérienne ? Son opposition aux deux premiers présidents de la République de l’Algérie indépendante ? Son statut d’homme du savoir qui n’avait pas sa place dans le scénario du jour d’après ? Ou son profil d’anti-héros qui ne cadrerait pas avec le portrait-type du révolutionnaire pur et dur que l’historiographie du nationalisme dit radical a dressé, en traçant une ligne rouge entre «les novembristes et leurs compagnons de route», selon le mot de Lakhdar Ben Tobbal ? Pourtant, certains thaumaturges ont, dans leur bienveillante magnanimité, absous, avec une surprenante facilité, des fautes autrement plus graves qui ont failli mettre en péril les fondations du projet indépendantiste, lorsque Messali Hadj, aveuglé par l’orgueil blessé du chef détenteur de la vérité absolue, a créé la machine de guerre du MNA pour saper, à leur naissance, le Front et l’Armée de libération nationale. Ils y ont consenti, en faisant semblant d’oublier le verdict rendu par les retournements de l’Histoire qui tiennent, souvent, à la lucidité et au génie de leurs acteurs, en voulant que Ferhat Abbas débute sa longue marche par des positions réformistes, minimalistes, parfois contestables, et la termine par l’adhésion à la Révolution armée à l’inverse d’un Messali Hadj qui l’entame, en visionnaire flamboyant, et l’achève en responsable d’une tentative d’infanticide politique. C’est toute la différence qu’il y a entre la politique, art du possible, propre au pragmatisme et la politique, exercice de l’infaillibilité, propre au dogmatisme. Il y a dans ces questionnements et dans ces leçons suffisamment de motifs valables qui incitent, aujourd’hui, à revisiter le sujet et à l’arracher à l’amnésie volontaire ou involontaire qui a frappé de larges secteurs de la société algérienne, à la faveur du voile jeté, depuis 1962, sur les hommes et les idées qui ont inspiré et préparé, de près ou de loin, l’éveil de la conscience nationale. Sans céder au subjectivisme, à la naïveté ou à la tentation du synchrétisme qui sont faits pour dénaturer le sens de l’Histoire. L’intérêt qu’il y a à relire, plus attentivement, ces pages est d’autant plus nécessaire et utile que le vieux débat sur les sources idéologiques de la Révolution du 1er Novembre 1954 resurgit, en ce cinquantenaire de l’indépendance, avec une fébrilité qui en dit long sur la persistance des différends doctrinaux ayant opposé les partis politiques à l’origine de la structuration du Mouvement national entre 1918 et 1953, ainsi que sur la volonté de peser sur les choix d’avenir du système de gouvernance de notre pays. Les motivations des animateurs de ce débat ne sont, en effet, ni innocentes ni désintéressées. Chacun essaie de se repositionner sur l’échiquier pour redorer le blason de son clocher ou se fabriquer une nouvelle virginité en mettant à profit le désordre de la conjoncture, ses doutes, ses errements et ses règlements de comptes, laissant croire que l’Algérie est une auberge espagnole où n’importe quel apprenti- laborantin de passage peut venir, librement, vider ses ordures idéologiques. A lire les «analyses» et «contre-analyses» qui paraissent, régulièrement, dans les colonnes des journaux nationaux, autour de ce thème, on arrive, difficilement, à dénouer l’écheveau bigarré des messages transmis à l’opinion par des porte-parole ou des porteplume, agissant, vraisemblablement, au nom de chefs de file rétifs à quitter le confort de l’ombre. Selon qu’ils fréquentent telle ou telle chapelle ou qu’ils s’apparentent à telle ou telle sensibilité, on apprend, dans leurs écrits, que le Mouvement indépendantiste et la Révolution armée doivent, tout ou partie, de leur genèse et de leur consécration victorieuse, soit à la Révolution française de 1789, soit au mouvement prolétarien international, quand ce n’est pas à la Nahda islamique des années 1930 ou au panarabisme nassérien ou baathiste, chaque camp s’évertuant à soutenir la prééminence de sa thèse à l’aide de références idéologiques et historiques déclarées scellées et non négociables. Des daltoniens vont jusqu’à prétendre, dans de curieuses recherches de paternité, que la Révolution algérienne «est l’enfant naturel de la générosité internationaliste » et qu’elle n’aurait pu se concevoir sans le saint héritage de la Commune de 1871, occultant le fait que les communards avaient débarqué en Algérie, par milliers, après leur échec, «condamnés» par les «royalistes» de la IIIe République à terminer, paisiblement, leurs vieux jours sur les terres prises aux Algériens, en compagnie des Mahonnais, des Bretons, des Corses et autres Allemands, Suisses, Maltais et Espagnols… sans cracher dessus ! On imagine bien, après cela, que l’ambition de ces quelques lignes, forcément limitées par l’espace imparti, est de revenir, sans discrimination, aux vérités premières et de procéder, pour les besoins du présent et de l’avenir, à une saine identification et à une évaluation non partisane des voies et des moyens empruntés et utilisés par le Mouvement national pour aboutir à la mise en route de ce fabuleux processus du 1er Novembre 1954, l’un des épisodes les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle, reconnu comme tel, pour son caractère, à la fois, universel et singulier, sans précédent. Il ne serait pas superflu de comparer ces sources en fonction de leur ancienneté et de leur influence réelle sur le résultat final et de faire la part des déterminants endogènes, propres à la culture, à la sociologie et aux combats intrinsèques du peuple algérien et celle des apports exogènes, induits par le contact avec les expériences révolutionnaires ou démocratiques mondiales. Ferhat Abbas, Messali Hadj et Abdelhamid Ben Badis ont, à cet égard, représenté et porté trois courants – source qui ont fourni, à partir de la praxis des classes sociales sur lesquelles ils s’appuyaient, une partie des valeurs et des clefs avec lesquelles le Mouvement national a vécu et progressé, jusqu’à ce que la dynamique de la volonté populaire les dépasse, en optant pour le recours aux armes et donne à la doctrine de la Révolution un contenu qualitativement supérieur, propre et autonome, clairement exposé dans la Proclamation du 1er Novembre 1954 puis dans la Plateforme de la Soummam de 1956.
1 – Réformisme et Révolution
L’un des étranges paradoxes qui ont contribué à façonner l’atypisme de Ferhat Abbas est que ce natif de Taher, fils d’un agha, n’ait été à aucune école traditionnelle, une originalité rarissime dans ce terroir des contreforts du Nord constantinois connu pour être le pays des Koutamas, une population rude, très conservatrice, arabophone, attachée à l’Islam et qui contra, en 1839, aux portes de Jijel, les troupes d’invasion commandées par Saint Arnaud , l’un des premiers gouverneurs généraux de l’Algérie. On ne sait à quoi imputer cette exception dans une région qui a donné des co-fondateurs de l’Association des Ulémas algériens, à l’image de Cheikh Moubarek El-Mili. Mais le fait est que sa non-maîtrise de la langue arabe ne sera pas l’un des moindres talons d’Achille de l’homme, surtout dans ses contacts directs avec la population, notamment dans les meetings où il étalait, par contre, en français, la verve d’un orateur qui n’aurait pas démérité face à celle d’un Cicéron. Il fréquentera, donc, exclusivement, l’école coloniale et se révélera, à la suite de brillantes études secondaires et supérieures, un réformiste moderniste, pénétré des principes de la philosophie des lumières et de la démocratie libérale dont il fera son livre de chevet, apparaissant, par certains côtés, proche du modèle de Sun-Yat-Sen ou de Salama Moussa, le premier expérimentateur arabe, sous le mandat du roi Farouk, du moins pire des systèmes de gouvernance, selon la boutade de Winston Churchill. A la nuance près, qu’en Algérie, il n’y avait pas une Révolution bourgeoise à accomplir, mais, plutôt, un soulèvement national à préparer contre le système colonial. Messali Hadj était aux antipodes des origines, de la personnalité et des idées de Ferhat Abbas. Fils des monts de Tlemcen, paysan pauvre qui exerça divers métiers dont celui d’apprenti- coiffeur, adepte de la confrérie de Darkaouas, il émigra, tôt, en France où il se frotte, chez Renault, au monde de la grande production capitaliste, au syndicalisme et à la Troisième Internationale qu’il côtoya, avec Inal et Radjef, grâce à sa proximité avec le Parti communiste français. C’est au cours de cette période qu’il acquiert l’expérience du révolutionnaire indépendantiste qui lui sera d’un grand secours, lorsque viendra l’heure, pour lui, de fonder un parti d’avant-garde et de se forger une personnalité charismatique, fortement marquée par le sens de la justice qui ne déparerait pas d’avec celle d’un Auguste Blanqui, «l’Insurgé permanent» qui a dû, quelque part, inspirer certains des traits de son caractère. Il n’est pas faux de soutenir qu’il crut, lors de la fondation de l’Etoile Nord-Africaine, en France où l’émigration algérienne était bien organisée et disciplinée, dotée d’un niveau de conscience politique et d’une culture militante aguerrie, que le Mouvement ouvrier international pouvait aider à l’émancipation des peuples colonisés. Bien qu’il eût dû être édifié par le silence observé, le siècle d’avant, par Marx sur le cas de l’Algérie lors de son passage à Alger, pour s’y soigner. On appelait, à cette époque, les peuples dominés, les peuples d’Orient, en référence à la Chine, à l’Inde, à la Turquie et à l’Égypte où les étoiles montantes avaient pour nom Mao Tsé-Toung, Ghandi, Atatürk et Saad Zaghloul. Le militant progressiste qu’il fut, dut, cependant, déchanter lorsqu’il s’aperçut que les orthodoxes comme les révisionnistes du Mouvement ouvrier international subordonnaient «l’émancipation» des peuples colonisés à la prise du pouvoir par le prolétariat, le Prométhée démiurge promis par Karl Marx, reléguant aux calendes grecques l’indépendance des nations sous domination, parmi lesquelles celles du Maghreb qui n’étaient inscrites sur aucun agenda internationaliste. Sa déception s’avéra d’autant plus grande que ce fut le Front populaire qui interdisait son parti, une prémisse qui annonça la future position du PCF qui professera la thèse de «la Nation algérienne en construction» qui ne sera libérée qu’une fois son processus achevé et le prolétariat français aux commandes du gouvernement, autant dire jamais. Là aussi, la liquidation physique, dans les années 1920, de Sultan Galiev, le secrétaire aux nationalités de l’Union soviétique, accusé de déviation islamo- communiste, aurait dû renseigner davantage sur les réticences manifestées par le mouvement ouvrier international, face aux aspirations des nations composant l’Empire. .
2- Le temps des illusions
Allié aux icônes de la bourgeoisie constantinoise, Benjelloul et Belhadj Saïd, leaders de la Fédération des élus, Ferhat Abbas a pensé, jusqu’à la fin des années 1930, que les classes favorisées qui avaient accédé à l’exercice, même limité, des professions libérales et à la production capitaliste, même réduite à son expression manufacturière de base, pouvaient représenter une alternative politique au nationalisme dit radical et conduire, avec l’appui des élites éclairées, les Jeunes Algériens de l’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abdelkader et des Ulémas de Abdelhamid Benbadis, fils d’un fonctionnaire de la préfecture de Constantine, un bloc socio-politique crédible avec lequel le pouvoir colonial accepterait de dialoguer. La revendication de l’égalité en droits avec les Français et, par conséquent, l’assimilation des Algériens, avec le maintien de leur statut personnel que miroitera le projet Blum-Violette, s’inscrivit dans cette «stratégie pragmatique» qu’il partagea avec les Jeunes algériens et les Ulémas rejoints par le Parti communiste algérien au Congrès musulman, réuni le 7 juin 1936 à Alger, six ans après les fastes de la commémoration du Centenaire. marge de manœuvre du contexte, d’alors, était-il la meilleure voie à emprunter pour faire avancer la cause nationale et faire changer de cap au colonat ? Certainement non, puisque Ferhat Abbas, comme Messali Hadj, remit les pieds sur terre en se rendant compte qu’il s’était illusionné sur les capacités de l’Administration française à donner suite aux revendications consignées dans «la Charte revendicative du peuple algérien». C’est pourquoi il fut contraint de changer de tactique et d’accentuer la pression, tout en persistant à vouloir faire cavalier seul, refusant d’adhérer au PPA qui, soit dit en passant, n’avait rien à voir avec un parti ouvrier comme certains continuent à le présenter, étant, comme son nom l’indique, le parti de tout le peuple algérien dirigé par des chefs lettrés, issus des rangs de la Fonction publique, de la petite bourgeoisie commerçante et de transfuges de l’AEMNA. Une parenthèse doit être ouverte, ici, pour relever la supercherie sémantique, par trop spécieuse, utilisée par certains historiens français repris par quelques-uns de leurs collègues algériens, établissant une dichotomie entre «nationalisme plébéien» et «nationalisme patricien» qui ne renvoient à aucune réalité sociopolitique algérienne connue.
3- Le temps du réalisme
La Seconde Guerre mondiale fut, pour Ferhat Abbas, le tournant qui lui offrit les conditions les plus favorables pour affiner sa vision et apparaître comme un leader capable d’interpeller les puissants dirigeants du monde, les saisissant en 1943 de son Manifeste du peuple algérienqui demande l’abolition de la colonisation, le droit du peuple à disposer de lui-même et une Constitution pour le pays. La formation des «Amis du Manifeste», son arrestation, à la suite du 8 Mai 1945, la création de l’UDMA après l’UPA, donnèrent toute la mesure de l’envergure d’un chef, internationalement connu, auréolé d’un humanisme et d’un pacifisme qui captèrent, pendant un temps, une certaine audience. Mais cela ne suffisait plus. La guerre mondiale et ses ravages, les promesses non tenues, les massacres de Setif et de Kherrata étaient passés par là. Les partis modérés des colonies, le réformisme et le dialogue avec les franges libérales de la colonisation de peuplement avaient fait leur temps et n’avaient plus le vent en poupe, pas plus que les élections, pour la plupart truquées, auxquelles, étrangement, autant l’UDMA que le PPA-MTLD persistaient à prendre part, au nom du légalisme. L’espoir placé par Messali Hadj dans l’internationalisme prolétarien fondit comme neige au soleil, de la même façon que celui nourri par Ferhat Abbas de donner naissance à un processus d’émancipation pacifique bâti, dans un esprit proche du bourguibisme, sur un compromis d’étape, partit en fumée, sans laisser de traces, après que le projet Blum-Violette fut vidé de sa substance. Finalement, ce qui revint à la surface et prévalut, maturé par plus d’un siècle de dépossession, de dépersonnalisation et même de génocide, ce fut le retour aux sources, au principe du compter sur soi, une leçon de grande politique, administrée par la conscience nationale formée par la résistance et les combats pour la survie, menés par l’émir Abdelkader, El Mokrani, Cheikh Bouaamama, Cheikh El Haddad et Cheikh Bayoud, un patrimoine avec lequel le peuple a voulu renouer en accélérant la marche de l’Histoire, même si l’organisation sociale, l’armement, les techniques militaires opposées par ces révoltes à un adversaire autrement plus développé, les vouèrent à l’échec, en raison de leur caractère rudimentaire et arriéré.
4- Le temps de l’engagement révolutionnaire
Ferhat Abbas n’eut aucune peine à reconnaître les nouvelles réalités et à s’engager dans la voie révolutionnaire tracée par le 1er Novembre 1954. Dès lors que le sang avait coulé, selon sa propre expression, il se résolut à rejoindre les rangs du FLN, en avril 1955, après avoir dissous l’UDMA et pris langue avec Abane Ramdane chez qui il décela, dès l’entame, des convictions voisines des siennes, l’esprit du dialogue, l’attachement à la démocratie et à la modernité en plus d’un sens politique aigu. L’esprit «Abane Ramdane», l’homme appliqué à élargir les bases sociales et politiques de la Révolution, pour lui faire atteindre le point de non retour ne fut pas étranger à l’ascension de Ferhat Abbas qui gravit, rapidement, les échelons de la hiérarchie de l’Organisation. Membre du CNRA et du deuxième CCE, il fut porté, le 19 septembre 1958, à la tête du premier Gouvernement provisoire de la République algérienne, 128 ans après l’éclipse de l’Etat algérien. Avec beaucoup d’équidistance, il réussit, tant bien que mal, à préserver les équilibres fragiles d’un gouvernement affaibli par les forces rivales, lancées dans la course au pouvoir, pressentant la fin proche de la guerre. Remplacé par Benyoucef Benkhedda, il se retrouva, à l’indépendance, aux côtés de l’Etat-Major général de l’Armée des frontières et du groupe de Tlemcen dirigé par Ahmed Ben Bella. L’Histoire ne dit pas les raisons de ce ralliement qui fit, certainement, violence à son attachement à la légitimité du CNRA. Connaissant, néanmoins, les craintes que l’homme nourrissait pour l’unité du peuple, on suppose qu’à choisir entre le wilayisme qui aurait dépecé le pays et l’usage de la force pour sauver l’Algérie d’une congolisation et d’une implosion certaine, il opta pour la seconde solution qu’il espéra provisoire. Elu, en septembre 1962, président de la première Assemblée constituante de l’Algérie indépendante, il est dans son élément, croyant pouvoir profiter de cette position dans l’architecture du pouvoir, pour donner corps à son vieux rêve d’une démocratie fondée sur le pluralisme d’avant 1954 et, probablement, sur un projet socioéconomique d’inspiration libérale. Mal lui en prit. Dessaisi de la rédaction du projet de Constitution au profit du Bureau politique du FLN, réuni en congrès, dans un cinéma d’Alger, il est contraint de démissionner, ayant, visiblement, compris que les tenants de la ligne révolutionnaire rechignaient à voir un ancien «udmiste» jouer les premiers rôles et apposer son empreinte à un texte aussi fondamental. Il n’avait plus aucun autre recours, s’étant, lui-même, coupé de toute voie de retraite après avoir approuvé le Programme de Tripoli dont les deux points fondamentaux — le gouvernement de l’Etat par le parti unique et l’option socialiste — lui interdisaient d’entreprendre tout projet alternatif qui lui aurait tenu à cœur. Sans assise politique structurée et un peu perdu dans un système qui n’était pas taillé à sa mesure et où il se sentait en porte-à-faux, marginalisé et à l’étroit, il est, injustement, interné dans le Sud, une région que «visiteront» plusieurs leaders de la Révolution, avant et après 1965. Ainsi, après un combat de 40 années, Ferhat Abbas, le chantre de la démocratie, et Messali Hadj, l’indépendantiste précoce, piégé par le culte de la personnalité, sont renvoyés par l’Algérie officielle, dos à dos, comme s’il y avait un parallélisme des formes à respecter dans l’excommunication. A tort, parce que, si l’égarement du second l’a amené à combattre le FLNALN par les armes, il faut reconnaître au premier le courage et la probité de s’être remis en question, en dissolvant son parti, en s’engageant dans la Révolution et en acceptant, plus tard, de présider aux plus hautes destinées de l’Algérie en guerre. Tragique destin que celui de ces deux hommes qui se respectaient, malgré leurs divergences de fond et qui ne partageaient qu’un seul point commun : ils étaient, tous les deux, mariés à des femmes d’origine française, Messali Hadj avec Emilie Busquant, d’ascendance lorraine, et Ferhat Abbas avec Marcelle Stoetzel, de parents alsaciens, née en 1909 à Bouinan. C’est dans l’appartement de cette dernière, rue Siguéne à Setif, que Ferhat Abbas rédigea le Manifeste du peuple algérien avec son ami, le pharmacien, Mohammed El Hadi Djemame. Arrêtée le 8 Mai 1945, Marcelle Stoetzel fut emprisonnée, successivement, à El Harach, au camp d’Akbou et à Relizane. A sa libération, en mars 1946, elle convola avec Ferhat Abbas, au cours d’une cérémonie religieuse présidée par Cheikh Mohammed Bachir El Ibrahimi, à Kouba, en présence d’Ahmed Francis.
5- Le temps de l’opposition
N’étant pas homme à s’accommoder de la résignation et de la réclusion, Ferhat Abbas consacre la période qui va de sa libération en juin 1965 à sa remise en résidence surveillée en 1976, à écrire et à faire paraître ses principaux ouvrages post-indépendance, Autopsie d’une guerre et L’indépendance confisquée où il explique les tenants de «l’imposture» imposée au peuple. Contrairement à Messali Hadj, il répugne au zaïmisme et ne développe aucune addiction au pouvoir dont il dénonce le césarisme et «les déviations», à la veille de l’adoption de la Charte nationale, dans le fameux «Appel au peuple algérien» qu’il signe avec les anciens anti-messalistes, Benyoucef Benkhedda et Hocine Lahouel ainsi qu’avec Cheikh Kheireddine, un de ses anciens alliés ulémistes d’avant-guerre. La réponse du gouvernement Houari Boumediène fut instantanée. Après lui avoir fait subir une féroce campagne de presse, le présentant sous les traits d’un bourgeois anti-socialiste, il le fit assigner à résidence, avec ses compagnons et confisqua ses biens. Rendu à la liberté en 1978, il garda le silence jusqu’à sa mort, partant dans la solitude d’un homme, reclus dans une position indigne de sa stature de chef d’Etat. Et dire que son destin aurait été tout autre s’il était demeuré président du GPRA jusqu’aux négociations d’Evian qu’il aurait conduit, ès-qualités, un scénario de politique- fiction qui n’aurait jamais été autorisé ni par les 3 B, ni par Nasser, ni par de Gaulle qui ne voulaient pas avoir, en face d’eux, un homme du savoir, rompu à la politique, au sens le plus noble du terme. Le nationalisme populaire, centralisateur à l’excès, qui avait été choisi, à l’indépendance, dans une version socialo-bureaucratique, comme un modèle de société et une voie de développement destinés à jeter les fondations d’un Etat national, supposé incarner et prolonger Novembre, rejeta, en bloc, et l’héritage de Messali Hadj et celui de Ferhat Abbas, jugés non conformes à l’orthodoxie. Si, pour le premier, malgré un soupçon de réhabilitation, apparemment, d’inspiration «humanitaire», la cause est entendue, sachant de quoi il s’était rendu coupable, pour le second, les choses devraient, en principe, en aller autrement. Dans une conjoncture brouillée par «la boulitique», un des savoureux mots de Ferhat Abbas qui veut tout dire, son héritage et son exemple devraient, au-delà des rancunes anciennes, donner à réfléchir sur la possibilité d’y recourir pour donner à l’Etat national, dans l’esprit d’un Novembre actualisé, les dimensions de droit, de liberté et de démocratie qui lui font, encore, défaut. Ce serait la moindre des justices que l’Algérie lui rendrait, elle qui ambitionne d’être à la hauteur d’un monde qui avance très vite mais qui n’hésite pas à écraser les peuples sans Histoire, sans culture, sans perspectives et sans Etat national démocratique. Au lieu de perdre leur temps à prêcher, qui l’ouvriérisme préhistorique, qui l’islamisme de la discorde, qui le capitalisme de la mamelle, nos «idéologues» qui n’ont retenu de l’Histoire que ses borborygmes, devraient s’atteler à cette tâche d’intérêt vital pour la société algérienne d’aujourd’hui et de demain. La question est posée et le débat est ouvert.
B. M.
19 septembre 2012 à 1 01 04 09049
Hommage à Ferhat Abbas
Le 24 décembre 1984, vingt ans déjà, le président Ferhat Abbas « Da Ferhat » rendait l’âme à l’âge de 86 ans, après tant et tant de combats avec leurs doutes et leurs certitudes.
jeudi 3 février 2005.
Le 25 septembre 1962, première séance de l’Assemblée nationale constituante. Tous les ténors de la presse internationale et quelques « chats » de la presse nationale sont entassés dans la tribune de presse trop petite pour la circonstance.
Beaucoup d’absents dans l’hémicycle, 59 candidats désignés par les wilayas sur les listes électorales, dont Abdelhafid Boussouf, Benyoucef Ben Khedda, Salah Boubnider dit Sawt el Arab, Abdellah Ben Tobbal, Mohamed Seddik Ben Yahya… ont été écartés des listes par Ahmed Ben Bella and co. Au nom de quoi et de qui des militants de la première heure se retrouvent-ils sur la touche par le bon vouloir d’un juteux de quartier « moussé » par la presse française depuis le rapt de l’avion de la Royal Air Maroc en octobre 1956 ? Comment peut-on se réclamer du peuple et le mépriser au point de faire injure à son intelligence ? Qu’avait donc « Hmimed » de plus qu’un Hocine Aït Ahmed, ou qu’un Krim Belkacem, ou qu’un Mohamed Boudiaf ou encore qu’un Benyoucef Ben Khedda ou combien d’autres ? Pourquoi ces « 59 » ne se sont pas manifestés ? Est-ce par lassitude après plus de sept ans de lutte ? Est-ce qu’ils voulaient épargner au peuple une autre épreuve à l’instar de la crise de 1962 ? Est-ce par lâcheté comme me l’a affirmé un militant de la première heure, maquisard depuis 1947 ?
L’Algérie était dans le collimateur de De Gaulle et Ahmed Ben Bella à sa tête était le pire pied de nez qu’il pouvait être fait au peuple, aux héros de Décembre 1960. Pour des raisons différentes, Ben Bella sera « drivé » par Gamal Abdenasser. Secrétaire général du FLN, chef du gouvernement, président de la République… jamais l’ignorance n’aura réuni autant de pouvoirs en son sein. Jamais l’horizon du peuple n’aura été des plus sombres. Nous avons entendu des amis, qui ont tout donné, tout sacrifié pour ce pays, se demander pourquoi avoir bouté Joseph pour un « Ahmed » de triste acabit responsable de tous les maux du pays, au lendemain de l’indépendance ! Mais voir le drapeau national flotter au-dessus du palais du gouvernement et entendre Min djibalina sur les ondes nationales n’avaient pas de prix ! Le jour-même de son élection à la présidence de l’Assemblée nationale constituante, Ferhat Abbas aurait dû démissionner. Il ne l’a pas fait ! Pensait-il peut-être qu’être à l’intérieur valait mieux qu’être à l’extérieur ? L’émergence politique de Ferhat Abbas va vraiment commencer au lendemain du centenaire de la présence française en Algérie. Elle va se faire dans une atmosphère de crise économique, de bouillonnement et d’agitation politique. C’est la décennie de la Fédération des élus (1927), de l’Association des oulémas musulmans d’Algérie (AOMA 1931), de la glorieuse Etoile nord-africaine (ENA 1933), des congrès musulmans (1936/1938), du Parti populaire algérien (PPA 1937), du Parti communiste algérien (PCA 1936), de l’Union populaire algérienne (UPA 1938)… Aux jeunes qui penchaient vers le Parti communiste ou vers le mouvement Croix de feu, Ferhat Abbas, conseiller municipal de Sétif, leur lançait : « Nous ne devons pas lier notre sort à celui d’un parti, l’histoire de ces dernières années nous a prouvé que nous avons tort d’attendre tout des hommes et rien des doctrines. » La fraction néo-wahhabite représentée par l’Association des oulémas fera sa jonction avec la Fédération des élus aux élections des conseils généraux de 1934 à 1936.
Un appel paraîtra dans El Ouma de décembre 1934. « Nous voulons, disait-il, déchirer le bâillon et briser nos chaînes. Nous voulons notre part de la vie de lumière et de liberté auxquelles nous aspirons de toutes les forces de notre âme. » Dissolutions, répressions, arrestations vont se succéder. Le 5 mars 1942, Ferhat Abbbas remettait au ministre de l’Intérieur une note réclamant la libération des Oulémas emprisonnés et la constitution d’associations culturelles musulmanes. Devant le silence de l’Administration, Abbas démissionne avec fracas en juillet 1942 de la commission financière algérienne. Le débarquement des Alliés dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942 va nourrir les plus folles idées d’espoir d’indépendance et de liberté ! Ferhat Abbas et 12 autres personnalités vont, le 20 décembre 1942, envoyer un message à l’Administration coloniale, dans lequel il subordonne la participation « des Algériens à l’effort de guerre, à l’élaboration d’un statut leur assurant leur affranchissement politique ». Devant le silence des autorités françaises, Ferhat Abbas et ses amis vont lancer un « appel aux nations alliées » sous la forme d’un Manifeste qui fut élaboré en septembre 1942 à Sétif par le Dr Lamine Debaghine. Il sera paraphé, par ce dernier pour le PPA, par Ferhat Abbas, pour l’APM, par Cheikh Maïza, pour l’AOMA, par Ahmed Francis, pour les anciens combattants et le Dr Ahmed Ben Djelloun pour la Fédération des élus. Il avait été décidé que le Dr Ben Djelloun remettrait le Manifeste aux forces de l’Axe au cas où celles-ci triompheraient, Ferhat Abbas devait le remettre aux Alliés si ces derniers l’emportaient. Ce qui fut le cas.
Le Manifeste sera adressé aux Nations unies le 10 janvier 1943. Une version plus « cool » revue par Ferhat Abbas et Ahmed Boumendjel sera remise officiellement le 31 mars 1943 au gouverneur Peyrouton et le 1er avril à Robert Murphy, le représentant des Alliés à Alger. Le Manifeste revendiquait le droit du peuple algérien à disposer de soi-même. Un « Additif » sera remis le 10 juin 1943 au général de Gaulle. Cet additif réclamait « la résurrection du peuple algérien par la formation d’un Etat algérien démocrate et libéral ». Un refus catégorique fut opposé à la demande des Algériens, aussi bien par le général Catroux qui avait succédé à Peyrouton que par le général de Gaulle. Après la protestation de 15 des 24 délégués financiers algériens, le général Catroux réplique par la mise en résidence surveillée de Ferhat Abbas et de Sayah Abdelkader. Seul le PPA va réagir. Des manifestations auront lieu à Alger le 30 septembre 1943 avec les mots d’ordre : « Pour la Charte Atlantique » « Libérez Sayah et Abbas », « Vive l’Algérie libre. » Ferhat Abbas déclarera que le discours du général de Gaulle du 12 décembre 1943 venait trop tard ! Une grande déception s’empara des Algériens. Ferhat Abbas va essayer de créer le mouvement L’Algérie libre. Il prendra contact avec Messali Hadj, cheikh Bachir El Ibrahimi, Dr Lamine Debaghine et Dr Ahmed Francis. Les contacts aboutiront à la création le 14 mars 1944 des Amis du manifeste et de la liberté (AML) qui tiendra son premier congrès le 22 mai 1944. La revendication de l’indépendance filtrait dans les articles du statut des AML qui se dotèrent, dès septembre 1944, d’un hebdomadaire Egalité, très largement diffusé et qui allait mener campagne pour la libération de Messali Hadj.
La conférence nationale des AML du 2 au 4 mars 1945 allait radicaliser le mouvement et porter Ferhat Abbas à la présidence du « Comité provisoire de l’Algérie musulmane ». L’idée d’une indépendance de l’Algérie qui serait accordée à la conférence des Nations unies de San Francisco était largement répandue dans l’opinion algérienne. Le 19 avril 1945, Messali Hadj était arrêté, expédié manu militari à El Goléa puis à Brazzaville. 60 autres arrestations allaient suivre. Le 1er mai, Fête du travail, fut choisi par les organisations nationales pour l’organisation de manifestations pacifiques à travers tout le territoire pour réclamer la libération de Messali et l’indépendance de l’Algérie. Le 1er mai le sang algérien coulait à Alger. Les cinq premiers martyrs de Mai 45 tombaient sous les balles assassines de l’ordre colonial à l’entrée de la rue d’Isly aujourd’hui la rue Larbi Ben M’hidi. Recevant Ferhat Abbas, le secrétaire général de la préfecture d’Alger lui déclarera : « Les Algériens tués ou blessés détenaient une carte des AML par conséquent, c’est vous qui êtes responsable ? » Le 8 mai 45 à Sétif, Guelma, Saïda, Annaba…, les manifestations politiques pacifiques suite aux provocations policières allaient dégénérer. Une répression atroce s’abattra sur les Algériens et l’on comptera 45 000 morts : un crime de plus contre l’humanité. Le 8 mai 1945, Ferhat Abbas, qui s’était rendu à Alger pour féliciter le gouverneur général de la victoire des Alliés, est arrêté et emprisonné et les AML furent dissous. A sa sortie de prison en 1946, il fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA).
En juin 1953, rencontrant le général Bonois Alphonse Juin à Constantine, Ferhat Abbas lui confie : « Il n’y a plus que les mitraillettes… ». Le déclenchement de la guerre de libération par une poignée de jeunes nationalistes résolus va prendre Ferhat Abbas et beaucoup d’autres de court. Cependant, dès janvier 1955, des contacts sont pris entre Ferhat Abbas et le FLN plus précisément avec Abane Ramdane par l’entremise d’abord de Messaoud Boukadoum puis de Amara Rachid, le 26 septembre 1955, 61 délégués à l’Assemblée algérienne (2e collège) vont, dans une motion inspirée par Da Ferhat, refuser l’intégration redéfinie par Jacques Soustelle et faire ainsi avorter toute tentative de création d’une troisième force. Le 22 avril 1956 Abbas rejoint les instances du FLN au Caire : « L’insurrection étant devenue le plus sacré des devoirs de l’homme. » Le 19 septembre 1958, il présidera le premier Gouvernement populaire de la République algérienne (GPRA). A l’indépendance, le 25 septembre 1962, il présidera la première Assemblée nationale constituante de 196 membres. Le 12 août 1963, moins d’un an après son élection, il annonçait sa démission pour le 20 août 1963. Par cette démission, il s’élevait contre le projet de constitution concocté au cinéma Atlas. Il considérait le procédé commandité par le « juteux de quartier » Ahmed Ben Bella, peu cavalier, relevant de la mystification et en violation de la loi.
Alors que Abbas affichera sur opposition, un grand nombre de pseudopolitiques et d’intellectuels vont se complaire dans le larbinisme pendant plus de 30 ans pour se découvrir aujourd’hui des vertus démocratiques. La nature des pouvoirs multiples exercés par un seul homme aura pour conséquence inévitable l’instauration du zaïmisme et du culte de la personnalité… plus facilement manipulable par le tuteur colonial ! D’ailleurs, le 3 juillet 1964, Da Ferhat est arrêté sur ordre de Ben Bella et envoyé en résidence surveillée à Adrar. Il ne sera libéré que le 8 juin 1965. Au printemps 1976, alors qu’il s’était retiré de la vie politique, il signait avec Youcef Benkhedda, Hocine Lahouel et cheikh Kherredine un texte dénonçant, « le pouvoir personnel » et « le culte de la personnalité » Il va se retrouver une fois encore en résidence surveillée jusqu’en 1979. Libéré à l’occasion du 25e anniversaire du déclenchement de la Lutte de libération, il recevra enfin chez lui la Médaille du résistant ! Son dernier livre L’Indépendance confisquée, paru en 1984, sera pendant longtemps interdit ; et pour cause, il dénonçait le pouvoir personnel et ses errements. Le 24 décembre 1984, il s’éteignait chez lui à l’âge de 86 ans.L’Aigle de Sétif venait de tirer sa révérence. L’homme est mort, mais ses idées de démocratie et de justice lui survivront à jamais dans cette « Algérie maudite » où « le peuple finira par exiger ce qu’on lui refuse ».
Dans sa fameuse lettre du 12 août 1963 « Pourquoi je ne suis pas d’accord », il déclarait notamment : « Donner une Constitution à la République est un acte d’une extrême importance. Il requiert notre réflexion, notre raison, notre sagesse. Après l’héroïque combat pour l’indépendance, c’est un autre combat qui s’impose à nous. Le peuple tout entier, en premier lieu ses représentants, doit faire preuve de lucidité et de courage… La loi du silence que nous nous sommes imposée durant les sept années de lutte, parce que l’adversaire était au milieu de nous, n’a plus sa raison d’être. Le silence doit être rompu. Avant d’engager l’avenir, celui du pays, celui de nos femmes et de nos enfants, chacun de nous doit prendre conscience de ses responsabilités pour mieux les assumer. Sinon, il renonce par un lâche opportunisme, au devoir élémentaire de tout citoyen… »
Procédure et droit
« Sur le plan de la procédure et du droit, l’Assemblée nationale constituante et législative a été élue, sur proposition du FLN avec mandat de doter le pays d’une Constitution démocratique et populaire, dans le délai d’un an. Détentrice exclusive de la souveraineté nationale, elle est donc seule habilitée à connaître des lois dont elle a, concurremment avec le gouvernement, l’initiative. Ces lois avant d’être examinées doivent être déposées sur son bureau sous forme de projets ou de propositions. Ces projets ou propositions ne sont rendus publics qu’après que l’Assemblée en eut été officiellement saisie. Or, le gouvernement vient de violer cette règle fondamentale. Il a soumis à de prétendus cadres d’un parti qui, en fait, n’existe pas encore, un projet de Constitution sans que l’Assemblée en ait été informée. Faire approuver par des militants qui n’ont reçu aucun mandat de cet ordre, un texte fondamental relevant des attributions essentielles des députés, c’est créer la confusion et violer la loi. Humilier une Assemblée souveraine, qui a toujours apporté sa collaboration loyale et son appui au gouvernement, est un geste extrêmement grave. Le procédé relève de la mystification, de l’action psychologique. En tout état de cause, il laisse entrevoir le rôle que l’exécutif entend réserver au législatif. Avant même que la Constitution de type présidentiel n’ait été adoptée par l’Assemblée, avant qu’elle n’ait été soumise au référendum populaire, nous assistons à une action destinée à faire pression sur les constituants et à mettre le peuple en condition… » « Les commandements de l’Islam, en matière d’éducation religieuse, de droit de propriété, de droit à l’héritage, d’assistance sociale… Sans déroger aux préceptes de l’Islam, sans heurter les mœurs et traditions de notre peuple, nous pouvons engager résolument le pays dans une révolution qui aura pour objectifs :
1 – L’industrialisation de l’édification d’une économie dirigée et planifiée.
2 – La nationalisation des grands moyens de production et son corollaire, le développement des coopératives de production et de consommation.
3 – La limitation des fortunes et le contrôle du capital national privé pour l’amener, par une fiscalité appropriée, à participer au développement du secteur socialiste.
4 – La défense des conquêtes sociales (allocations familiales, congés payés, sécurité sociale, salaire minimum interprofessionnel garanti) et leur extension.
5 – La mobilisation de tout le peuple autour de la sainte loi du travail, de l’effort, de la morale et de l’honnêteté. Le néocolonialisme ne menacera notre pays que si la médiocrité, la paresse et la corruption s’y installent. »
Le régime présidentiel et le pouvoir personnel
La concentration des pouvoirs entre les mêmes mains relève d’une autre forme de délire. Le projet de constitution fait du président de la République, en même temps que le chef de l’Etat, le chef du gouvernement et le chef de parti. Pratiquement, il n’y a plus de démocratie. L’assemblée est sous la dépendance d’un homme qui nomme les ministres et qui, par le truchement du parti, choisit les membres de l’Assemblée nationale, après avoir été choisi lui-même par le parti (aujourd’hui par l’odjak). Le dialogue entre le législatif et l’exécutif, si fructueux pour le pays, devient un simple monologue. Le peuple est absent et n’est pas représenté. Ses représentants sont de simples figurants. « La révolution se fait par le peuple et pour le peuple. Elle n’est ni l’œuvre d’une seule personne ni celle d’un seul individu. Elle se fera par le peuple et pour l’intérêt de tout le peuple » (sic). Ce slogan officiel, affiché sur nos murs et repris par la radio, est une contrevérité. Il masque la réalité. Quant à notre jeunesse, elle sera condamnée à ne plus penser. Le régime fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans. Assurer le pain au peuple est, certes, un objectif primordial. Lui assurer cet autre pain, qu’est la liberté de pensée et d’expression, est également un bien précieux. La jeunesse algérienne en sera privée.
La nature même des pouvoirs multiples exercés par un seul homme aura pour conséquence inévitable le culte de la personnalité. Et celui qui n’applaudira pas inconditionnellement le « maître » sera considéré comme un mauvais citoyen. L’équilibre des pouvoirs n’existe pas. Aucun recours contre les abus d’autorité n’est prévu. Il y a bien une disposition du projet de la constitution qui prévoit que l’Assemblée nationale peut voter une motion de censure et renverser le chef de l’Etat. Cette disposition est un non-sens. D’abord, il n’est pas souhaitable qu’un chef d’Etat soit renversé. Il laisserait un vide redoutable. Ensuite, et surtout n’ayant pas été investi par l’assemblée, cette dernière ne peut le renverser. Cette disposition est donc de pure forme. Elle est une simple clause de style. Nous jouons à « pile ou face » le sort du pays. Si le chef de l’Etat est un homme sage, modeste et clairvoyant, nos libertés seront sauvegardées. S’il a l’étoffe d’un Batista, le pays vivra sous la terreur. Pourquoi donc nous placer, délibérément, dans cette dangereuse alternative. Autre inconvénient d’un tel régime. Aucun Algérien ne peut, à lui seul, porter, à bout de bras, l’Algérie, le fardeau est trop lourd. Il arrivera que le chef de l’Etat, qui est en même temps chef du gouvernement, ne pourra pas tout faire. Il se déchargera fatalement, sur son entourage, d’une partie de ses responsabilités. Des hommes non mandatés par le peuple souvent des étrangers au pays, deviendront ainsi ses véritables dirigeants. Ils ne manqueront pas d’expérimenter, au détriment de l’intérêt national, les théories les plus fantaisistes. Un tel régime finira par engendrer des activités subversives, des coups d’Etat et des complots. A vouloir un « régime fort », on ouvre la porte à la subvertion et au désordre.
Un seul régime : la démocratie
« La démocratie seule est salutaire. Elle ne signifie pas l’anarchie. Elle ne signifie pas un pouvoir faible. Elle signifie : le gouvernement du peuple par le peuple. Elle signifie un Etat hiérarchisé. Une bonne Constitution doit donner la parole au peuple. Elle doit permettre la libre discussion. Cette libre discussion, loin de nuire à la discipline nationale, permettra de révéler des cadres valables et enrichira les institutions de l’Etat. Un Etat ‘‘confisqué’’ est un Etat mort-né. » Un chef du gouvernement, investi par une assemblée nationale souveraine devant laquelle il est responsable, est la seule formule qui corresponde à notre devise « Par le peuple et pour le peuple ». Il est indispensable que le chef du gouvernement soit contrôlé. Il est indispensable qu’il rende des comptes aux représentants de la nation. Si nous voulons éviter les aventures, il est vital et salutaire d’associer le peuple, par sa majorité et par sa minorité, aux affaires publiques. Aux anciens peuples colonisés, nous devons donner l’exemple de la maturité politique et de la cohésion. Nous devons leur donner l’image d’un peuple majeur qui gère sainement et démocratiquement ses affaires. Avec la constitution qui nous est proposée, c’est toujours le provisoire qui dure, et aucun problème fondamental ne reçoit de solution valable. Il nous faudra cependant sortir de ce provisoire.
Nous avons perdu un temps précieux. La querelle des frères ennemis doit prendre fin. Donnons le pouvoir au peuple en lui donnant la parole. Lui seul est le souverain juge. Pour ma part, je ne dérogerai pas à la loi. Mon mandat prendra fin le 20 septembre prochain. Il n’ira pas au-delà parce que, en toute honnêteté, je considère que nous avons eu tout le temps nécessaire pour accomplir la mission essentielle qui nous a été confiée. « Depuis l’indépendance, le peuple n’a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique. Il est temps qu’il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Il l’a hautement prouvé. Il a surtout su résister, pendant sept ans, à l’une des plus grandes armées du monde. Il a acquis par son héroïsme le droit de choisir ses représentants et de se donner le gouvernement de son choix. Nous devons lui faire confiance. Et même s’il se trompait, cette erreur serait moins grave de conséquence que le fait de le museler, et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure. » Pour célébrer sa mémoire, il nous revient de l’honorer par ces vers d’Aragon dans le Siècle d’or : « Voici la grande nuit sans justice et sans fin Il n’y aura pour vous ni grâce ni revanche et, c’est de vous tuer qu’ils auront des dimanches pour prier leur seigneur et dormir à leur faim ».
Par Youcef Ferhi, elwatan.com
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
19 septembre 2012 à 1 01 05 09059
Ferhat Abbas (en arabe algérien : فرحات عباس, en Kabyle: Ferḥat Σabbas), de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas, né le 24 août 1899 à Taher et mort le 24 décembre 1985 à Alger, est un homme d’État et leader nationaliste algérien. Fondateur du parti Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), membre du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’indépendance de l’Algérie et premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1961, il est élu à l’indépendance du pays, président de l’Assemblée nationale constituante devenant ainsi le premier chef d’État de la République algérienne démocratique et populaire.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
19 septembre 2012 à 1 01 05 09059
Enfance et éducation
Il est né dans le hameau de « Bouafroune » (douar de Chahna), à 12 km au sud de Taher (dans l’actuelle commune d’Ouadjana, wilaya de Jijel), le 24 août 1899, dans une famille paysanne kabyle1 de 12 enfants. Fils de caïd, son père est Saïd Ben Ahmed Abbas et sa mère Maza bint Ali. Sa famille, originaire des Hauts-Plateaux, a dû quitter la région après l’échec de la révolte menée en 1871 par Mohamed El Mokrani1. Le grand-père est alors chassé de ses terres par les autorités françaises et reconduit à la condition de fellah. Condamné à être ouvrier-agricole, il descend des Hauts-plateaux pour se rendre sur la côte.
Entré à l’école à l’âge de dix ans, Ferhat Abbas fait ses études primaires à Jijel et, bon élève, il est envoyé en 1914 faire ses études secondaires à Philippeville (actuelle Skikda). De 1921 à 1924, il fait son service militaire et commence déjà à écrire des articles pour différents journaux sous le pseudonyme de Kamel Abencérages2. Étudiant en pharmacie à la faculté d’Alger de 1924 à 1933, il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931, date à laquelle il transforme l’amicale en association. Il est également élu vice-président de l’UNEF lors du Congrès d’Alger de 1930.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
19 septembre 2012 à 1 01 06 09069
Lutte contre l’idéologie coloniale
Ferhat Abbas est d’abord favorable à la politique d’assimilation avec un maintien du statut personnel, il milite activement au Mouvement de la jeunesse algérienne, qui réclame l’égalité des droits dans le cadre de la souveraineté française.
En 1931, il publie le livre Le Jeune Algérien, regroupant notamment ses articles écrits dans les années 1920, et dont la thèse se rapporte à la lutte contre la colonisation pour assurer l’entente entre les Français et musulmans. Il dénonce notamment « 100 ans de colonisation française ». Dans ce livre, il est aussi question d’« algérianité », de convoitise des colons, d’État algérien et d’islam : « Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux »3.
Diplômé docteur en pharmacie en 1933, il s’établit à Sétif où il devient rapidement une importante figure politique en devenant conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis délégué financier. Il adhère à la Fédération des élus des musulmans du département de Constantine en tant que journaliste au sein de son organe de presse, l’hebdomadaire L’Entente franco-musulmane (communément appelé « L’Entente »), et se fait très tôt remarquer par son président le docteur Bendjelloul qui le promeut, en 1937, rédacteur en chef du journal. Plus radical dans son combat et dans ses revendications, dénonçant notamment le « code de l’indigénat », il fonde son propre parti en 1938, l’Union populaire algérienne. L’Entente devient alors une véritable tribune politique pour Ferhat Abbas4.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
19 septembre 2012 à 1 01 06 09069
Vers la cause nationaliste
La période de la Seconde Guerre mondiale joue un rôle important dans l’évolution de Ferhat Abbas, en mettant un terme à ses espoirs d’« égalité dans le cadre d’une souveraineté française », le convainquant que le colonialisme était « une entreprise raciale de domination et d’exploitation » dans laquelle même les élites républicaines françaises les plus éclairées étaient entièrement impliquées5.
Ferhat Abbas est engagé volontaire dans l’armée française en 1939. Le 10 avril 1941, il adresse au maréchal Pétain, chef du régime de Vichy, un rapport intitulé « L’Algérie de demain », attirant son attention sur le sort des indigènes musulmans et réclamant prudemment des réformes : Pétain lui répond poliment, mais ne prend aucun engagement6. Après le débarquement allié en Afrique du Nord, Abbas se tourne vers l’amiral Darlan, maintenu au pouvoir par les Alliés, mais ce dernier fait, pour le sort des musulmans comme pour celui des juifs d’Algérie, le choix de l’immobilisme7.
Ferhat Abbas publie, le 10 février 1943, un manifeste demandant un nouveau statut pour l’Algérie, qui va beaucoup plus loin que ses précédentes requêtes : le « Manifeste du peuple algérien »8, suivi d’un additif en mai, un « Projet de réformes faisant suite au Manifeste du Peuple algérien » faisant notamment allusion à une « nation algérienne ». Le projet est alors soumis à la Commission des réformes économiques et sociales musulmanes tout juste créée par le gouverneur général Peyrouton. Mais son successeur, le général Georges Catroux, bloque le projet et rejette les initiatives prises par Ferhat Abbas qui est, de septembre à décembre, assigné à résidence à In Salah par le général de Gaulle, chef du Comité français de la Libération nationale9.
De Gaulle répond par la suite en partie aux réclamations des musulmans : par les décrets du 7 mars 1944, il permet l’accession de dizaines de milliers de musulmans à la citoyenneté française, sans pour autant toucher au statut coranique, et constitue des assemblées locales comptant deux cinquièmes d’élus indigènes. Abbas et ses amis jugent cependant ces concessions insuffisantes6. Le 14 mars 1944 Abbas crée l’association des Amis du manifeste de la liberté (AML) soutenu par le cheikh Brahimi de l’Association des oulémas et Messali Hadj. En septembre 1944, il crée l’hebdomadaire Égalité (avec pour sous-titre Égalité des hommes – Égalité des races – Égalité des peuples)10. Au lendemain des émeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable avec Mohammed Bachir et Chérif Saâdane, il est arrêté et l’AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas et son compagnon de cellule Chérif Saâdane également arrêté pour le massacre de Sétif fondent l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). En juin, le parti obtient onze des treize sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup