Rencontré chez lui à Crescia ( Sahel d’Alger) où il s’est installé depuis 1964 comme directeur d’école. Rabia Ziani est romancier, nouvelliste et pédagogue. Parmi ses romans publiés dans les années 1970 et 1980, « Le déshérité », « Ma montagne », « Nouvelles de mon jardin », « Le secret de Marie » disent l’Algérie contemporaine sous le regard de personnages rompus aux difficultés de la vie, authentiques et vrais.
Vous êtes né au village Aït Smail, une commune de l’actuelle daïra de Draa el Mizan…C’est de là que vous êtes parti en France ?
Rabia Ziani : J’ai quitté l’Algérie en 1950 à 15 ans et j’ai vécu 5 ans à Valenciennes dans le Nord de la France, sur la frontière franco-belge. C’était une découverte. C’était la première fois que je voyais une grande ville Alger, c’était la première fois que je voyais la mer, c’était la première fois que je prenais un bateau et seul. C’était une grande aventure.
Je suis arrivé le 20 juin 1950 à Valenciennes après un passage à Paris chez un de mes frères et là j’entre au collège technique mais mon frère aîné voulait que je me mette au travail trois mois après mon arrivée. Il m’a fait quitter le collège et je me suis mis à travailler. J’ai appris le métier de cimentier, la peinture au pistolet en tant que barbouilleur, celui de manœuvre, de garçon de café. J’ai exercé toute sorte de métier. Ceci dit, j’ai fait un petit stage de formation accéléré à Valenciennes. Mais, c’était la grande misère. Quand je suis arrivé en 1948, le centre ville de Valenciennes était en ruine. C’étaient les Algériens qui trimaient, ils étaient logés dans des caves à plusieurs. Quand on se retrouvait le soir, on écoutait les disques de Slimane Azem, de Hasnaoui, C’était vraiment pénible.
Mais vous êtes parti instruit avec CEP ?
Oui, j’ai décroché mon certificat d’études à l’école de Tala Bouali des Ait Smaïl avec pour maître d’école M. Cherfi. La dernière année de ma scolarité, je l’ai passée chez les Pères Blancs à Bounouh près d’El Merdja où j’ai obtenu mon certificat d’études primaires. Puis ce fut pour moi le grand voyage, l’aventure. Il faut vous dire que je n’ai jamais décroché des études. Il fut une époque où j’étais ce qu’on appelle une encyclopédie vivante. A Paris, on me surnommait «Maître». Jusqu’à présent je peux vous dessiner la Seine, ses affluents et ses quartiers dans le moindre détail. On apprenait tout par cœur, c’était la pédagogie de l’époque.
Pourquoi êtes-vous revenu en Algérie ?
En 1954, j’ai été appelé à faire mon service militaire. J’ai été affecté de Valenciennes à Miliana, en Algérie. Nous étions deux indignes dans le peloton de Sous-officier, un certain Yacoubi et moi, instruits tous les deux. J’avais le niveau du brevet quand j’ai été appelé à faire mon service militaire. A l ‘examen de Sergent, j’étais reçu premier du bataillon. J’ai été affecté à la trésorerie où j’ai passé les plus beaux moments de ma vie. J’étais jeune, beau, j’avais un esprit très large, au point où on me surnommait l’Américain. J’avais la chance d’être dans les services administratifs alors que le gros de mon bataillon a été affecté dans les Aurès. A la fin de mon service, j’ai été désigné, avec deux autres coreligionnaires, pour faire l’école des officiers de Saint Mixant. J’ignorais ce qui se passait dans le pays. La guerre de Libération était déclarée et j’étais Sergent dans l’armée française. Je me souviens encore d’un fait : in vieil adjudant, indigène, est venu me voir, m’a pris en aparté et me dit dans un bon français : «Sergent Ziani, je vous conseille de partir d’ici». C’est là que j’ai pris conscience de ma situation. C’est ainsi que je me suis retrouvé Moussebel en Kabylie, chez moi, à Ait Smail. L’un des responsables des maquis de la région m’a rencontré. Il répondait du nom de Chaâbane Yerghane (Chaâbane le brûlé) qui m’a confié au commissaire politique de la localité. Mais, à cette époque, la Révolution n’était pas celle que l’on raconte aujourd’hui. Oui, il y a eu de l’héroïsme certes, mais aussi une pagaille ; des revanchards, des saletés, des ignorants. C’était l’année 1956. J’y suis resté une année. C’était d’ailleurs l’époque où je me suis marié. L’idée que je me faisais du maquis butait sur une réalité amère. Pourtant, je voulais jouer un rôle : que la révolution se fasse intelligemment, ne pas égorger pour rien. Je me souviens du jour de notre première mission qui consistait à couper un pont. Nous étions partis, une vingtaine de jeunes, le soir, avec des haches, des pioches et le pont se trouvait à la sortie des Aït Smaïl, à découvert. Notre chef ignorait le danger, ce que je lui dis en lui reprochant son manque de stratégie, lui précisant que j’avais fait des études militaires. Ce que le fit réfléchir. Bref, je suis resté une année et c’était intenable, infernal. Pourtant, dans le même temps, alors Moussebel, en costume cravate, je ne perdais pas de vue mes études. Je préparais le bac par correspondance, inscrit à l’Ecole universelle de Paris qui m’envoyait des cours. Ce n’était guère facile, je passais des nuits entières avec l’algèbre, la géométrie dans un contexte de guerre. Un beau matin, je suis descendu au café maure où les villageois attendaient le facteur. Le facteur arrive et me remet une lettre de ma belle-sœur qui vivait à Valenciennes. Je lisais la lettre en retournant chez moi. A un moment donné, j’ai senti une présence derrière moi, c’était le fameux chef des Moussebels qui, soit dit en passant, a été liquidé par L’ALN comme traître. Il m’a tenu ces propos : «Rabia, tu sais, j’ai parlé à nos frères, je leur ai dit que tu étais instruit, seulement, voilà le courrier que tu reçois de Paris …» Alors là, j’ai vu rouge. Je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma femme : «ça y est, je viens de recevoir une lettre de la grande poste, j’ai trouvé du travail. Demain matin, je pars.» Si j’étais resté 24h de plus, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Le lendemain, j’ai pris le bus. C’était une autre aventure.
Vous quittez une seconde fois votre village sous la colère. Etait-ce pour un poste d’enseignant à Alger ?
Non, J’arrivai à Alger et je m’étais fixé une semaine pour trouver du travail, sinon j’étais décidé de repartir en France. Le lendemain de mon arrivée, je me suis présenté au Palais du gouvernement, dans les services de la fonction publique. Je m’étais présenté en tant que Sergent pourvu du brevet élémentaire et ayant le niveau du bac. L’une des fonctionnaires s’était apitoyée sur mon sort et m’a dirigé vers un service, celui des Appelés. De là, j’ai été dirigé chez un certain M. Merlet chef des services de la comptabilité qui me reçoit et me fait subir un questionnaire dans lequel je précisais que j’étais affecté à la trésorerie lors de mon service militaire… A la fin, il m’a proposé un poste dans une des nouvelles préfectures qui venaient d’être créées : Tizi Ouzou, Médéa, Orléanvilles… Mais réflexion faite, il me dit: «Et si je vous prenais ici, mais à l’essai !» Je ne demandais pas mieux. Mais, mon rêve, c’était de continuer mes études pour être instituteur.
C’était votre passion ?
Oui, j’avais beaucoup d’admiration pour mes anciens maîtres, des normaliens, c’étaient de vrais instituteurs et je rêvais d’être instituteur. Je quittais ainsi le Gouvernement général pour l’enseignement. J’avais fait mon choix. Celui d’une petite vie tranquille. J’ai eu mon premier poste en 1960 au Clos Salembier, à l’école de la Cité Nador où j’avais fait la connaissance de Mouloud Feraoun. Monsieur Sebar était alors directeur de l’école.
Comment aviez-vous fait connaissance avec Mouloud Feraoun ?
Monsieur Sebar m’avait désigné comme responsable des centres de jeunesse où j’organisais des cours pour adultes. Un après-midi, je voyais quelqu’un venir vers moi, trapu, une petite moustache discrète, c’était en fait Mouloud Feraoun que je ne connaissais pas physiquement mais dont j’avais lu les romans. Il me dit ceci : « C’est vous Monsieur Ziani, j’ai appris que vous êtes directeur des centres de jeunesse et je voudrais que mon fils qui est étudiant donne cours dans un de ces centres. » Ce que je fis. C’était un grand honneur pour moi d’avoir connu et côtoyé Mouloud Feraoun. Dans ma vie d’écrivain, je lui ai rendu plusieurs hommages. En 1963, nous voilà indépendants. Il y avait des stages, partout, en France. Avec mon ami, Rekis, nous étions, deux, à être les premiers instituteurs titulaires. Nous nous étions inscrits pour un stage de formation de cadres des finances à Paris. Vers la fin du stage, j’ai été appelé par l’Académie d’Alger. Rentré à Alger, j’avais un choix : être administrateur dans une banque ou réintégrer l’enseignement. J’ai reçu ma convocation pour un poste d’administrateur dans un établissement bancaire. Au moment où j’allais frapper à la porte du directeur général, je m’étais dit : « Ziani, tu es un idéaliste, tu aimes l’enseignement, tu as eu la meilleure note professionnelle parmi la trentaine d’enseignants de l’Algérie indépendante, reprends tes esprits. » Je suis donc revenu à l’enseignement et j’ai demandé la direction de l’école de Crescia, dans le Sahel, actuellement faisant partie de la wilaya de Tipaza. C’était en 1964. J’y suis resté à ce jour.
D’où vient le nom de cette localité ?
Elle s’appelait Crescia. Alphonse Daudet, le célèbre écrivain français, a séjourné ici, dans une ferme à la sortie de Crescia ; il en parle dans Tartarin de Tarascon. J’étais le seul instituteur titulaire de la région.
Durant toutes ces années, l’idée d’écrire vous-a-t-elle effleuré l’esprit ?
Vous savez, je n’ai rien à vous apprendre comment on devient écrivain, artiste…etc. Il faut qu’il y ait une cassure. C’était en 1967, l’année de mes cauchemars, où je ne voyais plus rien. J’avais en revanche une consolation dans le travail : les cours, la formation des enseignants. C’était là ou j’avais quelque chose à dire. Je me suis mis à écrire. Et écrire, ce n’est pas aussi facile que cela. Mon premier manuscrit, des milliers de pages, je l’ai jeté au feu. Je n’étais pas sûr de moi. C’est là que j’ai fait connaissance d’un grand écrivain, Mouloud Mammeri que j’allais voir presque tous les jeudis lorsqu’il était directeur du CRAP (Centre de recherche anthropologique) ; un homme simple auquel je rends hommage. J’étais un de ses admirateurs comme lecteur. Quand il me recevait, il ne se mettait jamais derrière son bureau. Je lui ai soumis mon premier manuscrit Le déshérité. Après l’avoir lu, il m’a regardé droit dans les yeux et me dit : « Il y a trop de passion en vous, vous allez écrire beaucoup de livres. » Je n’oublierai jamais ces paroles. Un jour, en discutant, il m’a suggéré d’écrire une nouvelle. Alors que je me trouvais dans le train Marseille-Paris, la proposition de Mouloud Mammeri trottait dans ma tête. J’ai pris mon stylo et ai écrit ma première nouvelle L’heure du choix publiée et illustrée par le peintre Haroun dans un numéro spécial de Révolution africaine consacré au Premier Novembre. Puis, me voilà engagé, nouvelle sur nouvelle
Dans son Dictionnaire des écrivains maghrébins (….) Jean Déjeux écrit à propos de votre roman Le déshérité : « C’est un roman autobiographique, qui a été écrit avec beaucoup de passion et l’auteur dit « avec beaucoup de souffrances. » Il était parti pour écrire un roman-fleuve de 600 pages en 1970-71, seule la première partie a été reprise… »
Exactement. J’étais tel un volcan. J’ai écrit plus de 600 pages. J’ai condensé et j’en ai fait un roman de 300 pages.
Dans ce roman Le déshérité, le personnage principal, Raïs, est un ancien maquisard ambitieux…
Raïs, c’est moi. L’indépendance venue, il a été exproprié de son petit morceau de terre, Tamazirt, qu’il cultivait avec amour. Un jour, aux aurores, il invoque Dieu dans sa prière. Et c’est l’aventure. Par son abnégation, son sérieux dans le travail, il réussit dans la vie, dans l’enseignement comme moi. De ce point de vue autobiographique, j’aurais fait un très bon metteur en scène. On ne peut pas être écrivain si on n’a pas vécu, si on n’a rien senti. On ne fait que rendre. Devant une page blanche, est impuissant celui qui n’a pas senti, qui n’a pas pleuré, ainsi que le dit un vers de Musset « L’homme est un apprenti, la douleur est son maître, nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert »
Les titres de vos premiers romans Le déshérité, Et mourir à Ighil, L’impossible retourexpriment cette souffrance, la dépossession puis, il y a eu comme une sorte de décompression avec Ma montagne, Nouvelles de mon jardin et Le secret de Marie…
Après Le déshérité, il y a eu en moi une sorte de dépression. En 1964, comme je vous l’ai dit, j’ai obtenu la direction de l’école de Crescia Un jour, je suis venu visiter le bourg avec mon épouse et je découvre le village, calme, entouré de verdure. Il y avait cette maison vacante avec un grand jardin de 1000m2, je l’ai occupée et me voilà devenu jardinier. J’ai retrouvé ma sérénité. Mes journées étaient pleines entre la pédagogie, mon jardin et mes enfants. Je suis père de sept enfants dont quatre docteurs, professeurs de médecine, deux ingénieurs et un professeur de physique. Ils ne sont pas arrivés si facilement à ce niveau. Un enseignant qui ne réussit à former ses propres enfants comment voulez-vous qu’ils forment d’autres enfants ? Il faut être exemplaire. Beaucoup de mes élèves, aujourd’hui retraités, n’osent toujours pas fumer devant moi. J’ai lu de milliers de livres de pédagogie et j’en lis toujours. Le respect se mérite. Il y a deux mérites en pédagogie : la bonté et la fermeté. Retenez cela. Mais je dois avec Henri Troyat dont je fais mienne la citation : «Il nous reste peu de choses des passions qui nous ont agité autrefois»
Que devient l’autre partie du manuscrit Le Déshérité ?
Elle est toujours là, dans mes tiroirs avec des traces de brûlures. Musset dit fort à propos : «Il y a dix pour cent d’inspiration et tout le reste est travail»
D’ailleurs, votre personnage Rachid Mohand Ouali qui écrit à Belaïd dans votre romanMa montagne, dit dans une de ses lettres : «Je savoure la volupté d’écrire, la lutte patiente contre la phrase qui se raidit puis s’assoupit, l’attente immobile, l’affut d’un mot…» C’est bien vous, non ?
Oui, parfois, en me relisant, je me demande si c’est bien moi qui ai écrit…
Vous avez eu des correspondances avec d’autres écrivains ?
Oui, des lettres échangées avec Emmanuel Roblès auprès duquel Mouloud Mammeri m’a recommandé. Des correspondances aussi avec Jules Roy et Patrick Poivre d’Arvor.
Revenons à votre roman Ma montagne ? Pourquoi le choix épistolaire ?
Ce sont des souvenirs d’enfance. Mon héros quitte la région de Beni Allel suite aux Nouvelles de mon jardin et qui se retrouve en pleine montagne cultivant un jardin.
Rachid Mohand Ouali en même temps qu’il fait des réflexions sur la langue, dit « Je suis de ceux qui préfèrent les écrivains qui, dans un style clair me font retrouver le monde où je vis, qui peignent ce qui m’entoure »…
Oui, j’ai beaucoup d’admiration pour la société kabyle qui même dans la misère, observe la solidarité, le bon sens, l’organisation, le nif et tout le reste. C’est beau. Mon héros, Rachid Mohand Ouali, vivant à Beni Allel, c’est à dire Crescia, parle de l’imam, du garde champêtre, des fonctionnaires, du comportement de la société dans Nouvelles de mon jardin dont Ma montagne constitue la suite. Pour ne pas ennuyer le lecteur, j’introduis l’humour.
Les thèmes développés dans Ma montagne n’ont-ils pas une étroite relation avec le contexte socioéconomique de ces années 80. Votre personnage Rachid quitte Beni Allel défiguré par l’installation d’une usine, une route qui coupe en deux son jardin… ?
Effectivement, c’est le cas de tout le monde aujourd’hui. J’ai en quelque sorte anticipé sur ces problèmes. C’est ce que les gens me disent.
Le secret de Marie est votre dernier roman. C’est le plus proche de la réalité politique de l’Algérie des années 1990…
Le secret de Marie est mon dernier roman paru à Paris, chez L’Harmattan. Il m’a fait souffrir. Je l’ai écrit à une période où les terroristes se pavanaient à Crescia où la solidarité n’existait plus. Un jour, j’ai pris mon cartable et je suis parti à Alger où je me suis présenté à l’ambassade de France. Il me fallait faire vite. Au guichetier, je me suis présenté comme écrivain qui voulait dédicacer un de ses romans – j’avais pris Nouvelles de mon jardin – à l’attaché culturel de l’ambassade. Dans la salle d’attente, nous étions quatre parmi lesquels des chirurgiens, professeurs d’université. J’étais assis, feuilletant mon livre et je brisai le silence en disant : « Et dire que je suis un homme heureux dans mon pays ». Ils m’ont tous regardé. Je me suis présenté à eux et tous m’ont donné leur carte de visite. J’ai été reçu par l’attaché culturel auquel j’ai dédicacé Nouvelles de mon jardin. Quelques jours plus tard, je reçus mon visa de type A (prioritaire). Je suis donc parti à Paris. J’ai échappé à une mort certaine à Crescia. J’avais pris Le secret de Marie à l’état de manuscrit. Arrivé chez mon fils, ingénieur en informatique, place Voltaire, je me suis remis à son écriture. J’ai déposé la version finale aux éditions L’Harmattan qui l’ont publié. Mais je n’ai pas voulu rester en France. J’aime ma liberté. Je suis donc revenu à Crescia. J’ai soumis le même manuscrit à Casbah Editions qui n’ont pas donné suite. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Pourtant, Mouloud Achour que j’ai connu à El Moudjahid l’a lu et m’a même dit : « Enfin, voilà un bon roman ». N’étant pas un écrivain de 68, je n’ai pas voulu faire des courbettes. Je suis très à l’aise dans ma vie. Ma gloire est faite.
Pour rester dans votre production romanesque, dans les années 70/80, vous publiiez pratiquement chaque année un roman…
Effectivement. Il y en a d’autres qui sont à l’état d’ébauche et que j’ai laissés tomber par la suite. J’écrivais jour et nuit. Mais, au-delà d’un certain âge, la mémoire fait défaut. Je vous avais dit que j’étais comme une encyclopédie vivante. J’ai touché à tout. J’ai abordé pas mal de sujets. Je me suis lancé dans une autre aventure avec une collection en direction des jeunes Sciences et Savoir avec une série de portraits que j’ai intitulée Nos héros, une sorte d’encyclopédie de la jeunesse aux éditions Dahleb. Ce n’est pas aussi facile que cela quand on écrit à l’enfant. Il ne faut pas être un savant mais pédagogue. J’ai lu des centaines de livres d’enfants. La simplicité est la chose la plus difficile à atteindre dans un travail d’écriture en direction de l’enfant. Quand vous lisez Victor Hugo, Anatole France, François Mauriac, vous en restez ébahi.
Vous avez publié dans les maisons d’édition de l’époque aujourd’hui dissoutes…
Oui, il n’y avait que la Sned, transformée en Enal, puis l’Enap
Comment étaient reçus vos romans ?
Sans me vanter, Le déshérité s’est vendu dans l’année ; L’impossible bonheur a été tiré à cinq mille exemplaires. Il a été épuisé dans l’année également. Les autres ont été tirés à 3000 exemplaires.
Vous avez également un ouvrage qui va paraître au SILA 2010
J’ai signé le bon à tirer et il sera présenté au SILA 2010. C’est un essai intitulé De la littérature universelle. Des écrivains universels, comme Léon Tolstoï, Voltaire, Rousseau et beaucoup de nos écrivains algériens : Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Malek Haddad, Assia Djebbar, Tahar Djaout que j’ai connus.
Comment vous situez-vous par rapport à la génération des écrivains de ces années 80, entre autres Chabane Ouahioune, …
Mon ami Chabane et comment ! On se rencontrait tous les deux souvent à Alger et nous écrivions à cette époque au journal L’Horizon.
Vous avez des parentés thématiques avec cet écrivain. Nous pouvons rapprocher votre roman Ma montagne à Tiferzizouith ou le parfum de la mélisse de Chabane Ouahioune. Vous développez tous les deux une dimension écologique du roman.
C’est un écrivain érudit. Il était avocat. Il y avait certainement quelque chose qui le poussait à l’écriture.
Avec aussi un autre écrivain décédé, Mohamed Hadadi qui a écrit un seul roman Le combat des veuves…
C’est mon cousin maternel. Je lui rends d’ailleurs ne serait-ce qu’un hommage dans mon essai qui va paraître De la littérature universelle aux éditions Dahleb. Je l’aimais bien. Il était d’ailleurs instituteur à El Merdja. J’étais encore enfant à l’école quand il écrivait. C’était un mordu de la littérature, surtout de poésie. Il a brûlé son premier manuscrit alors qu’il était enseignant à Boufarik. Il a vécu beaucoup de mésaventures et il n’a pas réussi en littérature. Il a écrit ce roman Le combat des veuves. A un moment donné, il dirigeait la Revue du Djurdjura
Aucun de vos romans n’a été réédité. Pourquoi ?
Je n’ai pas cherché car, je pourrais le dire franchement, je suis un homme comblé. J’ai réussi l’éducation de mes enfants. Je ne suis pas dans le besoin.
Au-delà du besoin, vous n’êtes pas intéressé par la réédition ?
Je n’ai pas demandé, je n’ai pas cherché. Avec l’âge, cela devient pénible. Je vous ai déjà raconté ce qui s’est passé avec les éditions Casbah par l’intermédiaire de Mouloud Achour à propos de la réédition de Le secret de Marie que j’ai écrit avec mes tripes. Il traite d’un sujet délicat. Mon héroïne est une jeune fille orpheline recueillie par les Sœurs Blanches et qui est devenu chrétienne. J’y défends la tolérance des religions. Je me suis beaucoup documenté pour écrire ce roman. J’ai fait connaissance de Mgr Tessier. Je me suis un peu inspiré du roman Le rouge et le noir de Stendal. En écrivant les dernières pages, j’ai versé des litres de larmes. Je n’écris que quand je suis inspiré, jamais sur commande
D’ailleurs, dans Ma montagne, Rachid Mohand Ouali nous apprend que Bélaid, dans une de ses lettres lui demande d’écrire une nouvelle sur sa nouvelle vie de montagnard. Ce que Rachid refuse…
Oui, combien de journalistes m’ont demandé d’écrire des nouvelles. Non, je ne peux pas écrire sur commande.
Parmi vos romans, quel est celui qui vous a donné le plus de difficultés ?
C’est Le déshérité qui m’a fait souffrir. Huit ans d’écriture. Le manuscrit a été sauvé des flammes par ma fille. Mais il m’a permis de connaître Mouloud Mammeri et d’être en quelque sorte journaliste. «Ce livre est l’œuvre de huit ans de veille» J’ai rendu hommage à l’abnégation de mon épouse et à mon dactylographe qui m’a suivi ligne par ligne. C’était un travail monumental. Des tonnes de papier. C’était la machine à écrire et quand il y a une erreur, vous imaginez ce que c’est. Mais j’avais quelque chose à dire qui brûlait mes entrailles.
Ma montagne aurait pu s’intituler Mémoires d’un jardinier, non ?
Oui, il y a également de la philosophie. Mémoires de mon jardin est encore plus riche en événements et en style. J’y décris mes expériences de jardinier. Quand je suis arrivé ici à Crescia, je ne savais rien du monde agricole. J’ai appris beaucoup de chose en cultivant mon jardin. A 7h du matin, je suis au jardin, J’avais des salades de toutes les variétés, toute sorte de haricots, des légumes frais. A 8h, je mets mon costume cravate et je vais à mon travail d’enseignant. C’était pour moi une joie. J’ai connu le vrai bonheur. Des jours avec un soleil radieux, toute une vie qui foisonne dans mon jardin. Le plaisir de cueillir un fruit.
Le jardin est le lieu fertile omniprésent dans vos romans
Oui, je travaille la terre, je me fatigue et puis me vient l’inspiration.
15 septembre 2012
Auteurs Algériens