Par Kaddour M’HAMSADJI
il s’agit d’une mère exceptionnelle nommée Ritedj dont l’histoire se confondait avec toutes les résistances…
«Aller son petit bonhomme de chemin» est une expression qui convient honorablement à Nour-Eddine Mamouzi dont les contours d’auteur prolixe, convaincu et convaincant, confirment de nouveau certaines qualités annoncées dans sa toute première oeuvre Les Chemins de la nuit (2009) et relancées dans les suivantes L’autre rive de mes réminiscences (2010) et Les Secrets de l’extrême (2011). Voilà un auteur sur le chemin de l’épanouissement, enfin délesté de sa trop prudente pensée d’entreprendre et n’hésitant même plus à la dire avec la spontanéité du premier jet d’écriture qui parsème des négligences… Il faut se laisser le temps de se relire: un temps raisonnable, car une oeuvre n’est jamais vraiment finie.
Quoi qu’il en soit, dans son nouveau roman Les Falaises de la colère, Mamouzi décrit une mère courage qu’il nomme «Ritedj» et parle d’elle avec des mots à elle, mais en vérité, ces mots sont réinventés par lui afin que l’histoire qu’il raconte, «l’histoire légendaire», soit celle «du peuple des mots». Nous sommes en plein dans le réalisme d’une série d’événements prodigieux et étourdissants. L’allégorie, formée par Mamouzi qui fait de la vieille femme Ritedj une sainte, est d’une incontestable richesse littéraire et certainement sociale, politique et religieuse, – car les ressorts, qui animent la dramaturgie générale du récit symbolique, exigent, dans ce cas-là, une solide maîtrise de l’expression humaine dans sa totalité: langage, psychologie, morale, et portrait juste des personnages. Aussi, le prénom Ritedj nécessite-t-il une explication analytique que l’auteur ne propose pas. J’entends que ce «prénom» court chez nous comme une mode importée. Sans aucune référence sûre, ceux qui sont friands de «Ritedj», lui donnent des significations assez bizarres que l’on peut classer comme inepties nonobstant qu’elles soient vérifiées et confirmées. Alors ici et là, et sur Internet, on déclare avec la conviction de bien faire, je cite textuellement: «Ritej désigne le voile brodé qui couvre La Mecque (sic). Une autre définition secondaire, savoir que ce mot désigne en arabe littéraire ce que l’on appelle en Tunisie ´´Blej´´ qui sert à fermer les portes (sic); «… On aura une fille qui va porter le nom Ritedj (sic).» D’autre part, je sais que des parents d’Arabie, par ignorance ou par afféterie, ont prénommé leur fillette «Allièj», de «Alliage», un parfum célèbre d’Estée Lauder…
De toute façon, et partant de ce «prénom» qui semble n’avoir aucun rapport ni direct ni indirect avec le sujet du roman de Mamouzi, je valorise l’intention sentimentale de l’auteur en indiquant, par référence aux dictionnaires arabes et à l’usage, que «Ritedj» désigne un système de verrouillage de porte (par exemple, une grosse pièce en fer ou en bois qui barre une porte). Je pense également à «r’tèdj» «gond de porte en forme de pivot», vocable utilisé dans une boûqâla (court poème dans le jeu traditionnel et familial du même nom). Ritedj signifierait plutôt, à l’évidence, pivot aussi – et quel fantastique symbole n’autoriserait-il pas alors ce prénom rare d’origine peut-être arabo-berbère? En effet, Ritedj, dans le roman, désigne un personnage central, une enfance promise à des horizons lourds de significations… et où l’élément géologique, telles «les falaises» (bordant une petite «maison bâtie sur un immense plateau», devient «le rempart naturel et historique», symbole protecteur de nos rivages. Cependant, parfois «la vague était immense et même les falaises ne suffisaient plus pour parer au déferlement du mal. Ritedj était de nouveau maltraitée, bousculée, n’avait plus rien; elle qui se promettait de vivre avec une justice équitable pour tous les hommes.»
Ritedj est alors une Mère-Pivot, si j’ose la comparaison, de toute conscience en éveil pour sa famille, pour tous les siens, pour la tribu, pour le peuple tout entier et dont Mustapha, son fils, est la représentation particulière des «émotions conflictuelles de la vie». En somme, Ritedj est la Mère essentielle qui enfante les héros et les protège de ses propres vertus, de son courage et surtout de ses méditations. Elle défendait la vie et protégeait le «précieux patrimoine qui ne meurt jamais». Le symbole est clair, précis et engageant. Tout est dit, transcrit, murmuré, expliqué par de subtiles allusions aux «adversités» subies par Ladj «sur cette terre», celle des hommes et «au-delà des hommes». Une légende d’une éclatante émotion court tout au long des pages écrites avec la ferveur de l’écrivain qui se veut écrivain, – je dirais récit écrit avec un pittoresque fertilisant les mémoires oublieuses d’un passé trop lointain et, pourtant, trop proche. Cependant, souvent trop libres, trop libérés, trop inégaux, le style, la façon, le souffle, l’insouciance de l’écriture pourraient brouiller l’intérêt de lire ce roman et désorienter la réflexion conséquente. Mais, qu’à cela ne tienne, l’Algérie vibre dans ce corps de roman, malgré l’absurde qui avait soulevé en elle tant de drames, tant de feux dans lesquels tant et tant «de braves avaient déjà péri»! Le roman est sauvé par la forte volonté de l’auteur de nous conduire vers sa pensée profonde (l’amour de l’autre, le lien terre-homme, l’incompréhension, le malentendu, l’espoir) et de nous l’expliquer sérieusement par «les épreuves mémorables» de Ritedj, de Mustapha, de Ladj, du «missionnaire» originel,… et des hommes nouveaux qui vont «en ces tous nouveaux débuts de liberté» entrer dans le chapitre «Les Soleils détournés», jusqu’à «L’Intrigue», jusqu’à «L’Imposture», jusqu’au «Reniement».
L’auteur entend développer un enseignement tiré de l’expérience humaine et très illustratif du caractère propre à la terre, en somme notre Terre Maternelle qui finalise le «lien mystérieux de la matière et de l’esprit». Cette chose est évidente, trop évidente à la lecture du roman Les Falaises de la colère de Nour-Eddine Mamouzi et sûrement en analysant la structure du récit qui comprend 13 chapitres et en s’arrêtant spécialement aux sens multiples délivrés par les symboles et les allusions. Sans doute, ce roman ne sert pas une philosophie apprise à l’école; il sert une méditation productive d’idées sur l’homme et son prochain, sur l’homme et la terre qui le nourrit, sur la condition humaine en quelque lieu qu’elle se révèle. Ici c’est l’Algérie, et j’y vois la Mère-Patrie: une leçon utile pour chacun de nous, une vérité qui jaillit à chaque chapitre. Nous verrons que, de «la cité Joseph» au temps des «Zaims (leaders éclairés)», «La Raison» n’a jamais été écoutée.
Ritedj, mère courage? Sans aucun doute. Mais le courage d’écrire l’histoire de Ritedj est aussi le courage de l’auteur. L’histoire de Ritedj, je ne saurais pas la résumer ici. Pourrait-on la raconter mieux que Mamouzi? Allons donc, il faut lire la légende dans le texte pour se faire soi-même son plaisir et sa certitude qu’il existe encore des âmes comme on voudrait encore en avoir. Les Falaises de la colère sont bel et bien une invite à la réflexion, à la révision de notre passé. Voilà une oeuvre qui fera son chemin, mêlant histoire, légende et condition humaine: ce que femme veut, Dieu veut. Autrement dit: si l’Algérie veut, Dieu Très-Haut veut. J’entendrais bien Ritedj, «femme adulée», murmurer à son peuple, à ceux qui l’aiment et qu’elle aime: «N’oubliez pas la demeure coloniale.» Et à ce propos, comme dit souvent l’homme du peuple: «Wel fâhem yaf-ham, L’être doué de raison comprendra [mon propos].»
Non, dans ce roman, Les Falaises de la colère, Nour-Eddine Mamouzi n’exprime pas un regret prisonnier de l’Histoire dans laquelle s’est installée «la demeure coloniale»; il construit ce qu’aurait dû être «ce précieux patrimoine qui ne meurt jamais» et qui rappelle ce fait: «Dans la modeste demeure de l’époque, la fratrie lisait, réfléchissait, avait la soif de réussir dans l’union en partageant des confidences». Dans ce roman dont l’édition gagnerait à être «revue et corrigée», je vois une leçon de vie à apprendre, à enrichir et à faire connaître à la jeune génération.
(*) LES FALAISES DE LA COLÈRE de Nour-Eddine Mamouzi NECIB-Éditions, Alger, 2012, 221 pages.
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14 septembre 2012
LITTERATURE