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Rente, néolibéralisme et patriotisme économique Par Yacine Teguia*

10 septembre 2012

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Cinquante ans après l’indépendance, l’Algérie connaît un nouvel été de la discorde, une polémique sur l’orientation économique du pays. Les uns assimilent l’intervention de l’Etat à une tentative de pérenniser le système rentier et à un recul démocratique à base islamo-conservatrice, les autres espèrent un retour à un âge d’or du développement et la prise en compte des forces liées à la production.
Dans un contexte de crise économique mondiale, les débats se télescopent. L’économie algérienne est-elle coupée du marché international et insensible à ses perturbations ? La sphère médiatique est régulièrement agitée par de telles questions liées à la problématique de la nature du système économique algérien. Il en fut ainsi du débat sur le statut de Sonatrach, sur la politique industrielle, sur la légitimité du plan de relance de l’économie, sur les privatisations mais surtout du débat sur le rééchelonnement et l’ajustement structurel. Jusque-là, le pouvoir a évité l’examen sérieux de toutes ces questions, et la conférence économique et sociale organisée par le président Zeroual n’aura été qu’une tentative de forcer un consensus autour du plan d’ajustement structurel et de l’intégration de l’islamisme au sein des appareils de l’Etat, dans le cadre de la reprise du processus électoral. Mais le pouvoir n’aura su ni empêcher la crise ni rétablir les conditions de vie antérieures en matière d’emploi, d’habitat, de protection sociale, d’éducation ou de santé. « Mazalna wakfin», dit un message marchand qui croit flatter le patriotisme des Algériens. Debout, oui, mais à l’arrêt. Dans le débat, différentes écoles s’affrontent. Et qui dit écoles dit idéologies. Or, en matière d’idéologie, il est toujours utile de s’en référer à Gramsci. Sa notion de bloc historique a mis à jour l’articulation entre structure économique et superstructure politico-idéologique. Mais il a aussi montré que la caractérisation d’une étape du développement d’une société n’est possible que quand celle-ci connaît son complet déploiement. C’est maintenant le cas du néolibéralisme algérien. Son succès se mesure à son hégémonie. Alors que tant de monde parle de rente, il apparaît que les intérêts liés au capital spéculatif dominent la structure économique algérienne. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, mais le néolibéralisme s’impose en masquant son existence même. Cependant, dans les faits, la stabilité monétaire est devenue le bien suprême de la société algérienne tandis qu’une nouvelle doxa prône l’idée que «les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain». Les évangélistes du marché mettent l’individualisme au commencement de tout. Ils chantent la gloire de la propriété privée, notre sauveur. La force de ce discours est la force de l’évidence. Ce qui est précisément l’enjeu d’une controverse devient indiscutable et monsieur le professeur Taïeb Hafsi peut lancer à ceux qui réclament le débat : «L’expérience historique mondiale et celle, plus douloureuse, de l’Algérie ont tranché.» Ce n’est plus de la propagande, mais un fait acquis, un huis clos historique. La supériorité et le caractère universel du néolibéralisme ayant été prouvés, toute revendication, toute proposition de changement radical de la société et de l’Etat apparaît comme un nuage venant voiler un ciel azuré, et qu’on peut soupçonner de charrier une utopie, naïve ou totalitaire, comme la nuée porte l’orage. Et voilà paralysé le principe même de la vision novatrice et de l’action politique. La main invisible règle toutes les imperfections, balaie les injustices et impose l’idée d’un Etat minimal. Depuis le colloque Lippman, à partir duquel le néolibéralisme lançait la conquête du magistère intellectuel, jusqu’à nos commis indigènes, le credo est le même : la verge n’est jamais assez longue pour battre l’Etat. «Défendre l’entreprise», un think tank algérien dont le programme se réduit à plaider la cause, le patronat privé intervient donc dans le débat pour dénoncer, comme attendu, le patriotisme économique. «L’étatisme économique est l’ennemi de la prospérité. L’étatisme économique est souvent présenté comme une forme de nationalisme. En fait, c’est une maladie organisationnelle. C’est l’étatisme économique, et non la menace externe, qui détruit les sociétés nouvelles. Engluées dans leur incapacité à fonctionner, ces sociétés n’ont pas besoin d’ennemi pour les détruire.» C’est à cette attaque en règle que le professeur Aktouf a tenté de répondre à travers la presse : «Que ce soit dans les “50 propositions”, dans les déclarations et écrits récents de certains professeurs et/ou ex-ministres de l’Economie, de maints journalistes “spécialisés”… il n’en est, en ce qui concerne l’Algérie, que de super-credo, à mon avis, plus néolibéraux les uns que les autres.» La réponse du Forum des chefs d’entreprises ne peut que conforter le professeur Aktouf. En effet, son président estime que «ce type de discours antimondialiste… fait le lit de la bureaucratie locale contre laquelle se bat notre association.» Plus conciliant, Ali Bahmane écrit dans El Watan qu’«une nouvelle économie algérienne ne peut faire l’impasse ni sur le libéralisme ni sur l’étatisme». Peut-être sur le mode proposé par Pierre Rosanvallon pour qui les libéraux modernes «ne théorisent pas la limitation de l’Etat par le marché, mais visent au contraire à définir un type d’Etat consubstantiel à la société de marché, totalement immergé en son sein» ? C’est ce type d’Etat qui a sauvé les temples du néolibéralisme lors de la crise des subprimes. Et il est remarquable, qu’en Algérie aussi, le néolibéralisme s’est installé non pas en rupture avec l’Etat, rentier, mais dans son prolongement. Et quoi qu’en dise Taïeb Hafsi, commentateur de la vie mondaine et biographe des riches et des puissants, y compris Cevital qui s’est construit de cette façon, en s’appuyant sur le commerce des denrées et en se plaçant sous la protection de l’Etat algérien. Pour preuve, cette interview de son PDG qui sollicitait publiquement l’intervention d’un des principaux dirigeants de l’Etat pour faire face à un redressement fiscal. Depuis, il a su évoluer de l’import/import vers un modèle productif qui — s’il est encore faiblement intégré — ne ferme pas la porte à une évolution positive. Il lui faudra, pour y arriver, se débarrasser d’archaïsmes comme celui qui consiste à refuser la mise en place d’un syndicat. Ce qui semble être à la fois un héritage du privé national que du modèle proposé par Samsung, l’entreprise sud-coréenne avec laquelle monsieur Rebrab est en affaire. Mais le respect des libertés syndicales sera plus le fait d’un Etat démocratique que d’une entreprise enfermée dans la logique du profit. Les néolibéraux exigent que l’Etat algérien abdique toujours davantage au privé. Pourtant la privatisation de l’économie est avancée. Mais elle est plus le résultat de la levée du monopole que l’effet de la privatisation des entreprises publiques. En 2002, la contribution du privé au PIB s’élève à hauteur de 75% hors hydrocarbures. Dans le secteur agricole, 99,7% de la production est le fruit du secteur privé. Le commerce privé, qui représentait 23% de la valeur ajoutée en 1990, atteint 97% en 1998. Mais il reste le secteur bancaire et Sonatrach. «Le système financier algérien, poumon du développement et du pouvoir du pays doit être autonomisé et non être un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures», explique Abderahmane Mebtoul, le fébrile courtier de l’Association pour la défense de l’économie de marché. Les banques publiques concentrent 90% des actifs alors qu’il y a plus de 20 banques privées étrangères. Les plans de privatisation ont été retirés au moment où le privé national faisait de plus en plus d’investissements de portefeuille. Est-ce contrariant ? Oui ! Alors qu’on a procédé à une recapitalisation de plusieurs milliards de dollars en préalable à une privatisation, il est apparu que les créances irrécouvrables des banques publiques atteignaient 4,5 milliards de dollars, dont 600 millions, seulement, pour les entreprises du secteur public. Le reste ? Il va servir à acheter les banques… avec l’argent des banques ! L’emprunt obligataire organisé par Sonatrach a aiguisé les appétits. La rémunération proposée fait rêver de sa privatisation. «On veut tailler dans la chair de la Nation» mettait en garde Louisa Hanoune. Elle semble ne pas avoir vu que l’internationalisation de Sonatrach (investissements au Pérou, etc.) a servi au découplage de l’entreprise des nécessités du développement national, pour se concentrer sur la rentabilité. Cette attitude annonçait les placements sur les marchés financiers internationaux auxquels Sonatrach a pu finalement procéder. En 2012, cette diversification rapporte deux milliards de dollars à la société, et attise les convoitises des néolibéraux. «Sonatrach fait face actuellement à un déficit en matière de savoir-faire et de technologie. Celle-ci nécessite… un bon partenariat avec les compagnies internationales. Mais la question qui se pose est de savoir si ces partenaires accepteront la règle des 49/51%. La reformulation de la loi sur les hydrocarbures devrait marquer le passage d’un régime de partage de production à un autre dit de concession», analyse Mebtoul. Et il ajoute qu’«il s’agit de préparer un audit opérationnel du patrimoine existant». Les prédateurs ne cachent plus leur empressement à connaître la valeur de ce qu’ils veulent acheter ! Les prétentions des néolibéraux se fondent sur la nécessité de dépasser l’Etat rentier. Mais ils en ont une conception erronée dont on ne peut pas exclure qu’elle ne soit que feinte. Pour eux, l’Algérie étant dépendante, c’est donc un Etat rentier. Il est vrai que les hydrocarbures représentent 98% des exportations et que le pays importe 75% de ses besoins. Pourtant le Japon aussi est dépendant, il a besoin de matières premières pour son industrie et personne ne considère ce pays comme rentier. Oui, mais l’Algérie est un pays mono-exportateur, ce qui rend sa dépendance plus grande, nous expliquent nos économistes estampillés FMI. Pour finir de nous inquiéter, ils ajoutent cette précision qui fait trembler : nous dépendons des cours internationaux. Mais, messieurs les néolibéraux, quel est donc le produit dont le cours n’est pas fixé par le marché mondial ? Et puis le Nicaragua exporte presque exclusivement du textile et n’a qu’un seul client, les Etats-Unis ; il ne viendrait cependant à qui que ce soit l’idée de qualifier ce pays de rentier. Mais c’est une production industrielle alors que l’Algérie exporte une matière première. Allons donc ?! La Côte d’Ivoire tire les 2/3 de ses recettes d’exportation du cacao. C’est une richesse renouvelable diront nos experts décidément contrariants. Mais alors, si la part des produits raffinés augmente et si les produits de nos exportations de capitaux s’accroissent, on peut considérer que l’Algérie n’est plus un pays rentier ! Le rapport du gouverneur de la Banque d’Algérie le confirme. Pour 2011, il précise même que les intérêts des placements à l’étranger ont été de… 4,7 milliards de dollars. A la louche, cela couvre 10% de nos importations. Et un pays dont l’industrie ne représente qu’une faible partie de son produit intérieur brut est-il forcément un état rentier ? Faudrait-il considérer le Luxembourg, dont le secteur des services représente 85% du PIB tandis que l’industrie et l’agriculture ne représentent que 15%, comme tel ? Non ce n’est pas la même chose nous dirons ces savants qu’on imagine comme ces médecins de Molière, proposant purges et saignées, parce que nous sommes victimes du syndrome hollandais. Mais alors l’Angleterre et la France qui connaissent une désindustrialisation ininterrompue en sont-elles atteintes aussi ? A ce catalogue d’inepties on peut ajouter un article à la mode : la corruption. C’est un symptôme majeur du caractère rentier de notre économie assènent les néolibéraux. Pourtant, les détournements auxquels a donné lieu la construction de l’autoroute Est-Ouest paraissent bien modestes à côté de l’affaire Enron aux Etats-Unis. De la même manière, un pays où l’informel représente 40% de l’économie nationale n’est pas forcément un Etat rentier. En Grèce l’économie informelle contribue à 35% de la production de la richesse. Serions-nous un Etat rentier parce que les hydrocarbures contribuent pour 60% à la fiscalité ? Mais fallait-il renoncer à l’ouverture économique afin que les recettes douanières représentent plus de 50% de la fiscalité comme au Togo ? Enfin, le déficit budgétaire n’indique pas plus que le pays se vautre dans la rente. Auquel cas les Etats-Unis, dont le déficit budgétaire est abyssal, devraient être considérés comme un Etat rentier. En fait, c’est même un indicateur de l’orientation néolibérale puisque le déficit sert à éponger les surliquidités présentes dans le système financier et… à enrichir les banques, en freinant l’offre de crédit aux ménages et aux entreprises. Le système rentier a cédé sous les coups de boutoir de la réforme, de l’ouverture, de l’ajustement et des privatisations. Certes. Mais la négation de l’idée qu’il y a bien eu un système rentier est une tentative de déconstruction du discours dominant qui se limite à une inversion formelle de celui du néolibéralisme qui réfute sa propre existence en Algérie, afin d’éviter d’avoir à rendre des comptes sur les ravages causés au pays. Toutefois, la critique doit aller plus loin. Les néolibéraux ne regardant que l’individu — «la société n’existe pas» —, s’exaltait Margaret Thatcher, nous devons en revenir à l’économie politique. Par l’étude des conditions sociales de production on peut caractériser une formation économique et sociale et mettre les néolibéraux en difficulté au plan conceptuel. Mais de ce point de vue, on peut voir, aussi, que la notion de rente n’est pas qu’un alibi du néolibéralisme, comme l’écrit Abdelatif Rebah dans le journal électronique La Nation. Il vient pourtant de publier un livre qui retrace, avec force faits et chiffres incontestables par les néolibéraux, l’expérience de développement et le processus d’édification des outils, Etat et entreprises publiques, qui ont permis le démarrage de l’économie de l’Algérie indépendante et dont il relève les faiblesses, mais peut-être pas avec la force nécessaire. Le néolibéralisme, lui, a su s’emparer des retards mis dans la réforme de ces outils au moment où le système est entré en crise. Il a fini par s’imposer face à ceux qui voulaient sortir de la crise du système rentier sans sortir du système lui-même. Et les néolibéraux peuvent, encore, cyniquement dénoncer ceux qui s’émeuvent de la régression socioéconomique sans envisager le coût des non-réformes. Si certains tenants du modèle mis en place avec la nationalisation des hydrocarbures excluent qu’on le caractérise comme rentier, c’est parce qu’ils n’admettent pas vraiment qu’il a connu une évolution contradictoire. Avant d’arriver à ses limites historiques, le système rentier a, il est vrai, permis de liquider les vestiges du colonialisme et de mettre en place des rapports précapitalistes qui ont amorcé le développement industriel du pays. Pourtant, si cela est attendu des tenants de la pensée néolibérale, il demeure déroutant que des intellectuels, se revendiquant des idées de progrès, fassent peu cas de la dialectique qui postule que chaque chose porte en elle son contraire. Et on prend le risque de glisser, dès lors qu’on quitte le solide terrain de la dialectique. C’est le cas du professeur Rachid Bendib qui aboutit d’ailleurs aux conclusions inverses de celle d’Abdelatif Rebah. Son expérience de l’empire de la médiocrité à l’université de Annaba l’amène à postuler que non seulement le système rentier existe bel et bien, mais qu’il est incapable de produire les forces de son dépassement. Dans ses nombreux travaux qui vulgarisent la notion de rente, il parle de mode de distribution rentier et même de non-économie, mais n’échappe pas à des contradictions insolubles. En vérité, des survivances de la rente n’indiquent pas une survivance du système rentier. Le système rentier se distingue nettement de la phase néolibérale qui lui a succédé. Il se particularise, d’abord, par l’inexistence du salariat, c’est-à-dire par l’absence de rapport d’exploitation capitaliste, en tout cas par leur non-dominance. Pour l’essentiel, le travail n’est pas une marchandise dont le prix est déterminé par la loi de l’offre et de la demande. Le prix du travail est administré, comme le prix de la semoule. Déterminé par les cours du baril. Les licenciements dans les entreprises publiques non performantes, la réapparition du travail des enfants, le développement de l’emploi féminin, l’explosion du secteur informel, le recours à la main- d’œuvre étrangère et la hausse des effectifs du secteur tertiaire générateur de profits sont les indicateurs de la transformation du travail en une marchandise. Ils ont une traduction : la dégradation de la valeur des salaires sur la valeur ajoutée brute. Quant à la deuxième caractéristique du système rentier, elle concerne le décalage entre les rapports de propriété (étatiques) et les rapports d’appropriation (privés) liés à un mode de redistribution basés sur le clientélisme. Même si ce décalage persiste, avec une moindre ampleur, il n’est plus au service de la reproduction du système rentier mais joue un rôle dans l’accumulation capitaliste. Le professeur Belhassine rappelait, dans une contribution publiée dans El Watan, que la rente pétrolière n’est qu’une catégorie de la rente foncière. On sait quel rôle elle a joué dans l’économie féodale mais aussi quel rôle elle joue toujours à l’époque capitaliste (cf Livre III du Capital de Marx). Comme le second servage en Europe centrale ou l’esclavage aux Etats- Unis, le capitalisme subsume les anciens rapports pour assurer son propre développement. «Il est, dans la longue perspective de l’histoire, le visiteur du soir. Il arrive quand tout est déjà en place», rappelait Braudel dans La dynamique du capitalisme. La pensée néolibérale est devenue un mythe difficile à faire vaciller. Cependant, ni les médias ni les business- schools ne sont ses principaux propagandistes. C’est surtout le travail des politiques. Leur action consiste à déterminer un itinéraire vers le changement institutionnel qui permette de réaliser les buts du néolibéralisme. Et le rapport de force a évolué en leur faveur. C’est pourquoi, malgré le désastre planétaire, ils n’acceptent pas de remise en cause de la doxa. Ils se contorsionnent et nous expliquent que la crise internationale est transitoire et va connaître un réajustement automatique, tandis qu’en Algérie la crise est structurelle, c’est celle du système rentier. Il n’est donc pas surprenant que le pouvoir qui a, dans un premier temps, nié la crise, en ait ensuite reconnu l’ampleur. Plus conscient ou sensible à l’évolution des rapports de forces, il cherche à élargir sa base pour résister aux exigences de changement réel. Le pouvoir peut faire volteface et passer du discours sur l’éradication du terrorisme à celui de la réconciliation nationale ; il peut être aussi à l’aise pour lancer «il ne faut plus parler de stratégie industrielle mais de stratégie d’exportation» que prêt à se convertir au patriotisme économique. Il pratique l’équilibre entre incitation et coercition, crée des coalitions de circonstance et s’adapte en permanence. Dès le premier mandat de Bouteflika, Ouyahia pouvait annoncer que tout est privatisable. Au final, on retient surtout la vente du complexe sidérurgique d’El Hadjar. Le mastodonte, considéré comme un tas de ferraille, sera une des rares entreprises qui attireront les IDE. Pas si mal pour un symbole de l’échec de l’industrie industrialisante. On est pourtant à une époque où le secteur industriel vient de réaliser une véritable performance cachée. En 1999, la production de 100 DA de CA par l’industrie publique a nécessité, dans sa globalité, l’importation de seulement 20 DA d’inputs. Ce qui peut rendre ce potentiel attractif. Mais la bataille autour des privatisations a surtout permis d’accroître l’autonomie politique du pouvoir en créant des agences de régulation qui dépouillent les grandes entreprises nationales des pouvoirs souverains qui leur étaient accordés. C’est le cas pour les hydrocarbures, les ports et les télécommunications. Par ailleurs, l’ouverture commerciale s’est étendue grâce à l’accord de libre-échange avec l’Union européenne. La décision avait, c’est même reconnu par le ministre du Commerce, un contenu autant politique qu’économique. Il en fut de même pour l’accueil des investissements en provenance des pays du Golfe. La dette remboursée, l’achat de bons du Trésor américain, en plus de la coopération dans la lutte contre le terrorisme islamiste permet d’assurer une relative bienveillance de la Maison-Blanche. Le pouvoir est à l’aise pour poursuivre sa tâche. Certains milieux néolibéraux sont piégés car leur discours justifie aujourd’hui le patriotisme économique. Alors ils contestent la légitimité du pouvoir. C’est ce que recouvre la polémique sur le concept d’incrémentalisme disjoint. En s’attaquant à cette notion, le professeur Aktouf crée, à son tour, une brèche dans la légitimité du discours des entrepreneurs qui pensaient avoir l’oreille des dirigeants politiques. En particulier le FCE qui, après avoir réagi de manière défensive à la loi de finances complémentaire de 2009, tente de reprendre la main en imposant une concertation globale autour de ses 50 propositions. Après tout, il n’avait pas été le dernier à soutenir la candidature de Bouteflika. Taïeb Hafsi explique le concept sur lequel s’appuie le lobbying patronal : «Lorsqu’une décision importante doit être prise, par exemple faut-il que l’État assure une couverture médicale pour les plus pauvres ? Alors, “on ouvre la table” et tous les citoyens, individuellement ou collectivement, sont autorisés à venir argumenter une opinion. C’est ainsi que des multitudes de memoranda et de rapports sont soumis aux commissions chargées de l’étude… Grâce à cela toute décision est mieux étudiée que partout ailleurs, notamment mieux que par un organisme central. C’est l’incrémentalisme disjoint qui permet le bon fonctionnement de l’économie. En effet, lorsqu’on veut prendre des grandes décisions économiques, qui peuvent prendre la forme de lois, la participation large des acteurs, en particulier l’entreprise, permet de s’assurer que la décision considérée est suffisamment éclairée.» Ce bricolage pseudothéorique veut se prévaloir de la neutralité de la technique, un peu dans le prolongement de la mathématisation de l’économie. En voulant tout réduire à des recettes les néolibéraux espèrent masquer leur indifférence au caractère despotique ou démocratique de l’Etat. L’incrémentalisme disjoint peut s’arranger avec la dictature, à condition qu’elle consente à être éclairée par les entreprises. En vérité, les néolibéraux les plus fanatiques s’inquiètent peut-être pour rien. A moins de vouloir favoriser les illusions sur le contenu du patriotisme économique ? En effet, il est à craindre que le recours à cette notion ne serve qu’à mobiliser un nouveau segment de la société en l’associant au partage des fruits de la réforme néolibérale : le capital productif national. Ce n’est pas une rupture avec l’orientation néolibérale ni même une rectification, c’est un levier pour venir à bout des obstacles institutionnels et des résistances dans la société. Et si on favorise la production nationale, les fondamentaux n’ont pas changé : les 2/3 de la fiscalité pétrolière alimentent le fonds de régulation des recettes qui reste placé sur les marchés financiers internationaux. Mais comme ni l’idéologie néolibérale ni l’Alliance présidentielle ne paraissent assez puissantes pour promouvoir une plus ample réforme, il fallait trouver un discours qui agrège de nouvelles forces. Sur le ton apaisant de la réconciliation bientôt globale, c’est la poursuite de la dérive néolibérale. John Stuart Mill, le penseur libéral partisan de l’utilitarisme, nous livre le secret de l’approche : «L’intervention de l’Etat peut être nécessaire pour contraindre les entrepreneurs à agir dans leur propre intérêt à long terme.» Cela est vrai, aussi, pour ceux dont les intérêts sont liés au capital financier ou commercial. La critique de l’argent sale n’est pas la critique de l’argent. A tous les néolibéraux qui s’alarment, le pouvoir dira : vous continuerez à vous enrichir. Le mot d’ordre avait déjà gagné aux thèses néolibérales les rentiers dont l’islamisme est l’expression paroxystique. Il convertira au patriotisme économique les plus zélés partisans du consensus de Washington.
Y. T.
* Membre du bureau national du MDS. yacine.teguia@hotmail.fr

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/09/10/article.php?sid=138943&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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