Commençons par l’indispensable préalable. Le régime syrien est une dictature sanguinaire et indéfendable. A son modeste niveau, le présent chroniqueur peut témoigner de la brutalité d’un système basé sur la peur et la délation et que seul égalait en horreurs son équivalent irakien de l’époque de Saddam Hussein (à côté de ces deux dictatures, celle, pourtant paranoïaque, de Zine el Abidine Ben Ali faisait pâle figure). Il ne s’agit donc pas d’introduire le moindre doute. Assad et sa clique terrorisent et tuent leur propre peuple. Il leur faudra donc répondre de leurs actes et il n’est pas acceptable qu’ils puissent se maintenir au pouvoir. Ceci étant précisé, faut-il pour autant restreindre l’information quand celle-ci ne colle pas à la grille de lecture manichéenne chère à Bernard-Henry Levy et à tous ceux qui, comme lui (y compris en Algérie ), n’en finissent pas d’en appeler à une intervention militaire ? C’est d’autant plus important que personne ne sait à quoi ressemblera l’après-Assad, les « bons » d’aujourd’hui pouvant facilement devenir les « méchants » de demain comme en témoignent certains signaux précurseurs inquiétants.
Ce qui se passe en Syrie est une guerre civile, certes asymétrique (aviation, chars et artillerie d’un côté, armes légères de l’autre), mais c’est tout de même un conflit où les deux parties ne font aucun quartier. Si les horreurs commises par l’armée et les forces de sécurité syriennes sans oublier les milices de supplétifs sont largement évoquées par la presse internationale, les informations, et mises en causes, sont plus rares concernant les actions controversées de la rébellion (comme en témoignent les commentaires lapidaires à propos des explosions à la voiture piégée dans Damas lesquelles ne sont rien d’autre que du terrorisme). Dans un article récent, le grand reporter Robert Fisk a mis en exergue quelques éléments troublants dont il est rarement question dans les grandes publications et encore moins sur les ondes d’Al-Jazeera (1). Celui qui sillonne la région depuis plus de trente ans et, que l’on ne peut soupçonner de la moindre sympathie pour le régime d’Assad, rapporte ainsi que l’Armée syrienne libre (ASL) est parfois bien mieux équipée qu’on ne le croit et qu’elle est aussi composée de combattants étrangers ce qui conforte les informations selon lesquelles la Syrie est devenue le point de convergence de nombreux djihadistes.
Surtout, Fisk explique que les actions armées contre le régime obéissent parfois à des plans qui semblent soigneusement préparés. Tel fut le cas par exemple de l’attaque contre l’école d’artillerie d’Alep où sont stationnées des éléments chargés de la défense anti-aérienne du pays. Autre information fournie par le journaliste : les assassinats de pilotes de l’armée de l’air syrienne ont commencé bien avant que cette dernière n’intervienne contre les insurgés. Robert Fisk rappelle aussi que de nombreux scientifiques employés par le régime ont été assassinés depuis le début de la guerre civile. L’ASL est-elle infiltrée par des djihadistes ou, plus encore, ces derniers en constituent-ils l’ossature principale ? Cette armée a-t-elle reçu pour mission de préparer le terrain à une intervention aérienne étrangère en mettant hors de service l’aviation loyaliste ? Et quelles contreparties les pays du Golfe ont-ils exigé avant d’armer l’ASL ?
Ces questions sont légitimes. Les poser ne signifie pas que l’on défende le régime mais juste que l’on cherche à connaître la vérité sachant que cette dernière est, avec les populations civiles, l’une des premières victimes de la guerre. D’ailleurs, à propos de populations civiles, un autre article de Fisk a largement été passé sous silence par le rouleau compresseur médiatique anti-Assad. Il s’agit du massacre de Darraya où près de 300 personnes ont perdu la vie (2). Bien loin de la version communément admise (et qui met en cause l’armée syrienne), il semble que la tuerie ait résulté d’un échange de prisonniers qui aurait mal tourné et que les deux parties seraient impliquées. Dire cela, le rapporter au public est une manière de se prémunir vis-à-vis des lendemains qui déchantent. La Guerre d’Espagne a montré que le « camp du bien », en l’occurrence celui des républicains, pouvait être capable lui aussi des pires exactions. Est-ce que cela discrédite la cause défendue par ceux qui, au final, ont été vaincus par les franquistes ? Evidemment non mais connaître la vérité, ne serait-ce au moins qu’une partie, est nécessaire.
Le régime d’Assad finira par tomber. La question est de savoir quand et comment. Surtout, on a le droit de s’interroger à propos de ce qui va suivre. Que la lutte armée soit menée, en partie, par des djihadistes armés par des pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar n’est pas forcément une bonne nouvelle. Quelle tendance va triompher au sein de la rébellion ? Les démocrates et autres forces dites laïco-progressistes ? Ou bien alors les partisans d’une théocratie qui, une fois installés au pouvoir, s’empresseront d’oublier leurs promesses de tolérance et de respect du pluralisme politique. Nul ne le sait mais une chose est certaine : au pire peut toujours succéder l’« encore pire ».
Note:
(1) « The bloody truth about Syria’s uncivil war », The Independent, 26 août 2012.
(2) « Inside Daraya – how a failed prisoner swap turned into a massacre », The Independent, 29 août 2012.
7 septembre 2012
Akram Belkaid: Paris