1ère partie
Si le questionnement relatif aux « causes de la richesse des nations » est devenu un classique du genre depuis plus de deux siècles, la question n’est certes pas résolue et la Banque Mondiale a emprunté les accents d’Adam Smith dans un rapport paru en 2007, intitulé « D’où vient la richesse des nations ? ».
La Banque Mondiale y fait référence à un nouveau modèle de croissance, conçu comme une gestion de portefeuille d’actifs très diversifiés. Au sein de ce portefeuille, se trouvent quantifiés les actifs traditionnels qui apparaissent dans les comptes nationaux mais également les patrimoines humain, institutionnel, social et culturel ainsi que la comptabilité environnementale. La richesse des nations ne se résume plus seulement aux espèces sonnantes et trébuchantes et elle se révèle aujourd’hui par des indicateurs nouveaux qui permettent de valoriser ce qui, jusqu’alors, ne l’était pas ou ne pouvait l’être. Les systèmes d’évaluation et de mesure de la valeur sont ainsi repensés et parmi eux la comptabilité occupe une place de premier choix.
La comptabilité traduit la création de valeur, qui peut être à court terme ou à long terme ; comme la valeur qui en est le sous-jacent, la comptabilité peut donc osciller entre deux objectifs : donner une vision durable de l’entreprise ou rendre compte d’une valeur instantanée. L’enjeu du développement durable est donc inscrit, de façon plus ou moins consciente et avouée, au coeur de la comptabilité.
S’il fallait en illustrer le propos, l’exemple le plus net serait certainement celui donné par la comptabilité environnementale. Depuis le Sommet de la Terre de Rio, la comptabilité environnementale est reconnue comme un instrument indispensable, préconisé par des organisations telles que les Nations Unies, la Banque Mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économique. Ce genre particulier de comptabilité permet de « répertorier, organiser, gérer et fournir des données et des informations sur l’environnement, en unités physiques ou monétaires ». Organisée comme tout système comptable, « la comptabilité environnementale permet de donner, en termes objectifs, l’état et les variations du patrimoine naturel, les interactions entre économie et environnement, les dépenses destinées à la prévention, la protection et la réparation de l’environnement ».
Par conséquent, la comptabilité environnementale constitue un outil essentiel à la mise en oeuvre du concept du développement durable . Pour autant, le paradigme de la « durabilité » ne se résume pas à la comptabilité environnementale car ce serait oublier que la comptabilité traditionnelle est, en elle-même, un indicateur de la valeur qui permet déjà de donner une information pertinente au regard du développement durable, en particulier de l’environnement.
1. L’environnement dans la comptabilité
Deux documents constituent le coeur de l’information environnementale : le rapport de gestion des sociétés cotées et l’annexe des comptes annuels .
A. – L’information environnementale du rapport de gestion
Le développement durable est devenu, plus qu’un simple concept, un instrument de gestion des entreprises. La communication des sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé intègre, depuis longtemps déjà, des éléments extra-financiers liés à la gestion environnementale et sociale. D’abord volontaires, ces démarches ont eu tendance à se généraliser avant de trouver une consécration juridique en droit interne, communautaire et international. Depuis la loi dite : NRE (loi relative aux nouvelles régulations économiques) adoptée dans l’union européenne, la publication d’informations environnementales est devenue une exigence légale : le rapport de gestion doit ainsi rendre compte de la manière dont la société cotée prend en considération les conséquences sociales et environnementales de son activité. Il comporte également, « dans la mesure nécessaire à la compréhension de l’évolution des affaires, des résultats ou de la situation des entreprises, des indicateurs-clés de performance de nature tant financière que, le cas échéant, non financière ayant trait à l’activité spécifique des entreprises, notamment des informations relatives aux questions d’environnement et de personnel »
Par ailleurs, les sociétés exploitant une activité dont l’impact sur l’environnement est important, doivent inclure dans leur rapport de gestion toute une série d’informations relatives notamment à la politique de prévention du risque d’accident technologique et à la capacité de la société à couvrir l’engagement de sa responsabilité civile du fait de l’exploitation de l’installation.
L’exigence de communication sociétale se trouve désormais solidement ancrée dans le droit positif.
Ces dispositions s’insèrent dans la dynamique contemporaine favorable à la transparence et à la responsabilité sociale de l’entreprise. Le droit interne se conforme aux exigences de communication environnementale qui ont déjà été émises par divers organismes : la nécessité d’une transparence améliorée dans le domaine de l’environnement a été évoquée officiellement pour la première fois dans le rapport Hugon (rapport d’expertise et de proposition sur le dispositif juridique et financier relatif aux sites et sols pollués).
L’exigence de communication sociétale se trouve désormais solidement ancrée dans le droit positif. On relèvera néanmoins que le champ d’application de ces informations demeure restreint puisqu’elles ne concernent, pour la plupart, que les seules sociétés cotées. Le projet de loi dit Grenelle de l’environnement promet une évolution importante sur ce point, en étendant aux coopératives, banques, mutuelles et autres sociétés d’investissement l’obligation d’un rapport annuel sur la prise en compte du développement durable dans le choix de leurs investissements. Le rapport de gestion permettrait ainsi une meilleure comparaison entre sociétés européennes car il est prévu d’harmoniser le contenu et les modalités de présentation de ces informations avec les textes européens et internationaux.
Par ailleurs, l’information relative aux conséquences environnementales et sociales devrait dépasser le cadre des sociétés cotées et appréhender celles qui présentent un total de bilan excédant un seuil fixé par décret en Conseil d’État et qui emploient plus de cinq cents salariés. Lorsque la société établit des comptes consolidés, les informations fournies seraient consolidées et porteraient sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle.
B. – L’information environnementale en annexe des comptes annuels
L’obligation générale d’information relative aux états financiers annuels résulte des sources légales relatives aux obligations comptables applicables à tous les commerçants, personnes physiques et morales au sein de l’union européenne. Cette obligation concerne l’élaboration du bilan, du compte de résultat et de l’annexe. Ces documents forment un « tout indissociable qui doit donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise » L’objectif des états financiers est donc de produire une image fidèle des opérations réalisées et du patrimoine de l’entreprise.
Il est permis de croire, sinon d’espérer, que le concept de développement durable va générer une nouvelle image comptable de l’entreprise.
Les nouvelles normes comptables internationales laissent ainsi percevoir une dimension non plus formelle mais substantielle de la comptabilité en fixant, au-delà des moyens à employer, un objectif à atteindre, celui de l’image fidèle. Du point de vue du législateur, l’image fidèle serait « un appel à intervenir lorsque le droit positif se révèle insuffisant pour communiquer aux lecteurs des états juridiques et financiers cette vision réaliste de l’entité économique tant recherchée.
L’objectif d’image fidèle confère à l’élaborateur des comptes annuels une souplesse certaine dans la mise en oeuvre des règles comptables. En effet, si le législateur fixe l’objectif à atteindre, il n’indique pas quels sont les moyens à employer pour y parvenir. À cet égard, l’annexe joue un rôle décisif car elle permet de mentionner toute information, quelle que soit sa nature, qui n’aurait pas trouvé sa place dans les autres rubriques comptables.
L’annexe doit ainsi compléter et commenter l’information donnée par les comptes et faire état de tout fait susceptible d’avoir une influence significative sur le jugement des lecteurs de comptes ; lorsque l’application d’une prescription comptable ne suffît pas à donner une image fidèle, des informations complémentaires doivent être fournies dans l’annexe. Le législateur ne donne aucune définition précise concernant la forme des informations à fournir ou encore la notion : « d’informations d’importance significative » devant figurer dans l’annexe. L’aspect significatif d’une information dépendra de son importance relative par rapport à une entreprise et à son activité. Les données climatiques en sont une bonne illustration : l’augmentation de la température peut avoir une incidence très forte sur le volume des ventes, notamment pour les producteurs d’énergie : 20 % de l’économie mondiale sont très exposés aux aléas climatiques et 50 % le sont à un degré moindre ».
Parmi les différents documents comptables, l’annexe constitue l’auxiliaire indispensable pour parvenir à cette image fidèle et elle permet d’insérer le développement durable au coeur de la comptabilité. En effet, les données relatives à l’impact environnemental et social de l’entreprise ont vocation à figurer en annexe des comptes car elles peuvent répondre à la condition « d’importance significative ». Rappelons que la loi sur la responsabilité environnementale dans l’union européenne, va conduire incidemment à traduire l’empreinte écologique dans les comptes : la loi du 1er août 2008 expose les entreprises à assumer des coûts auxquels elles échappaient jusqu’alors, autrement dit à internaliser des externalités, conformément au principe pollueur-payeur. Cette tendance est générale et elle s’observe à l’échelle internationale : dès 2007, le régulateur boursier américain avait invité les sociétés cotées à inscrire dans leurs comptes le risque lié au changement climatique. Aujourd’hui, les nouveaux risques comptables contre lesquels l’entreprise doit se prémunir sont éminemment liés au développement durable, que l’on songe au risque carbone ou au risque climatique.
Il est permis de croire, sinon d’espérer, que le concept de développement durable va générer une nouvelle image comptable de l’entreprise, plus large, plus présente hors de ses limites et accompagnant ses produits jusqu’à leur fin de vie. Le périmètre de l’entreprise pourrait coïncider avec celui du cycle de vie de ses produits et il est déjà de moins en moins envisageable pour un producteur de ne pas connaître les modalités de fin de vie.
2. La comptabilité dédiée à l’environnement : la comptabilité environnementale
Les professionnels de la comptabilité ont largement contribué à diffuser la doctrine du développement durable dans l’entreprise et ils ont proposé des outils de mesure et d’analyse spécifiques pour répondre à cet enjeu. La comptabilité environnementale est, à cet égard, une proposition digne d’intérêt, dont le rôle devrait connaître de futurs développements dans un contexte où le diagnostic informatif est particulièrement délicat.
A. – Les spécificités de la comptabilité environnementale
Les émetteurs sont toujours plus nombreux à implanter un système de gestion environnementale. La plupart d’entre eux s’inscrivent dans les démarches volontaires proposées par la norme ISO 14001 ou le règlement européen Eco-audit. Les responsables de l’information environnementale ont également recours à une comptabilité environnementale qui est conçue comme un système d’informations sur le degré de raréfaction des éléments naturels engendré par l’activité des entreprises, utilisable pour réduire cette raréfaction et informer les tiers. Cette méthodologie procède du système mis au point par les Nations Unies en 1993, baptisé SEEA (pour un système de comptabilité intégrée économique et environnementale). Le SEEA prend en compte les coûts environnementaux à travers la valorisation monétaire des ressources naturelles et de la pollution, puis analyse les effets qu’ont sur l’environnement les activités de production, de consommation et de formation du capital. Le but final est d’élaborer un indice de durabilité, le « PIB vert », constitué par l’EDP (Environmentally Adjusted Domestic Producf) ou produit national corrigé par des facteurs environnementaux.
A suivre…
*Expert Comptable et Commissaire Aux Comptes
7 septembre 2012
Contributions