Sept cent soixante-trois jours est la durée dont la commission de contrôle boursier américaine a eu besoin pour accoucher d’une réglementation permettant enfin d’appliquer une loi historique : une loi qui, désormais, oblige toute entreprise pétrolière, gazière ou minière de révéler ce qu’elle paie à des gouvernements.
Une telle loi est historique car elle braque les projecteurs sur une industrie qui brasse des milliards, mais qui, pour le moment, agit en toute opacité. Vouloir connaître la hauteur et les détails des paiements que ces sociétés sont prêtes à verser aux gouvernements de pays riches en ressources naturelles est donc loin d’être anodin. Le temps que l’institution américaine a pris pour décider du décret d’application — presque deux fois plus long que le délai que la loi lui imposait — donne une indication de l’enjeu. En effet, le lobby industriel a lutté de toute sa force contre une telle loi, allant jusqu’à invoquer la menace terroriste. Plusieurs entreprises ont sérieusement soutenu l’idée que la publication des paiements liés à des projets spécifiques les rendrait plus vulnérables aux attaques terroristes. Pourtant, quelques clics sur internet suffisent pour identifier l’emplacement d’un champ pétrolier. Il n’est pas non plus inconnu que les ressources naturelles rapportent bien, mais pas toujours aux bonnes personnes. Il suffit de passer en revue les objets et l’immobilier saisis par la justice française dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis qui vise le fils du dictateur équato-guinéen. disposait notamment d’une dizaine de voitures de grand luxe, à lui seul, à Paris. La manne pétrolière et minière annuelle de l’Afrique représente 7 fois les montants de l’aide publique au développement. Ce sont moins les terroristes qui s’intéressent aux paiements effectués par Shell, Exxon et Total, mais les citoyens des pays riches en ressources. Il y quelques jours seulement, un Libyen, ancien employé de l’entreprise nationale de pétrole, lancé un appel à l’adresse de l’autorité boursière américaine dans le New York Times. Dans sa tribune, il décrit comment des milliers de barils de pétrole ont pu disparaître d’un champ pétrolier en 2008, sans qu’aucune investigation soit lancée. Selon les calculs du think tank Global Financial Integrity, le pays, 10e producteur de pétrole dans le monde, a perdu plus de 43 milliards de dollars de 2000 à 2009 à cause de la fuite de capitaux. Le pays compte aujourd’hui sur l’Europe et les Etats-Unis pour les aider mettre fin à de telles pratiques de corruption.
Aucune échappatoire pour la majorité des grandes entreprises extractives
Un autre groupe important s’intéresse également à une telle loi de transparence : les investisseurs. Beaucoup de lobbyistes industriels essaient de présenter les nouvelles régulations imposant plus de transparence comme de la paperasserie bureaucratique freinant l’activité économique. Tout au contraire, une étude de l’université de Columbia aux USA suggère qu’une comptabilité plus détaillée et transparente améliore la performance financière des entreprises extractives. Sans parler des industriels qui prennent la plume pour demander des lois de transparence strictes, à l’instar de l’ancien PDG de British Petrol. La décision américaine devrait leur donner raison. Sans que les détails soient connus, les premières informations publiées par la commission boursière sont encourageantes, surtout le fait qu’elle n’acceptera aucune exemption. Il n’y aura donc aucune échappatoire pour la majorité des grandes entreprises extractives opérant dans le monde, car la décision s’applique à toute entreprise cotée en Bourse aux États-Unis, ce qui englobe aussi maintes entreprises chinoises et européennes. Maintenant, l’Europe est attendue au tournant : elle a emboîté le pas aux Etats-Unis et prépare une loi similaire depuis presqu’un an. Les négociations entreront dans leur phase décisive dès la rentrée.
D. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/09/03/article.php?sid=138627&cid=11
4 septembre 2012
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