Par Kaddour M’HAMSADJI
nos ancêtres nous enseignent que l’on ne se fait que de ses qualités personnelles ou de celles de sa tribu; celles des autres ne sont assurément pas tout bienfait pour notre patrimoine.
La semaine dernière, l’animateur d’une émission de télévision algérienne, a posé l’inévitable et banale question à l’un de nos chanteurs dont la popularité ne fait pas de doute sur la sympathie de son répertoire mêlant agréablement les genres chabî et andalous tout en traitant de sujets d’actualité: «Maître, quel est votre chanteur préféré?» Le «Maître» ne prend pas son temps; il se donne une assurance toute enflée de fatuité pour ébranler l’esprit de ceux auxquels il plaît en général et de ceux qui l’aiment probablement, c’est-à-dire, à la fois, et l’interviewer et les téléspectateurs, – ces derniers, les fidèles parmi les fidèles, tels que l’animateur et l’artiste (son invité) les imaginent devant le petit écran. Le Maître, précisant ses goûts et relativement, par une litote vaine, sa place parmi les génies et les grands talents du monde, s’exclame avec enthousiasme: «Cocker et Brel… et Les Beatles, bien sûr!» Le rock, le soul, on connaît; «Le plat pays qui est le mien», on connaît; le groupe formé de quatre gars dont l’un d’eux (John Lennon) a affirmé qu’ils sont «plus populaires que Jésus» – au reste, accablé de reproches même par certains de ses admirateurs, il a déclaré pour se disculper: «J’ai juste dit ce que j’ai dit et j’ai eu tort.» -, on connaît aussi.
Or, chez nous, nous avons grand besoin de connaître nos grands, tous les grands sans aucune exception (et l’on peut en citer), notre Cinquantenaire aussi et tout ce qui est nous, nous-mêmes aussi, – sinon où nos jeunes iraient-ils apprendre ce que vaut leur héritage, ce qu’ils valent eux-mêmes dans le monde d’aujourd’hui et leurs enfants dans celui de demain? Combien de génies algériens, dans tous les domaines de la connaissance et de l’action, sont encore de nos jours méconnus, jalousés, ignorés, écartés, oubliés! Qui en parlera avec raison et honnêteté? Beaucoup de nos auteurs ne peuvent pas, par modestie, ou ne savent pas s’occuper d’eux-mêmes, et quand le hasard, toujours étrangement intéressé, se saisissant d’eux, intervient, il est trop tard! Trop tard: un couperet! L’inexistence! La mort! Le Néant! Aussi faut-il saluer, parmi d’autres hommes de culture émérites algériens, Sî Abdelkader Bendamèche pour ses travaux de recherche; il nous remet en mémoire, et à l’endroit, Sîdî Lakhdar Ben Abdallah Ben Khelouf (XVIe siècle, mort à l’âge de 125 ans), l’un des princes de la poésie populaire algérienne de tous les temps et spécialement le Maître incontesté du chant melhoûn originel. Toute sa poésie (cf. par exemple, sa qacîda intitulée «Qacîdat Mazaghrâne» a été un combat au sens propre comme au sens figuré, puisqu’il a levé son sabre, aux côtés des Algériens, ainsi que l’indique Mohammed Souheil Dib, l’un de nos spécialistes des cultures populaires, «sous l’étendard de Hassan Agha, fils de Kheir ed-Din Barberousse, face aux Espagnols et qui s’acheva par la mort du comte d’Alcaudète.» Celui-ci était alors gouverneur castillan d’Oran occupée, et la bataille de Mazagran (Mazaghrâne; mâ, eau – zaghrâne, abondante) s’est déroulée le 26 août 1558.
Mais, aujourd’hui, ne poussons pas plus loin notre simple et rapide réflexion sur le fait qu’il faut d’abord ressusciter nos talentueux créateurs dans tous les domaines de la culture, retrouvons plutôt notre petite bibliothèque de l’été 2012 qui nous permet de rappeler quelques titres d’ouvrages présentés dans la chronique hebdomadaire Le Temps de lire au cours de la saison 2011-2012.
- EN ÉPIANT L’HISTOIRE de Amar Belkhodja, éditions Alpha, Alger, 395 pages: «Le travail de Amar Belkhodja vaut beaucoup par la sincérité et la passion de ses recherches dans des documents anciens et récents qu’il a inlassablement «épluchés». Il n’a eu de cesse de condamner la barbarie coloniale, le mensonge politique de la conquête, les forfaitures de l’administration française et de sa police.»
- ESSAI SUR LA LITTÉRATURE DES BERBÈRES d’Henri Basset, éditions Ibis Press Awal, Paris, 2001, 259 pages: «De fait, dans son Essai sur la littérature des Berbères, H. Basset, après avoir rappelé dans une substantielle «Introduction», ce qu’est «cette langue berbère», «d’où vient-elle?» et sur quelle aire géographique «plusieurs millions d’êtres humains» la parlent, nous propose trois types de production: la littérature écrite, la littérature juridique et la littérature orale. Il aura montré «ce que sa langue représente pour le Berbère», «l’aptitude des Berbères à apprendre la langue d’autrui» et «l’importance de la pratique du bilinguisme des Berbères».
- HOLD-UP À LA CASBAH de Tarik Djerroud, Belles-Lettres Éditions, Bejaïa, 2012, 160 pages: «Tarik Djerroud nous retrace, à sa façon romancée, et bien que fortement documentée, l’aventure guerrière point par point pour mettre en lumière le grand mensonge de «l’expédition» qui s’était secrètement donnée pour but le hold-up du trésor de la Casbah d’Alger et, cela devait aller de soi, la conquête de l’Algérie. Avec son Hold-up à la Casbah, je pense que Tarik Djerroud a judicieusement rafraîchi la mémoire de ceux qui ont oublié de douter des vérités de la parole humaine adverse lorsqu’elle soumet l’Histoire à ses strictes ambitions.»
- LE PROPHÈTE ET NOTRE TEMPS DE Mustapha Cherif, éditions ANEP, Alger, 2011, 440 pages: «Les croisades continuent… marines, aériennes, souterraines. Pas même! Pas même! Car les guerres effacent les souvenirs des guerres: les mensonges cachent les mensonges, l’humain ignore l’humanité. Où sont les limites?»
- LE RETOUR AU SILENCE de Mouloud Achour, Casbah Éditions, Alger, 2011, 207 pages: «Le retour au silence est le retour au mutisme culturel; c’est se taire, s’empêcher de parler, se priver de parole, se murer dans le silence. La peur, la crainte, le risque de se donner en pâture au public spécialement peu connaisseur et agressif, rien ne pouvait étouffer la voix du poète! Est-ce encore vrai aujourd’hui? Qui ose dire oui? Qui ose dire non? En tout cas, les faits sont vraisemblables sinon vécus. Le retour au «silence» est alors salvateur, malgré tout, si même «il y a la seconde voix, l’ennemie des instants de silence. Il y a ce duel sur l’espace gris d’une absence impitoyable. [...] Mutisme de l’âme en révolte. Sentiment rétrospectif d’une fragilité, vaine nostalgie d’un retour possible à l’instant d’avant les mots.»
- L’EXIL ET LA MÉMOIRE de Djoher Amhis-Ouksel, Casbah Éditions, Alger, 2011, 184 pages: «En conclusion, tous ceux qui s’intéressent à la lecture et, tout spécialement, les enseignants qui doivent apprendre à lire eux aussi pour apprendre à lire à la jeunesse, trouveront sûrement dans le travail de Mme Djoher Amhis-Ouksel – cette militante de la littérature algérienne – quelques procédés pédagogiques pour donner le goût de la lecture aux récalcitrants jeunes et adultes.»
… Et en attendant notre rendez-vous de mercredi prochain – si toutefois les chutes de tension électrique trop fréquentes actuellement n’affolent pas notre onduleur et ne nous perturbent pas trop, non plus, jusqu’à écrire et réécrire le même fichier perdu puis retrouvé puis à nouveau perdu -, faisons de l’acte de lire une opération de salut personnel!
1 septembre 2012
Kaddour M'HAMSADJI