Samedi, 25 Août 2012 09:50
LA CHRONIQUE DE ABDELHAKIM MEZIANI
Parmi les fidèles lecteurs de votre chronique du samedi, il est un ami particulièrement exigeant, vis-à-vis des autres comme de lui-même. Il se manifeste sempiternellement par des coups de gueule à tout le moins rédempteurs surtout lorsqu’ils sont en relation étroite avec les dissonances et les dysfonctionnements à l’honneur dans une société qui semble, tel un merlan en colère, se chercher encore. Esprit critique s’il en est, porté le plus souvent par une générosité à toute épreuve, Mounir, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a horreur des euphémismes et des sentiers tortueux. Ayant une prédilection pour la confrontation saine des idées autant que porté par une somptueuse culture cinématographique, il a été le seul lecteur à avoir fait le lien entre le titre de ma chronique de la semaine dernière et la filmographie du cinéaste italien Federico Fellini. A juste titre d’ailleurs, surtout qu’entre les Nuits de Cabiria et celles de la Casbah, tous les chemins mènent à Roma. Toutefois, Mounir ne voyait pas le rapport induit par le choix du titre, retenu du reste par la Fondation Casbah pour ses soirées ramadanesques, et Cabiria dont la pratique du plus vieux métier du monde n’avait rien à voir avec le statut civilisationnel et historique de l’emblématique médina. La réponse à un tel questionnement est donnée par l’actrice Giulietta Masina qui, en insufflant une dimension humaine au personnage de Cabiria, en a fait une femme particulièrement propre dans un monde dégueulasse et amnésique à souhait, prisonnier d’une déchirante rupture avec cet élan secret, de caractère mystique, qui nous pousse tous à la reconquête d’une pureté perdue, dans un monde qui tente sans cesse de nous étouffer sous une marée de morales conventionnelles et de discours démagogiques. Un monde où la restauration de la dignité humaine et la réappropriation de pans importants de la mémoire collective ne semblent pas constituer des préoccupations cardinales aux yeux de quelques commis de l’idéologie dominante. Fellini passe sans effort et sans transition de la nostalgie à la satire, de la truculence au lyrisme ou à l’insolite. Ce qui n’est pas sans rappeler au cinéphile que je suis son film Huit et demi sans oublier Mohamed Zinet et son merveilleux Tahia Ya Didou où la Casbah adulée, embrassée, mordue, exploitée sans vergogne et rejetée parvient toujours à renouer avec l’espoir. Tout comme Cabiria d’ailleurs qui arrive toujours à rénaître de ses cendres. A l’aube, tandis qu’elle regagne dans un total état d’hébétude et de désarroi la route de Rome, elle rencontre, à l’orée d’un bois, un groupe de jeunes qui, jouant de la musique, l’entourent et la saluent. A travers ses larmes, naît un sourire. Pour le citadin que je suis, la Casbah est à l’image de Roma « la ville éternelle » indestructible, chargée d’Histoire et de gloire. Pour celui qui ne la connaît pas, elle ne serait qu’apocalypse, désolation. Comme l’écrit Gilles Deleuze dans l’image-temps « épouser même la décadence qui fait qu’on aime seulement en rêve ou en souvenir, sympathiser avec ces amours-là, être complice de la décadence et même la précipiter, pour sauver quelque chose, peut-être autant qu’il est possible ».
31 août 2012
Abdelhakim Meziani