Jeudi, 23 Août 2012 09:50
…SOUFFLES…
Je vous parle du marabout normand ! Lors de mon séjour en Basse-Normandie, il y a de cela une quinzaine d’années, j’ai connu un Marabout africain. Il ne ressemble point pas aux autres. Un marabout africain dans le pays du boudin et du calva ! Drôle de situation, n’est-ce pas ? Il était de petite taille. Habitait un petit village appelé Verson, au sud-ouest de Caen. Il était assez vieux, 95 ans, mais très jeune. Fatigué, mais toujours souriant et dynamique. L’âme africaine ne l’a jamais trahi en ces jours normands pluvieux tout le temps. Silencieux mais avec sagesse, il a le mot qu’il faut. Tout le monde l’appelait Monsieur le Président. Moi aussi je l’appelais ainsi. Mais le poète en lui n’aimait pas cette appellation. Il n’a jamais oublié ses ancêtres les griots. En compagnie de Rabia, je lui rendais visite, quand son état de santé le permettait. Il était solide dans sa fragilité poétique. Il parlait un français châtié, sculpté, mieux que tous les Français, les francisés, les francophones et les francophiles. Il se comporte avec la langue comme un danseur de ballet. Comme lire sur une tablette un texte sacré. Il était fier de voir des plumes africaines donner un nouveau sang à cette langue menacée par le déluge de l’anglais. Il était attristé par tout ce qui se passait en Algérie, celle des années 1992-2000. Souvent, il me demandait des informations sur les violences et les tueries que vivait notre pays. Il était un intellectuel raffiné. Souvent il me parlait de son amitié à Mohammed Dib. Fasciné par Nedjma de Kateb Yacine et de la poésie de Noureddine Abba. Il adorait dans la littérature algérienne son côté africain mélangé à une dimension orientale et méditerranéenne.Le téléphone sonne, c’est mon voisin le romancier guinéen Tierno Monenembo auteur de « L’aîné des orphelins », sur un ton troublé m’annonce la nouvelle de la mort du Marabout normand. Ce jour, à l’aéroport de Caen-Carpiquet, en ces jours froids de Noël de 2001, j’ai été là parmi une vingtaine d’écrivains, journalistes, des citoyens caennais et ceux de Verson, pour dire adieu au poète. L’avion présidentiel a atterri. Le cercueil du marabout normand était enveloppé dans un drapeau du Sénégal. C’est l’heure, le poète, le marabout normand, Léopold Sédar Senghor, revient vers sa terre natale. Sédar, en langue nationale sénégalaise serere, signifie »celui qui n’aura jamais honte ». Les oiseaux migrateurs connaissent leurs saisons. Ils savent comment et quand l’heure du retour ? Et la mort est une saison.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
31 août 2012
Amine ZAOUI