le 21.08.12 | 10h00
Si vous voulez faire une âme qui se répande largement, un homme de généreuse et intrépide volonté, un ouvrier des grandes tâches et des labeurs, faites d’abord et avant tout un organisme vigoureux de solide résistance, aux muscles d’acier…
L’être fort est résistant, robuste, vite, adroit, énergique, endurci, frugal, sobre. De plus, il sait marcher, courir, sauter, grimper, boxer, lancer, se défendre et nager.» (G. Hébert).
Trop souvent, les activités physiques sont considérées comme un secteur distinct de l’activité scolaire, sans liaison avec les autres.
Pourtant, c’est sans doute une faute de séparer ainsi l’éducation du corps des autres formes de l’éducation. L’enseignement donné dans les écoles primaires se rapporte à un triple objet : éducation physique, éducation intellectuelle et éducation morale. Cette trilogie, que les fondateurs de l’école publique voulaient intangible, a subi les injures du temps : l’éducation intellectuelle a nettement pris le pas sur ses sœurs et l’éducation physique paraît bien être aujourd’hui la plus pauvre des trois et bien souvent négligée. Il y a là une grave erreur, car partout où on lui fait la place qui lui revient, elle étend généreusement ses biens faits aux deux autres. Qui doit enseigner l’éducation physique et sportive (EPS) à l’école élémentaire ?
Comment enseigner cette EPS ? Plus précisément, comment faire qu’elle ne soit plus un appendice jugé plus ou moins superflu ? Comment donc l’intégrer et pourquoi ? Dans une éducation globale de la personnalité de l’enfant ? Qu’attendre de la réhabilitation et du renouveau de cette discipline ? Comment en apprécier les résultats ?
Toutes ces questions doivent être au cœur de la réforme et de la rénovation de l’école algérienne, afin de garantir aux jeunes une éducation complète et exigeante, ce qu’elle ne saurait être si le sport n’y avait pas toute sa place, favoriser la pratique de l’EPS tant à l’intérieur de l’école qu’à l’extérieur, dans le cadre des associations et définir une vraie politique sportive en tant que partie intégrante de notre système éducationnel et aussi en tant que facteur de base essentiel de ce qu’il faut appeler «la qualité de la vie».
Pourquoi l’éducation physique et sportive est négligée ?
Les programmes des écoles primaires ont accordé 2 heures et demie à l’éducation physique sur les 30 heures de travail hebdomadaire. Dans la pratique, il semble bien que peu de classes bénéficient de ces dispositions. Les séances d’éducation physique ont partout tendance à s’espacer et les maîtres ont toujours de bonnes raisons pour se justifier.
Tantôt ils allèguent la surcharge des programmes, tantôt la faiblesse de leurs élèves dans les matières jugées essentielles, tantôt l’absence ou l’insuffisance d’équipements du terrain indispensables. L’expérience montre que toutes ces raisons sont secondaires. La vérité est que, faute d’avoir eux-mêmes reçu une suffisante éducation physique, les maîtres de nos écoles ont un tempérament sédentaire que faute d’avoir subi une suffisante formation sur ce point, ils possèdent rarement des connaissances techniques requises et que, il faut bien le dire, ce qui leur manque avant tout, c’est, au fond, une formation idéologique propre à les convaincre de la profonde action de l’éducation physique sur le corps et de l’action bienfaisante qu’elle exerce également tant sur l’éducation morale.
L’éducation physique se propose à l’école élémentaire un double but : corriger les attitudes défectueuses qu’impose trop souvent au corps de l’enfant le travail scolaire, développer ses qualités physiques, sa force, son adresse, son agilité. Il faut ajouter que l’action fonctionnelle trouve son achèvement dans une action morale, l’enfant apprenant à cultiver l’esprit de discipline et l’esprit communautaire et prenant goût à l’émulation et à l’effort. Convaincre que l’éducation physique et sportive n’est pas volée à la formation de l’esprit, que, bien au contraire, à l’école élémentaire, toute éducation soucieuse d’efficacité et d’égalité des chances doit commencer par être physique.
Le reste est une affaire de formation pratique des maîtres. Cela suppose avant tout qu’on leur dégage le temps de participer à des stages, où l’EPS soit traitée dans une ambiance interdisciplinaire. Ils y rafraîchiraient leurs expériences et leurs conceptions dans une discipline qu’on ne peut plus désormais considérer comme un enseignement spécial. L’horaire consacré au sport dans les écoles doit être revu à la hausse et que nos inspecteurs primaires exigent, lors de leur inspection, la fiche de préparation de la leçon et qu’ils assistent au déroulement des séances. Des conférences pédagogiques sur la matière doivent être données.
L’unicité du maître
L’éducation physique (comme pédagogie des conduites motrices), tour à tour ou à la fois orientée vers la connaissance et la maîtrise du corps et vers l’acquisition des notions fondamentales qui structurent la vie de l’esprit, trouve, sans artifice ni arbitraire, sa place dans l’action éducative générale, confiée naturellement à un maître polyvalent tout au long de l’éducation de base : la formation et le développement de la personnalité ont à ce stade priorité.
Il importe que l’instituteur soit chargé d’enseigner l’EPS au même titre que la lecture, la rédaction, la dictée, le calcul ou les disciplines d’éveil.
L’intervention du maître dans ce secteur d’activité permet, outre la coordination la plus efficace de l’action éducative, une meilleure connaissance des enfants et une coopération maître-élèves plus confiante. L’unicité du maître doit être la règle. L’action éducative est un tout et l’éducation sportive une des démarches associées par lesquelles on aide un enfant à prendre possession de soi et du monde qui l’entoure à lui faire acquérir le goût de l’effort, l’aptitude au dépassement de soi, l’ambition de s’imposer dans le cadre de sa vie active. On comprend que la polyvalence de l’instituteur n’est pas un mythe ou un pis-aller, mais une source de progrès et d’efficacité, à une seule, mais impérative condition : c’est que, dans chaque domaine, le polyvalent puisse, comme au stage, soumettre les difficultés rencontrées dans la pratique à des spécialistes hautement qualifiés, travaillant eux aussi au contact de la réalité quotidienne et, le plus possible, en équipes interdisciplinaires.
Lorsque l’instituteur aura pris conscience que cette éducation par le mouvement est une pièce maîtresse de l’édifice pédagogique qui permet à l’enfant de résoudre plus facilement les problèmes actuels de sa scolarité et le prépare, par ailleurs, à son existence future d’adulte, il ne fera plus passer cette activité au second plan.
Triple action de l’éducation physique
Sur le corps, le docteur Henri Paté disait : «La jeunesse ne doit pas oublier que le sport n’est pas un but, mais un moyen, le moyen de mettre au service de l’intelligence un corps plus sain, plus résistant, plus robuste et de permettre ainsi la réalisation de toute la possibilité humaine.» L’action sur le corps est évidemment la plus tangible. Elle a des effets multiples : correction des attitudes défectueuses dues à la station assise et au mobilier scolaire ; formation d’un squelette droit, d’une cage thoracique ample, d’une sangle abdominale tonique ; développement des qualités physiques : force, adresse, agilité, endurance ; activation du jeu des grandes fonctions (articulaire, circulatoire et surtout respiratoire ; perfectionnement de la coordination nerveuse ; régularisation de la croissance par suractivité glandulaire directement liée à l’oxygénation du sang…
Sur l’éducation intellectuelle : l’éducation physique agit sur l’éducation intellectuelle en rafraîchissant l’attention. Des expériences récentes du docteur Sippel en Allemagne ont confirmé que le travail intellectuel tire toujours profit de l’exercice musculaire. Le docteur Jean Philippe a dit, de son côté : «La belle ordonnance de nos mouvements et de nos actes dégage et favorise plus qu’on ne croit cette libre allure de l’esprit qui permet de promener autour de soi le regard d’un intelligent observateur…»
Sur l’éducation morale : les bienfaits de l’éducation physique sont ici d’une valeur inappréciable : discipline de la volonté et formation du caractère, hardiesse et résolution, goût de l’effort, amour de la perfection, modestie et loyauté, respect de la règle commune, sens du service pour la communauté…Il est évident que le développement intellectuel et moral dépend étroitement des conditions dans lesquelles s’opère l’évolution physique et physiologique. C’est pourquoi l’éducation physique ne saurait être traitée à la légère.
Écolier aujourd’hui, champion olympique demain ?
C’est à l’école que se joue l’avenir du sport d’une nation (voir les résultats de notre pays aux différentes rencontres sportives internationales : ils sont au ras des pâquerettes. Notre récolte de médailles lors des derniers JO de Londres nous donne une idée sur l’état délétère du sport dans notre pays). Le sport fait partie de la vie et de la culture. Ce n’est pas un luxe, mais un besoin comme la santé, la liberté ou la culture. Il doit commencer tôt et se terminer tard. Il concerne tout le monde, aussi bien dans les loisirs que dans le travail.
C’est aussi à partir du jeune âge que se font les vocations pour un sport. Le succès et le développement considérable de la pratique sportive au cours de ces dernières années, l’élévation du niveau des performances, la renommée des grands champions et l’écho publicitaire qui les entoure éveillent inévitablement des vocations de plus en plus précoces. Quel petit Algérien ou petite Algérienne ne rêvent pas de devenir un Morceli, une Boulmerka, un El Guerroudj, un Zidane, un Ronaldo, un Jordan, une Marie-José Pérec, une Eunice Barber, un Hailé Gébrésélassié, un Serguei Boubka, un Sotomayor, un Michael Johnson, un Carl Lewis, un Lionel Messi, un Usain Bolt, un Michael Phelps… et autres des années futures ?
Sous d’autres cieux, les athlètes en herbe, futurs champions olympiques peut-être, sont suivis durant toute leur scolarité, depuis le cycle élémentaire, jusqu’à l’université. Le sport doit avoir sa place dans l’école, dans une école ouverte sans doute et vivifiée par les apports de ce qu’on appelle «le périscolaire» et trouver sa terre d’élection dans les associations socioculturelles polyvalentes, héritières pour notre temps des gymnases grecs de la grande époque. C’est par là qu’on restaurera l’olympisme de tous les jours. Il est au sport ce que l’humanisme est aux activités intellectuelles. Ce «choix capital pour l’intégrité et pour l’avenir de l’homme», il est aujourd’hui entre les mains des citoyens et des éducateurs, dirigeants sportifs comme enseignants. Ce sont le succès même du sport pour tous, le développement du sport culture et du sport style de vie pour les individus et pour la nation qui sont en jeu.
«L’éducation physique et sportive ne forge pas seulement des corps, elle met en place, dès l’enfance et pour la vie, des comportements qui n’importent peut-être pas moins que la culture intellectuelle à la dignité, au bonheur et à la paix : lui faire sa place, c’est affirmer la priorité de l’éducation sur l’instruction. Elle devient alors une responsabilité majeure de l’instituteur, au même titre que la formation de l’esprit .» (H. Paté).La pratique du sport peut donc faire un excellent ménage avec l’éducation intellectuelle et même la favoriser en détendant le corps et en l’équilibrant. Mais en ce qui concerne l’éducation morale et la formation de la volonté, son rôle est plus net encore. Elle est comme l’a fort bien discerné l’Antiquité, qui, plus que nous, a eu le sentiment que l’éducation formait un tout, selon la formule : «Mens sana in corpore sano.»
Abdelhamid Benzerari
© El Watan
31 août 2012
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