A quoi joue un recalé de l’école algérienne ? A survivre s’il a le monde et sa famille à porter sur le dos. A voler l’argent du peuple s’il a un nom de la Capitale sur sa carte d’identité.
A devenir un cadre de la Nation si son père a ses entrées à l’Université. A mourir s’il ne lui reste que la Méditerranée où nager. Victime de l’inconséquence des programmes scolaires et des apprentis-sorciers, il a tôt fait de quitter les cours de récréation, un coup de pied, disons au bas du dos, pour aller doper les chiffres de l’échec scolaire.
Que lui reste-t-il encore si ce n’est les sentiers de la déperdition qui longent la lisière de l’indépendance. Cette frontière tenue entre être et une statistique nationale n’est pas du domaine chimérique, elle existe physiquement. C’est celle qui borde l’asphalte et sépare les routes de la République du reste de l’Algérie des douars et des bergers. Cette Algérie profonde que la Capitale a du mal à accepter, ses villages perchés à flanc de montagne et ses ruraux rustres qui ne savent lire que dans le blanc des yeux.
Cette Algérie utile dont on se souvient au premier coup dur pour lui exiger davantage de sacrifices. De l’autre côté de cette frontière, des yeux avides, incrédules, fatigués et vides scrutent notre République, celle des villes et des voitures. Des deux côtés du bitume qui coupe le pays en deux parts égales de la misère, des enfants et des adolescents, debout, sous un soleil qui frappe comme un monstre, regardent passer la civilisation à quatre roues.
Ils ont le teint des ancêtres et l’odeur de la terre. Ils ont tous trente ans avant d’en avoir vingt, et des écoles, ils ne se souviennent que des copains qui les ont quittées. Alors pour vivre et faire vivre, ils vendent les raisins de la survie. Sur la RN2 comme sur la 4, la 11 ou la 9, la 69 et la 145 et un peu partout sur les routes de l’Algérie, de l’Afrique et du reste du monde, ils sont des millions d’enfants dépossédés de leurs rêves et jetés à l’orée des frontières. Naître dans un village, éloigné de l’électricité et du gaz de ville, est devenu un crime en Algérie et on en paye toute sa vie les conséquences. Si on n’a pas la chance de posséder un droit de sang dans les palais de la République, on est obligé de vendre son sang pour manger son pain. Si on n’est pas le fils d’un père qui détient les clés de l’Algérie, on tue son père et on monte au maquis résiduel.
Et si on habite une terre généreuse, loin de l’avidité et de la rapine des costards-cravates, on s’installe tranquillement sur le bord d’une nationale qui passe à côté du douar et on vend les raisins. En attendant la vendange de la colère.
28 août 2012
Moncef Wafi