Le monde découvre, en 2007, que les performances exceptionnelles affichées par les Etats Unis étaient surfaites et perverses: les marchés financiers qui portaient la croissance ne reflétaient pas l’économie réelle et en étaient même déconnectés : c’est le surendettement des différentes catégories d’agents économiques qui excitait la consommation finale mais aussi la spéculation financière. Celle-ci explosait au double plan de l’offre et de la demande :
L’offre d’actifs financiers US est devenue abyssale du fait des produits dérivés : taux de change et d’intérêt ont été rendus très volatiles par les 3 « D ». Ce triptyque est la combinaison miracle dont le néomonetarisme gratifie le monde. La dérégulation dénie à l’Etat le droit de règlementer finances et banques. Alors que l’industrie bancaire est objet de préoccupations de la communauté bancaire internationale chez la BRI (Banque des règlements internationaux), les oracles du néomonetarisme (économistes et banquiers) ont obtenu que soit même décousue la règlementation qui existait.
L’offre d’actifs a augmentée d’autant plus que les banques américaines ont considéré que leurs bénéfices pouvaient être démultipliés au moyen de la titrisation: céder les créances sur le marché permet de reconstituer les capacités de prendre de nouveaux engagements. Les actifs cédés ne sont ni de même nature ni de même niveau de risques : aux fins de leur cession sur le marché, les banques font des bouquets d’actifs titrisés, mélangeant créances, produits dérivés etc. Ces bouquets, quand ils sont achetés par des banques, font l’objet de nouveaux packedges. En démultipliant le processus de titrisation, les banques dopent leurs profits, ce qui ouvre droit aux bonus pour miracles accomplis par les dirigeants des banques.
La fête est d’autant plus somptueuse que les banques américaines sont autorisées, depuis 1999, à faire toutes opérations de banques. Les profits procèdent de la comptabilisation des actifs concernés au «fair-value» (juste valeur) reflétant le cours du jour (ou de fin de mois calendaire) de l’actif et, donc, volatile. Tant que la conjoncture est porteuse, les prix font le bonheur des banques et des banquiers. Les cimes ne montent jamais au ciel; les déviances ont caractérisé le domaine de l’immobilier US : devant les céder, les banques n’ont aucune considération pour la qualité des risques. Cela permettait au pays d’afficher un taux élevé d’accession à la propriété foncière (rêve américain) mais aussi de croissance. La spéculation financière a vampirisé la sphère réelle sans en stimuler les performances : la valorisation exubérante des actions n’a aucun impact direct sur les capacités des entreprises ; au contraire, les fonds de private equity (sociétés de capital risque) déstructurent les entreprises qu’ils achètent au moyen de prêts bancaires avec un levier atteignant 40 (les entreprises qui accèdent au financement bancaire d’un projet ne peuvent mobiliser au maximum habituellement qu’un levier de l’ordre de 4). Le potentiel de production US perdait alors sa substance et la demande, dopée par l’endettement, de biens était de plus en plus satisfaite par des produits étrangers. Le déficit extérieur se creusait: l’épargne du reste du monde apporte les moyens de paiement au pays par l’achat de bons du trésor mais aussi les eurodollars. Le pays s’installe dans le consumérisme effréné mais perd le productivisme, fondement de sa puissance. L’économie devient bancale. Nous montrons, dans «Le néomonetarisme, stade suprême du capitalisme, impasses et désordres», que la crise a aussi des causes économiques lointaines : le déclin industriel américain saccélère par la supply economy ; irrépressible devant l’agressivité de la Chine, il est aussi difficilement réversible. Les emplois perdus sont difficiles à recouvrer dans la logique du système. La Fed a fini par reconnaitre au début de cet été son impuissance face au chômage, alors que le plein emploi est sa mission fondamentale. C’est le coeur de la problématique de la reprise économique dans le monde. Equation difficile à résoudre : la polarisation des revenus ne cesse de s’accentuer, que les pays conduisent une politique d’austérité ou qu’ils mènent une politique de relance par des chantiers publics.
LA CRISE DE DETTES PUBLIQUES EN ZONE EURO
L’Eurozone a subi le plus de dommages du fait de la crise née aux Etats Unis : elle est profondément déstabilisée depuis début 2010 avec l’émergence du problème de la dette grecque. Aucune solution ne contente les marchés, qui remettent chaque fois en cause les décisions annoncées avec force conviction. Les efforts consentis par le FESF (Fonds européen de stabilisation financière) ne sont déjà pas considérés comme suffisants quand il s’agit de la Grèce. Les fortes tribulations de la dette grecque apparaitront, à n’en pas douter, comme marginales devant celles qui pointent avec les difficultés de l’Espagne et de l’Italie. L’intervention de la BCE est-elle possible et suffisante ? Pierre de Sisyphe : le sommet ne peut être atteint pour amorcer la descente. L’Allemagne conserve son AAA avec perspective positive mais les rendements de sa dette se sont tendus. L’essoufflement de son économie ne peut expliquer, seul, un tel renchérissement: la mutualisation, même au niveau de la BCE des dettes des pays vulnérables, transmet inévitablement un cout anticipe estime aux pays «donateurs». Le motif invoque par son président, a savoir le non-fonctionnement des mécanismes de transmission de la politique monétaire de la BCE, justifie-t-il la monétisation de la dette des pays en difficulté ? On peut en douter. Si la BCE entre dans la bataille de la dette elle devra intervenir pour des montants importants qui ne peuvent être estimés. L’intervention de la BCE risquera plutôt de desservir la cause ; l’Allemagne et ses satellites s’y résoudront-ils ? Les marchés des titres publics auront, en tous cas, eu le dernier mot.
UN PEU DE POLITIQUE ECONOMIQUE FICTION
La tyrannie des marchés inhibe toute politique publique qui vise la sortie de crise. Alan Greenspan s’est évertué à accompagner les desirata des investisseurs boursiers. Cela a abouti aux dégâts que l’on sait. Nous traitons de la gouvernance du dollar dans un ouvrage à paraitre bientôt chez L’HARMATTAN.
Le monde reste paralysé. Aucune initiative publique ne semble donner de fruits. Avec le ralentissement de l’économie chinoise, activité et commerce mondiaux marqueront le pas plus fortement encore en 2013. Le keynésianisme réhabilité demeure, jusqu’ici, sans effets significatifs sur les économies face aux marchés, compte tenu des ressources qui alimentent ces derniers. La pensée économique est en panne et la volonté politique irrésolue malgré l’activisme face aux effets déstabilisants des marchés financiers. Il n’y a pas de solution miracle ; un malentendu doit être levé pour que le monde puisse trouver la voie de sortie de crise. Les politiques néomonétaristes ont accentué la polarisation des revenus et la crise l’a fortement aggravée par l’exclusion : la demande des biens courants a chuté à un point tel que le risque de déflation remplace pour un temps au moins celui de l’inflation. Des contingents toujours plus nombreux sont coupés de l’espoir d’autoréalisation de l’homme par le travail. Tout au plus, leur offre-t-on le statut de la précarité dans le travail ou, pire, dans l’assistanat par des mesures cosmétiques. Il n’y a pas de sortie de crise par des mesures qui maintiennent massivement les forces vives dans la précarité, voire dans la misère. Le travail n’est pas un privilège qu’il faut abolir, ni même seulement un coût qu’il convient de comprimer sous l’exigence d’investissements dogmatiques pour éviter l’inflation. La décision d’investir ne doit pas relever du seul marché.
Une approche keynésienne consistant à recourir uniquement à des chantiers publics montre ses limites: lEtat a besoin de s’impliquer dans l’appareil de production par des soutiens et subventions, mais aussi en qualité d’entrepreneur, sans dépenser nécessairement plus d’argent qu’au titre des seuls chantiers publics.
Il doit insuffler une dynamique nationale de réappropriation d’activités industrielles.
Evidemment, les règles de l’OMC ont besoin d’être mises ouvertement en veilleuse, pour un temps, de manière concertée. Ceci est une condition de la redistribution géographique de la production mondiale. Les taux de change, en tant qu’instrument de compétitivité, sont quelque peu bridés, depuis un an, par la décision prise par la Banque nationale suisse de maintenir l’euro au-dessus de 1,20 CHF.
Relever l’offre par l’économie publique et mixte aide à desserrer la contrainte financière pour le secteur privé. L’implication de l’Etat, envisagée, doit être soutenue par des mesures de régulation et supervision bancaires : le monde ne peut faire l’économie de celle interdisant aux banques d’utiliser les ressources déposées par la clientèle, directement ou indirectement (par le biais du marché interbancaire), dans des activités spéculatives. Cela suppose séparation entre activités d’investissement et de crédit.
La réhabilitation du travail libèrera la consommation par des revenus gagnés mais aussi par l’atténuation des incertitudes devant l’avenir. Croissance et emploi y gagneront.
*Ancien directeur central du trésor
23 août 2012
Contributions