Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Les petites gens n’ont que de modestes attentes. De celles qui ne dépassent guère les besoins basiques ou ordinaires. Rompues à l’abstinence et au mieux à la frugalité pour survivre tout au long des jours profanes, elles sont certainement la seule catégorie sociale à cultiver un rapport serein avec les ramadanesques privations dictées par la religion. Et c’est, par conséquent, auprès d’elles que l’on mesure le mieux la vanité de cette transition festive qui, au nom du devoir divin accompli, met un terme à une courte saison d’une solidarité énoncée comme le complément d’une piété d’apparence et si peu discrète pour être sincère.
Ce sont donc elles seules qui savent à quoi s’en tenir sur cette compétition dans la charité qui leur est destinée et, pourtant, ne concernant qu’une douzième fraction de l’année. A l’annonce de l’Aïd, ce sera le retour au huis clos dans ce qu’ont été auparavant les restaurants du «cœur et de la foi». Et il en ira de même du droit à un couffin institutionnel. La ration de la survie dont l’Etat croit tirer quelques mérites en termes de justice. Renvoyées à la condition initiale, ces petites gens-là renouent alors avec le cynisme et l’indifférence habituels. Aussi chaque jour qui se lève pour elles est annonciateur d’une épreuve de plus pour assurer la subsistance dans leurs masures. Comme quoi l’on ne leur garantit la marmite que pour la durée d’un mois sanctifié. Hormis la période d’un carême collectif, dont la vertu principale est d’égaliser la «Ouma» par la faim et la soif, le décret divin de la solidarité serait donc sans effet. Ou, tout au moins, son appréciation serait alors laissée au libre arbitre de tout un chacun ! Peu importent les gloses des «foukaha» sur la valeur ajoutée des œuvres liées uniquement à ce mois ; par contre, il reste surtout le fait, qu’à hauteur d’homme tout autant qu’à partir de l’éthique que prétend incarner la société, la pauvreté et le dénuement sont insupportables à assumer, surtout lorsqu’on ne s’efforce de les exorciser que par le recours au sacré. Séparer le spirituel et le temporel aurait dû être non seulement un préalable formel mais aussi une exigence constante afin de pouvoir s’attaquer à la plus haute des iniquités. Hélas en Algérie, comme d’ailleurs un peu partout dans les terres d’Islam, nous sommes revenus à l’âge théocratique. Une régression en termes de justice rationnelle qui substitue à l’effort vers l’équité, la «consolation» par l’aumône et au nom de la foi. Autant dire, qu’au jour d’aujourd’hui, les premières victimes de la dévotion apparente de la société sont paradoxalement les strates sociales fragiles ! Sujets et objets de la prédication politico- religieuse n’ont-elles pas constitué la masse de manœuvre des courants intégristes ? Grâce au recours au populisme de l’entraide notamment autour des célébrations religieuses, n’étaient-ils pas parvenus à agréger à leurs mots d’ordre des cohortes entières de déclassés ? Leur efficacité dans ce domaine fut telle qu’elle inspira le pouvoir qui se contenta de reconduire leurs procédés. D’ailleurs le couffin de la honte fut, d’une certaine manière, institué sur le même mode opératoire et avec les mêmes objectifs démagogiques. A savoir le déploiement de la sollicitude à l’ombre des canons de la foi… ! Les conséquences de cette surenchère, dans laquelle s’impliqua l’Etat et de façon maladroite, ont fini par faire de lui le croupion du puissant lobby des mosquées. Depuis une dizaine de ramadans, l’on constate les mêmes effets désastreux de ce mimétisme et dont la ponctualité se limite exclusivement au rôle de cantinier des jours de carêmes. En définitive, les cabossés de la société ne se font plus guère d’illusion au sujet des lendemains de ces «f’tours». Même si elles doivent subir pour longtemps encore la dure condition d’assistés, elles savent d’expérience désormais que leur dépendance matérielle n’est jamais soluble dans la prompte générosité des tartufes du Ramadan et moins encore dans la fausse sollicitude d’une puissance publique qui se renie à chaque nouvelle lune.
B. H.
18 août 2012
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