Contributions Lundi, 13 Août 2012 23:14
Je voudrais te remercier et aimerais te dire, entre Algérois, qu’on peut se tutoyer, que depuis ton rapt et ton installation dans ta nouvelle résidence à Brest, tu es devenu un trophée des vainqueurs. Je dois te dire que depuis, on t’avait un peu oublié, on était plus préoccupés par notre sort. Les nouveaux maîtres du pays nous ont maintenus sous tutelle et en résidence surveillée. Je ne sais pas si on t’a dit qu’enfin nous avons réussi, après de lourds sacrifices, à arracher notre indépendance, en attendant de retrouver la liberté. Mais voilà que le bruit mythique de tes tirs de boulets, relayé par les médias, continue à faire du grabuge. Les uns veulent te reprendre et tes ravisseurs ne veulent plus te lâcher.
Au fait, Baba-Merzoug, si on te demandait quelle est ta nationalité, que répondrais-tu ? Si mes souvenirs sont bons, tu as été installé à Alger par les Janissaires, vassaux de l’Empire ottoman, puis ravi par les Français à la Sublime Porte et maintenant les Algériens te revendiquent.
J’ai demandé l’avis à Kateb Yacine pour trouver une solution à cette discorde (fitna), qui se déroule dans une langue que nous avions, malgré la dispense sélective et une interdiction de fait, captée, triturée, puis adoptée et adaptée à notre usage, il m’aurait redit que «La langue française reste un butin de guerre. A quoi bon un butin de guerre, si l’on doit le jeter ou le restituer à son propriétaire dès la fin des hostilités ?». Et moi, j’aurais complété en lui disant que la langue n’a pas de nationalité. Elle est la propriété de tous ceux qui l’utilisent pour composer de la poésie ou aboyer des insanités. Elle est un outil d’échange entre les hommes.
Baba-Merzoug, tu ne peux t’imaginer combien je suis heureux de constater qu’enfin, grâce à toi, les Algériens se soucient de la préservation et du devenir de leur patrimoine. Cependant, je m’interroge, m’inquiète et me demande quelle tête ferions nous si d’aventure tes geôliers, (qui, depuis, se sont attachés à ta présence et nous tellement préoccupés par le quotidien, qu’on s’est habitués à ton absence), faisaient suite à cette demande et te renvoyaient à Alger ! Où allons-nous te ré-installer ?
Ta maison (Bastion), où tu trônais en maître, n’existe plus. Où irais-tu habiter ?
La crise d’accès au logement fait rage. Irais-tu grossir le lot des canons SDF qui sont restés à Alger ? Certains ont été portés disparus, d’autres sont gravement malades et traînent au milieu des ruines.
Irais-tu grossir le tas de ceux jetés aux ordures ?
Quelques uns ont eu de la chance, ils sont hébergés (clandestinement) dans les villas des âmes «charitables» ! Un seul petit canon a trouvé refuge dans un coin du Bastion 23. Merci au directeur qui a pris cette initiative.
Je t’envoie les photos de tes copains et te laisse le soin de décider, si tu veux absolument rentrer au pays. Imaginons un instant que demain on décide de nous restituer tous les canons, où les mettrions-nous ?
Cela fait près de trente ans que je me suis mis à la recherche des canons d’Alger, sous l’impulsion de mon ami, le défunt Abderrahmane El Djilali (historien-théologien), je lui ai rapporté les photos des canons qui trônent sur l’esplanade des Invalides à Paris (1988) et montré des photos de ceux mélangés aux gravats au Palais du Dey à Alger. Et nous avions convenu qu’en l’état actuel des choses, il était plus sage que les canons restent là où ils sont (en France), en attendant le jour où les Algériens reconstruiront le Bastion sur lequel reposait Baba-Merzoug et édifient les autres fortifications de la défense d’Alger, avant de réclamer leur restitution pour les réinstaller à leur emplacement d’origine.
Aujourd’hui, il est plus urgent de conjuguer nos efforts pour arrêter la longue et lente agonie qui ronge La Casbah, sans que cela dérange (presque) personne, autrement que verbalement, où via des déclarations à la presse. Les articles pleuvent sur les deux rives : Des gens bougent pour le transférer en Algérie ; Le canon monument de la rédemption ! Canon de Brest ! Alger veut rapatrier La Consulaire ! ; France-Algérie ; Imbroglio autour du canon algérien Baba Merzoug de Brest, etc. Les déclarations officielles et officieuses se succèdent, les démentis fleurissent, nourrissent l’appétence des attentistes et autres prétentieux de tous bords. J’invite tous ceux qui s’émeuvent, par le verbe, sur le sort de Baba-Merzoug, à visiter le site darnadz.org pour mesurer l’engagement, ou plus précisément le désintérêt, qu’accorde la société civile au devenir du patrimoine dans les faits. Et ce, même dans le cadre d’une initiative citoyenne!
Il est certes plus commode d’accuser l’autre …
Les amalgames savamment entretenus laisseraient croire, que c’est la non-restitution des canons qui est à la l’origine de l’immobilisme de la société et de la déconfiture que connaît le patrimoine en général et La Casbah en particulier. Il est facile de polémiquer, de dire que l’autre, sans vouloir excuser ou atténuer les méfaits de la colonisation, est la source des atermoiements qui nous empêchent de nous poser les bonnes questions, pour résoudre nos vrais problèmes avec efficience. Les fuites en avant font partie de l’histoire, elles ne l’ont jamais démentie.
L’histoire bégaie, mais ne se répète pas. La France a mis en avant le fameux «coup d’éventail» pour détourner le regard sur les révoltes internes qui allaient emporter Charles X, ordonnateur de la prise d’Alger, et nous, nous allumons un feu de paille avec l’espoir que la fumée cache le réceptacle d’ordures qu’est devenue notre chère et belle Casbah. En attendant les comment-taires…
Cordialement et grand merci à Baba-Merzoug, dit la Consulaire.
D L
17 août 2012
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