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La récente publication par l’ONS des résultats définitifs du premier recensement économique a révélé qu’en l’absence de l’Etat, l’économie algérienne a évolué durant ces deux dernières décennies (et plus particulièrement la décennie 2000) vers une économie débridée faite de petits commerces services et autres mini-activités industrielles de transformation sans grande perspective de croissance, ni interne, ni externe.
Cette photographie de l’économie algérienne de ces dix dernières années montre bien, à travers le cas algérien, que les pays du Sud, en l’absence de l’Etat investisseur, agent de développement et promoteur industriel, ne disposent pas de capitaux privés consistants ni de capitaine d’industrie en nombre pour pouvoir se lancer dans l’aventure du développement économique dans un cadre de libre entreprise marqué par l’ouverture, la compétition non faussée, la mondialisation. Cela fait déjà quelques cinq années que les experts économistes de la Cnuced ont élaboré un rapport qu’ils ont rendu public (mais qui n’a malheureusement pas eu l’écho qu’il mérite) et qui établit un constat sans équivoque : les recommandations des années 80 et 90 faites (sinon imposées) par le FMI et la Banque mondiale aux pays du Sud et reprenant les thèses de la théorie économique dominante préconisant le retrait de l’Etat des affaires économiques n’ont pas abouti aux résultats promis. Ce constat de la Cnuced dûment établi rejoint d’ailleurs les conclusions auxquelles sont parvenus nombre d’analystes économistes : le fameux consensus de Washington, évangile du libéralisme, a produit, dans les pays du Sud, plus de pauvreté et d’inégalités sociales tout en maintenant ces pays dans une croissance atone. La conclusion de la Cnuced est d’autant plus à prendre en considération qu’elle est établie après une observation et un suivi de trois décennies de mise en œuvre des recettes des institutions de Bretton Woods dans un certain nombre de pays mis sous thérapie de cheval (stabilisation macro-économique, c’est-à-dire lutte contre l’inflation par la réduction des dépenses publiques et la modération salariale) et ajustement structurel : c’est-à-dire ouverture économique, libéralisation des prix, privatisation et système économique de marché. Les économistes de la Cnuced corrigent tout cela : «Les gouvernements des pays du Sud doivent faire montre de volontarisme dans leurs politiques macro-économiques et industrielles.» Cette recommandation des économistes de la Cnuced, sans rejeter le choix prioritaire pour l’investissement privé, rappelle la nécessité des politiques macro-économiques actives et insiste sur le nécessaire retour aux politiques volontaristes (c’es-à-dire en fait interventionnistes) pour remettre les pays du Sud sur le chemin du développement. Le rôle de l’Etat est ici déterminant. Dans le domaine des politiques macro-économiques, la Cnuced recommande aux gouvernements des pays du Sud de se servir de la politique monétaire pour soutenir la croissance. Dans ce sens, l’établissement de taux d’intérêt bas pour soutenir l’investissement, le maintien d’un taux de change stable, la réduction de la dépendance à l’égard des capitaux extérieurs, constituent des mesures procycliques nécessaires à la consolidation de la croissance. D’autre part, et sans prôner le retour au protectionnisme et au fameux «développement autocentré (self reliance), la Cnuced souligne que «les gouvernements ne devraient pas stopper leur protection des entreprises nationales encore peu compétitives» et l’Etat doit «développer les politiques propices aux investissements créateurs d’innovation et mettre en œuvre des politiques industrielles. Les pays du Sud ont besoin d’investissements novateurs et leurs gouvernements doivent favoriser ce type d’investissements par des subventions temporaires». Comme on peut le constater, il y a préconisation de politiques économiques à l’opposé de celles recommandées par le FMI et la Banque mondiale. De même l’ouverture commerciale tous azimuts conseillée par les économistes libéraux aux pays du Sud n’a eu, selon le rapport de la Cnuced, d’autre résultat que celui de casser le processus d’apprentissage et de maturation des entreprises locales. Les démantèlements tarifaires, de leur côté, ont privé la plupart des pays du Sud de recettes fiscales difficilement remplaçables. Même si les économistes de la Cnuced ne préconisent pas de revenir purement et simplement aux politiques étatistes des années 70, ils restent, sans aucune équivoque, opposés aux politiques libérales trop facilement justifiées par l’argument du «rouleau compresseur de la mondialisation » et celui de l’inévitable compétition imposée par les «nouvelles règles du jeu». Les pays actuellement développés ont tous, lorsqu’ils étaient au même stade de développement que les pays du Sud aujourd’hui, mis en œuvre des politiques protectionnistes, des limites à l’ouverture et accordé des subventions à leurs industries naissantes. Il est trop facile pour eux aujourd’hui de retirer l’échelle qui leur a permis de grimper. Enfin, s’agissant du rôle prépondérant que doit jouer le secteur privé, le rapport de la Cnuced reconnaît la nécessité, pour l’Etat, d’apporter son soutien à ce secteur mais cet accompagnement doit être «assorti d’objectifs opérationnels clairement définis et de résultats d’obligation ». Quant au recours aux investissements directs étrangers (IDE), il est utile mais doit s’inscrire dans une démarche globale, dans une politique économique cohérente. Les réussites des modèles asiatiques de développement (Corée du Sud, Malaisie, Chine, Inde pour ne citer que ceux-là) confirment que «le bonheur n’est pas dans l’approche non interventionniste» et que dans les pays du Sud, le rôle de l’Etat est aujourd’hui, lui aussi, déterminant pour l’émergence de ces économies.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/08/08/article.php?sid=137690&cid=8
La Cnuced : «Dans les pays du Sud, le libéralisme économique a échoué» Par Abdelmadjid Bouzidi
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8 août 2012
Abdelmadjid Bouzidi