L’Algérie a mangé la moitié de son Ramadhan et ne reste que les derniers jours à sacrifier sur l’autel de la violence et de la démesure. Comme à chaque occasion, le pays redécouvre sa face hideuse, son estomac pris en otage et ses plus bas instincts affûtés. Alors que ce mois est l’essence même d’un retour à une spiritualité perdue entre fausse dévotion, sketches indigestes résiduels et piété médiatique, le Ramadhan algérien s’agrippe à les perdre à des notions travesties par l’avidité et la rapine nationale. L’Algérien se retrouve surpris de rencontrer son reflet triste et pataud dans les yeux de son frère, une image qui finit par l’excéder et libérer une violence somme toute ancestrale. A force de jeûner du ventre, l’Algérien finit également par commettre un déicide symbolique en sacrifiant sa foi pour son foie. Rendant responsable l’acte du jeûne de toutes ses dérives, l’Algérien s’invente donc un énième bouc émissaire pour les justifier et d’un mois de compassion, il en fait un mois de passion où, pour lui, tout est excusable, justifiée de par son état physiologique. La violence physique, verbale, celle des prix et des absences, de l’inquisition gratuite et des rumeurs malsaines, des fous du volant et des suceurs de sang, prend ses quartiers et colonise l’Algérie. De celui qui passe ses nerfs sur le voisin parce qu’il est en manque de nicotine à celui qui braque une pauvre mère de famille pour lui voler son porte-monnaie, on n’est pas loin de la caricature qui frise avec l’hystérie collective. Le peuple algérien est pris dans une frénésie de violence inouïe, du petit matin jusqu’à l’aube, où coups, blessures, insultes et blasphèmes ornent les jours de carême à tel point qu’il serait peut-être plus judicieux de demander aux Algériens de ne pas jeûner. Déjà qu’ils sont 10 millions à devoir ne pas faire carême pour cause de maladies chroniques, autant généraliser ça aux trente millions de boules de nerfs qui risquent d’exploser à tout moment. Peuple à part, pays à part, dans le mauvais sens s’entend, l’Algérien a dû rater un cours concernant le mois de pitié et de piété. Sinon comment expliquer ces chiffres qui font état d’une violence urbaine sans précédent, d’Algériens qui tuent d’autres Algériens pour cent dinars ou pour un portable. Des centaines de morts sur la route parce qu’on veut être le premier à table. Des suicides et des infanticides alors que les démons mêmes sont gardés prisonniers. Peut-être que le plus dangereux des démons n’est pas celui qu’on croit à la fin.
7 août 2012
Moncef Wafi