Le village algérien est composé d’une entrée gratuite et d’une sortie difficile. Cela on le sait. Le village est petit, sauf quand on y dort et qu’il devient un lointain aboiement de chien dans la nuit. Il ne mène qu’à la poste ou la mosquée et on y nait vieux et avec un figuier pour s’y adosser et une antenne parabolique pour se refaire la peau sans bouger. Car le village algérien est la véritable incarnation du vide algérien : on a beau y répéter que les valeurs y sont préservées, que c’est un berceau de l’authenticité, que l’air y est sans chaussettes et les légumes sans toxines, la vérité c’est qu’on s’y ennuie encore plus qu’ailleurs. Déjà que le pays est sans loisirs, il faut que le village y soit sans raison. C’est donc là que se posent les grandes questions algériennes : pourquoi on est là et pas ailleurs ? Pourquoi l’Algérie est située en Algérie et pas à Oslo ? Que faire du temps quand le temps ne sait pas quoi faire de vous ? Est-ce que le reste du monde existe quand j’éteins ma télévision ? Qu’est-ce qu’une route qui s’en va ? Qui a écrit «hier ma mère est morte ou peut-être aujourd’hui. Je ne sais plus» ? Quand on meurt, on va derrière le ciel ou en ville ? Car dans le village algérien on est proche des grandes choses de la vie : l’origine, la mort, le ciel, la pénurie et le vide qui ne veut pas mettre votre veste ou répondre à votre question. Pas d’investissement, si peu d’amusements, des femmes enterrées vivantes dans des casseroles, des interdits en fer forgé et des traditions qui empêchent d’avoir des fleurs ou des audaces. Qu’y faire ? Attendre de grandir, prendre une femme avec de la limonade, avoir des enfants qui justifient le salaire puis les voir grandir et se voir diminuer puis se ramasser dans un seul soupir et mourir pour sortir par la bouche d’un nouveau-né et ainsi de suite.
Les villages algériens s’enfoncent dans l’ennui. Terrible. Sans but. C’est là qu’un conservatisme étouffant est en train de renaître et de tuer les autres sans pouvoir tuer le temps. C’est une chaîne alimentaire : la ville est dans la mâchoire du village qui est dans la bouche du Sahara qui est dans le gosier du cosmos.
4 août 2012
Kamel Daoud