Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
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A l’exception de Ben Bella qui, dès les premiers mois de son investiture, avait choqué par son côté hussard brutal dans la manière de traiter les ministres et d’en congédier certains sans explication, la plupart des présidents qui lui succédèrent connurent, par contre, une période de grâce auprès de l’opinion. Un moment de communion qui leur épargnait les critiques en leur accordant le bénéfice du doute.
Parfois, certains même furent encensés par l’adhésion populaire à la fin de leur trajectoire. Ce fut notamment l’exemple de Boumediène dont l’image s’était valorisée au fil des ans. Or, en ce qui concerne Bouteflika, il semble que l’idée et même l’investissement émotionnel placés en lui ont connu un désenchantement proportionnel à l’engouement qui l’avait porté au pouvoir. Plus crépusculaire qu’éclairante, sa magistrature actuelle semble dériver au moment où il entame son dernier «quart d’heure». Une situation qui suscite bien plus que de l’inquiétude platonique puisqu’elle est désormais la source de questions graves. De celles que les cercles politiques concernés se les posent à travers leurs messes basses. Pourquoi cette trop longue défection présidentielle et enfin comment y remédier sans faire subir à l’Etat les néfastes ondes de choc d’une succession anticipée ? Terribles interrogations auxquelles sont déjà arrivés les cabinets du lobbying. Cette équation au second degré est a priori insoluble aussi bien par rapport aux sanctions internationales (exit le putschisme classique) que de l’asservissement d’un Parlement inapte à exercer une prérogative constitutionnelle majeure. Pourtant cette gravissime alternative n’est pas récente, elle a été certes à peine évoquée dès son premier mandat mais aujourd’hui elle semble revenir au nom de l’urgence et surtout au moment où les anciennes fidélités d’intérêts se délient de leur compagnonnage et s’émancipent dans la perspective légale de 2014. En effet, Bouteflika fut, il y a dix ans déjà, le sujet d’un scénario du même type. C’est dire que lui également ne connut qu’une brève saison de popularité. Mais à cette époque, une voix avisée avait mis un bémol à ce genre de recours extrême «(…) Je ne crois pas que son départ constitue la solution. Mais toute solution qui va dans le sens de l’histoire passe par son départ.» Le voici précisément le modèle de la litote discursive qui laisse ouverte la possibilité de changement sans envisager explicitement les soldes de tout compte humain comme unique origine de l’impasse. C’était à Hamrouche que l’on doit à ce jour ce distinguo entre l’objectif assigné et les procédés pour y parvenir. A cette double interrogation qui ne relève désormais plus du secret si cher au système, puisqu’elle est évoquée publiquement de nos jours, les réponses ne sont guère aisées à trouver. Car chacun de ses aspects induit trop de complications au risque de voir le pays sombrer dans une crise d’une autre nature où même l’arbitrage de l’électeur ne serait guère aussi efficient à souhait. L’ouverture d’une guerre de succession semblable à celle de l’été 1998, suite à l’affaiblissement de Zeroual, ne peut être que détestable auprès d’une opinion lassée par le jeu trouble des différents vecteurs du système. Aussi le départ impromptu du président n’est pas en soi la solution sauf qu’il reste l’impératif du «sens de l’histoire » lequel devrait, lui, délivrer sous forme d’injonction ce fameux billet de sortie. Et cela dans les formes légales. En fait, cette conception de l’histoire qui solde ses séquences s’accommode mal de l’empire de l’instant qui lui forcerait la main dans l’urgence. Elle se veut un processus de disqualification des oripeaux du vieux régime dès lors que la société a été capable de faire par elle-même le constat de leur inefficacité et leur décalage. Ce «sens de l’histoire», étant d’abord une mise en perspective imposée par la société, il n’est plus réductible au seul examen des rapports de force entre les composants de l’appareil d’Etat et leurs conséquences dans les recompositions des alliances. Et c’est sûrement à cela que l’Algérie de 2012 en est enfin arrivée. Ce qui n’était pas tout à fait le cas en 2001 ! Et pour cause, le chef de l’Etat avait encore de la marge. L’histoire en question s’est mise en route et l’actuel président pourrait bien être le dernier d’un système, lui aussi cinquantenaire. Car, sans qu’il l’ait sciemment planifié, Bouteflika a contribué à son effondrement à la fois par calculs politiques et par son insoutenable inconstance dans l’exercice de sa haute fonction. Loin de s’être bonifié, en 13 années, et dans le même temps d’avoir manqué à la consolidation de la matrice politique qui l’a vu naître, n’a-t-il pas été à l’origine du délabrement de cette architecture et du brouillage de sa propre image ? Prolixe en discours et souvent contradicteur talentueux, le voilà installé dans un mutisme suspect au moment où le pays exige de lui qu’il parle et se manifeste dans le contexte de tous les doutes. A contrecourant des attentes de la société, n’est-il pas acculé à jouer la «montre», comme il se dit dans le jargon sportif, ce qui se traduit pour lui par le calendrier des jours qui le séparent d’avril 2014 ? Autant croire qu’il se contenterait désormais de n’être qu’un président intérimaire expédiant les affaires courantes et surtout peu pressé de réinvestir ses responsabilités. Mais alors que faire en attendant ? L’accompagner jusqu’à ce futur proche ou au contraire abréger immédiatement la vacance d’un Etat déjà mal en point ? En vérité les avis sont partagés… même dans les cafés de commerce !
B. H.
4 août 2012
Boubakeur Hamidechi