Ce qui est singulier dans le débat sur la mémoire, c’est que ceux qui sont fermés à son histoire en parlent, comme d’une terre étrangère, alors que d’autres ne cessent de se revendiquer de son appartenance hier et aujourd’hui de l’autre côté de la méditerranée comme les anciens porteurs de valises.
Le Passage des frontières
Les premiers contacts avec Salah Louanchi, Francis Jeanson joue couramment le rôle du chauffeur-livreur-passeur. Après la réunion du Petit-Clamart, il organise de véritables filières, avec des amis dévoués à la cause qui deviennent des spécialistes. Jacques Vignes, un Ami d’enfance de Jeanson, le rejoindra, quittera Bordeaux pour Paris, y deviendra journaliste sportif, à la rubrique voile, sa passion, sous le pseudonyme de Philippe Vigneau. Connaissant la région frontalière, ce dernier sera d’un atout majeur quant au passage des frontières entre la France et l’Espagne. Pour les membres du FLN l’aide était précieuse ce qui évitait de se faire remarquer surtout au niveau des zones frontalières, car après avoir franchi la frontière ils sont pris en charge par Etienne Bolo, Davezies ou Vignes dont l’antenne se trouvait à Madrid et passaient la nuit dans une villa relais d’Ascain, où Paule Bolo s’était établie avec ses enfants : une maison occupée en permanence de façon « bourgeoise »et qui ne saurait attirer les soupçons. Le passage de la frontière s’effectuait à pied, à travers un sous-bois. Des véhicules, avec des plaques du « corps diplomatique », les attendaient de l’autre côté de la frontière. Si le transport des cadres du FLN était important, le convoyage des fonds l’était plus encore. Il s’agissait de sommes énormes d’où la contribution de plus 300 milles algériens de France.
Le transfert de l’Argent
Les porteurs de valises, se chargeaient de l’argent collecté et se rencontraient dans des appartements parisiens prêtés par des sympathisants. Par la suite cet argent était compté et envoyé en Suisse. Le réseau Jeanson comptait parmi ses rangs Henri Curiel, qui s’occupera de passer la majeure partie de l’argent en Suisse. D’autres personnes seront utiles à ce réseau, tels que Jacques Charby. Daniel Sorano, ils seront chargés de trouver des « planques » se sera une tâche facile du fait qu’ils faisaient partie du milieu artistique. Dont Cécile Marion, Colette Jeanson une Ancienne comédienne Laurence Bataille, qui était une sorte de boîte aux lettres et qui avait été remarquée par Francis, et sera chargée de la collecte de l’argent avec Robert Davezies. Un musicien, « aux dons multiples », qui rejoindra aussi le réseau. l’aspirant Maillot , le sous-lieutenant Jean-Louis Hurst, fils d’un notable alsacien, aussi rejoindront le réseau en juin 1958 le deuxième classe Gérard Meier qui se refugiera à Yverdon, en Suisse. En mai 1959, Gérard Meier, Louis Orhant, et Jacques Berthelet, principal correspondant à Lausanne de Jeanson, formeront le noyau « vétérans » de Jeune Résistants. Par l’intermédiaire du réseau Jenson Jacques Vignes et Robert Davezies feront passer en France une dizaine d’Algériens.
De la condamnation à mort aux arrestations
Abdel Cherrouk et Mouloud Ouraghi sont condamnés à mort à l’aube de 1959, l’année où le réseau tourne à plein rendement. Au siège de leur société de production cinématographique, aux Champs-Elysées, Serge Reggiani et Roger Pigaut abritent des rencontres entre les chefs de wilayas. Charby avait aussi recruté André Thorent. Haddad Youssef, dit Haddad Hamada, coordonnateur du FLN en France, logeait souvent chez l’acteur Paul Crauchet et le réalisateur de télévision Jacques Trebouta (son confrère Raoul Sangla achète, lui, un appartement pour le compte du FLN) Des enseignants et enseignantes faisaient aussi partie du réseau tels que Janine Cahen de Mulhouse et Micheline Pouteau, professeur d’anglais à Neuilly. Le réseau qui était d’une grande utilité pour les combattants du FLN, était aussi un atout majeur dans la falsification des pièces d’identités et autres documents nécessaires et pour cela il avait un expert, un juif polonais ancien de l’Irgoun nommé Adolfo Kaminski et surnommé « Joseph ».
Ce qui est singulier dans le débat sur la mémoire, c’est que ceux qui sont fermés à son histoire en parlent, comme d’une terre étrangère, alors que d’autres ne cessent de disséquer le cadavre de l’Algérie de l’autre côté de la méditerranée.
Deux cents journalistes signent une « pétition de solidarité »
Francis Jeanson tiendra une conférence de presse le 15 avril 1960 clandestinement et en plein Paris, après avoir échappé à la DST. A cette conférence, le journaliste Georges Arnaud à l’époque et qui a réalisé le film plus tard (Le salaire de la peur), y assistera. Francis Jeanson annoncera alors que, malgré le coup de filet de la DST, son organisation reste opérationnelle et continuera la lutte contre « le fascisme qui menace la France ». Georges Arnaud, qui a rendu compte de la conférence dans Paris-Presse, est arrêté pour « non dénonciation de malfaiteurs ». Deux cents journalistes signent une « pétition de solidarité ». Jeanson, passe en Suisse et Henri Curiel est nettement visé. Mais de nouveau le réseau verra le jour mais après les arrestations des membres il sera réorganisé et sera cloisonné en cellules, sections, unités et sous-groupes, appelés le MAF (Mouvement anticolonialiste français). Le réseau Jeanson, sera renforcé et contribuera dans les actions menées par le FLN, en soutenant sa lutte en apportant son aide, d’ou « le manifeste des 121 », rédigé par Maurice Blanchet. Solidaire des porteurs de valises, ce texte : « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français Sartre et Simone de Beauvoir, Pierre Boulez, François Truffaut, Danièle Delorme, Françoise Sagan, Catherine Sauvage, Alain Cuny, Alain Resnais, Simone Signoret, André Mandouze Florence Malraux signent aussi
Jacques Vergès l’avocat du FLN
Les représailles et les arrestations étaient le lot quotidien des militants de la Fédération de France et des porteurs de valises. Pour les militants de la fédération de France « FLN », ils étaient défendus par un collectif composé de : MMe Oussedik, Benabdallah, Zavrian, Vergès et Courrégé. Parmi les conseils des porteurs, nous citerons Me Gisèle Halimi et Me Roland Dumas. Tous les avocats, avaient reçu des consignes strictes, qui se résumaient en trois points : faire durer ; retourner le procès et lui donner un cachet politique, pour sensibiliser la justice et l’opinion publique française, et c’est ce qu’ils feront, à savoir. Les autorités françaises, emploieront tous les moyens, pour déstabiliser la défense, écœurée par une succession de mascarades de procédures mesquines, Me Gisèle Halimi jette l’éponge au bout de quelques jours seulement quant à M. Dumas il restera jusqu’à la veille de sa suspension par contumace. Dans cette lutte judiciaire M. Vergès ne désarmera pas malgré les entraves et les intimidations, d’où sa présence quotidienne à la barre
A la place d’un témoignage écrit, très attendu, Jean-Paul Sartre, en voyage au Brésil, enverra un télégramme ou il affirmera son « entière solidarité » Le 20 septembre, Dumas demande au tribunal l’autorisation de lire une lettre qu’il vient de recevoir de Sartre, ou celui-ci venait dé réitérer sa« solidarité totale » avec les porteurs de valises.
Le ler octobre 1960, le verdict tombe, Francis Jeanson le chef de réseau, est condamné à dix ans de prison, comme quelques autres accusés présents. Huit Français et un Algérien sont acquittés (parmi eux Lounis Brahimi et Paul Crauchet) ; Jacqueline Carré prend cinq ans ; Jacques Rispal trois ans ; Janine Cahen huit mois. Francis Jeanson, sera arrêté le 6 octobre, à Nyons, en compagnie de Cécile Marion, puis libéré le 7 au matin, à cause de la perfection technique de sa fausse carte d’identité belge. Jeanson et Marion remontent en voiture, gagnent l’Allemagne, où Vignes vient les chercher pour les emmener en Belgique. Par ailleurs Henri Curiel est traqué par la DST, qui était bien renseignée par les services de renseignement américains, mais Curiel, très habile pour déjouer les filatures et les traquenards, se sentait en sécurité sur le territoire français où il pouvait à loisir mener le combat. Pour lui, « il n’est pas question de s’envoler comme des moineaux à chaque coup de pistolet » mais cela ne durera pas longtemps car il sera arrêté le 20 octobre 1960, en compagnie de Didar Fawzy, dans l’appartement d’une figurante de cinéma nommée Arlette Denzler, doublure attitrée de Michèle Morgan. Pour Henri Curiel et Didar Fawzy, quatre jours d’interrogatoires précèdent la prison (il n’y aura jamais de procès). De Fresnes, Curiel parvient à communiquer avec ses camarades libres. Les transports de fonds continuent sur le même rythme, selon la méthode habituelle ; les actions de propagande s’intensifient, surtout à l’adresse des forces stationnées en Allemagne. Pour les besoins de la cause, Curiel se rapproche de Hurst et de Davezies. Labbé qui est arrêté par la suite à Lyon. Il y purgera quatre mois de prison pour usage de faux papiers avant de rejoindre ses camarades à Fresnes. A l’extérieur, certains militants français se consacrent à la préparation des cavales. Des Jeunes qui ont vite grandi et qui s’appellent par exemple Alain Krivine ou Bernard Kouchner rôdent dans les fossés de Fresnes et relèvent les horaires des rondes. » (Hamon-Rotman).
Pendant les pourparlers d’Evian, qui commencent le 20 mai 1960, les représentants algériens réclament l’indulgence pour les déserteurs et porteurs de valises ; ils seront naturellement entendus. Les réfractaires seront réintégrés, les porteurs de valises sortiront de prison avant l’heure, certains à l’occasion de la signature des accords.
http://www.reflexiondz.net
2 août 2012
Benyahia Aek, Guerre d-ALGERIE