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La seconde mort d’Atatürk (6e partie) Par Ali El Hadj Tahar

2 août 2012

AlI EL HADJ TAHAR

Contribution : ISLAMISME À LA MODE TURQUE

ali.benamar54@gmail.com
La mode AKP est la dernière version d’une doctrine qui ne cesse de muer pour s’adapter à l’histoire. Tantôt c’est la mode Ibn Taymia ou El Mawdoudi, tantôt celle de Qichq, Sayed Kotb, El Benna, Qaradawi, Ben Baz et même des grands terroristes qui s’improvisent prêcheurs comme Ben Laden ou Al-Zawahiri. Et puis est arrivé Erdogan !
Depuis la rencontre en 1953 de Saïd Ramadan, le second de Hassan El Benna, avec Talcott Seelye, diplomate américain en poste en Jordanie, les Etats- Unis ont réussi à avoir les Frères musulmans comme alliés contre Nasser et contre l’établissement de régimes communistes ou socialistes au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne cessent d’utiliser l’islamisme (qui a fait beaucoup de petits) contre les pouvoirs progressistes, et favoriser des régimes à la solde. Aujourd’hui, ils instrumentalisent l’Islam contre l’Islam, dans le même but, toujours pour la promotion de leurs intérêts, notamment la vente d’armes et la survie du complexe militaro-industriel. La Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar se prêtent parfaitement à ce jeu qui met un peu de piquant dans le vie d’Erdogan qui se voit à la fois investi d’une mission nationale et d’une autre internationale, quitte à faire tomber au passage des républiques séculaires et laïques et causer des drames par centaines de milliers, si ce n’est par millions, en Libye, en Syrie et ailleurs. Depuis quelque temps, les Américains et tous les atlantistes disent que l’Islam ne doit pas être exclu de la sphère publique, qu’il peut servir pour la cohésion sociale et tutti quanti. Ils ne disent pas islamisme mais Islam, alors que cette religion joue ce rôle depuis quatorze siècles déjà. En fait, ils veulent que l’Islam soit remplacé par l’islamisme et, au lieu de maintenir la paix et la stabilité politique et sociale, cela engendre ce qu’ils appellent le chaos créateur, «fawdha khallaqa», comme si le chaos pouvait être bénéfique. D’autres «théoriciens» ne l’appellent pas «chaos créateur», mais «régression féconde» et dont le principal défenseur est François Burgat, politologue français et directeur de recherche au CNRS, qui cherche à «humaniser» la doctrine fasciste de l’islamisme. Pour lui, l’islamisme ne serait rien d’autre que «l’usage du lexique musulman dans la sphère politique» ! Considère-t-il donc comme politiquement normaux le vitriolage de femmes, l’imposition du hidjab, l’assassinat des adversaires, l’accaparement du pouvoir et le refus de l’alternance ? Burgat pense que pour accéder à la modernité, les peuples musulmans devraient au préalable revenir à l’aube de l’humanité et repasser par les mêmes phases historiques telles que définies par Auguste Comte, à savoir la phase théologique, la phase métaphysique pour, enfin, accéder au stade positif, soit lorsque l’Occident nous aura dépassé de milliards d’années. Cette théorie raciste, qui ferait honte même à Gobineau, est malheureusement reprise par un auteur algérien qui s’en attribue même la paternité et pour qui les musulmans seraient condamnés à subir, des siècles ou des millénaires durant, une phase de transition dans la boue islamiste. Pour nous persuader de la nécessité de notre retour à des âges primitifs, d’autres adeptes de la «régression féconde » donnent des exemples prouvant que l’octroi d’une certaine place à la religion n’est pas un danger pour la démocratie. Comme exemples, ils citent des partis politiques se référant au christianisme (démocratie chrétienne en Italie, Allemagne, Autriche, Finlande, Afrique du Sud…) Or, la démocratie chrétienne n’insiste que sur l’autorisation de l’enseignement confessionnel, le rôle de la famille et la dimension spirituelle de l’individu, contrairement à l’islamisme qui est une instrumentalisation malsaine de la religion et vise l’accaparation du pouvoir dans le cadre d’un califat qui rejette les principes des élections, de l’alternance au pouvoir, du droit à l’opposition et à la liberté de conscience. L’islamisme vise le retour aux archaïsmes et se définit d’emblée comme antidémocratique car il s’érige comme unique détenteur du pouvoir terrestre. Les expériences de tolérance religieuse ou inter-religieuses, les terres musulmanes les ont connues aussi, bien avant l’Occident ; or, à cette époque-là, il s’agissait de musulmans au pouvoir et non d’islamistes au pouvoir. A part la Turquie où la dérive du Parti de la justice et du développement (AKP) de Tayyip Erdogan est imperceptible car cette formation est sous contrôle d’une Constitution laïque(1), tous les pouvoirs islamistes dans le monde musulman ont pris ou prennent une posture dictatoriale impitoyable comme le Hamas dans les territoires palestiniens occupés et le Front de défense de l’islam (FPI) en Indonésie. Créé en 1988, le FPI fait régner le «droit musulman» par le biais d’une branche paramilitaire redoutée pour ses raids dans les bars et autres lieux «de perdition», qui autorise l’excision, et dont les émules viennent, en juin dernier, d’interdire à Lady Gaga de faire un concert à Djakarta. C’est dans cet environnement rétrograde qu’Erdogan veut s’imposer, en tablant sur un islamisme à la mode ottomane concocté à des feuilletons aux «khanou» pulpeuses en foulard multicolore et jupe serrée. En Tunisie, l’islamisme ottoman sans burqa a fait des émules, dont Ghannouchi d’Ennahda qui ne cesse de prêcher la modération mais dont d’autres déclarations sibyllines prouvent que le subterfuge AKP soluble dans la démocratie et même dans la laïcité ne sert que de couverture en attendant l’heure fatidique. L’un des lieutenants de Ghannouchi, Hamadi Jebali, donnait comme preuve de sa sincérité d’islamiste-respectueux-dela- démocratie le fait que sa fille ne portait pas le voile ! Ennahda se dit tolérant sans pour autant condamner les troupes salafistes qui ont tenté d’incendier le siège de la chaîne Nessma, qui ont déployé des emblèmes noirs à la faculté de Manouba de Tunis, qui viennent de fermer plusieurs dizaines de bars à Sidi Bouzid, de saccager une galerie d’art à la Marsa et un tribunal à Tunis entre autres faits «djihadistes ». Tantôt rassurantes, tantôt inquiétantes, les déclarations islamistes alternent le chaud et le froid, dans un discours à double vitesse, l’une en direction des troupes afin de les rassurer qu’ils n’ont pas changé de cap, et l’autre afin de tromper les adversaires qui ne les croient plus sur parole tant les mensonges sont nombreux.
De Marx à l’islamisme au pays d’Atatürk
Ainsi donc, les islamistes de Tunisie oublient la tradition islamique du pays ainsi que son illustre Zeitouna. S’apprêtant à importer un énième intégrisme, ils se tournent désormais vers Ankara, car les modes venues d’Arabie Saoudite et d’Iran ne lui suffisant pas. C’est par le biais du transitaire Ennahda que l’opération veut se faire, via ce même parti qui a raflé la mise à l’issue des élections de l’Assemblée constituante du 27 octobre 2011 avec 41,7% des suffrages. En s’alliant au parti du Congrès pour la République de Moncef Marzouki pour gouverner, Ennahda n’a pas d’autres choix que les concessions et le double langage mais qui ne trompent guère quant à ses visées à long terme. Cependant, tout comme l’islamisme turc qui ne dépasse pas les lignes rouges de la Constitution, il n’est pas dit qu’Ennahda de Ghannouchi préférerait le rigorisme à la prise en compte des besoins objectifs du pays, notamment dans le secteur du tourisme qui ramenait plus de sept millions de visiteurs du temps de Ben Ali. Le pragmatisme de la gouvernance contraint les islamistes tunisiens à accepter la vente et la consommation de l’alcool, car le tourisme emploie plus de 400 000 travailleurs. La «révolution du jasmin » a eu lieu pour un changement vers le progrès, pas vers la régression, mais les radicaux s’accrochent toujours au salafisme tant qu’ils n’ont pas reçu ordre de formater leurs cerveaux ou de guerroyer, mode wahhabite contre mode ottomane. Peut-être même applaudiraient-ils les prêches du bey Erdogan à condition qu’il investisse en dollars pour faire reculer les tentations immolatrices de la mode Bouazizi. Lors de son voyage en Égypte en septembre 2011, le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a promis de porter les transactions commerciales bilatérales de 3,2 milliards de dollars en 2010 à 5 milliards en 2013 et à 10 milliards en 2015, et d’accroître les investissements turcs au pays des Pharaons de 1,5 milliard à 5 milliards de dollars. La vente concomitante de l’islamisme turc et des échanges économiques semble être la caractéristique de la diplomatie néo-ottomane. Atatürk est en train d’être enterré sous de nouveaux marchés concurrentiels, lui qui n’a d’ailleurs jamais servi comme modèle aux Etats arabes modernes qui lui préféraient Marx, Nasser, Che Guevara et Michel Aflak. La vengeance ottomane contre la trahison arabe qui leur a, sous certains cieux, préféré Lawrence d’Arabie vientelle par Erdogan ? S’ils prenaient le pouvoir à eux seuls, présidence incluse, les islamistes égyptiens pourraient-ils gérer le pays alors que certains radicaux prônent la séparation des sexes même dans les cimetières en appelant, selon Egypt Independent, à ce que les femmes et les hommes soient enterrés dans des endroits séparés ? Ils ont récolté 65% des suffrages aux dernières législatives, mais l’armée leur a coupé l’herbe sous les pieds en invalidant ces résultats, dans l’espoir que les prochaines élections législatives seraient au profit des démocrates, et afin que les islamistes ne contrôlent pas toutes les instances. Ceux qui élaborent un programme sur la base d’une «obsession du corps féminin» veulent aussi «interdire les visites de sites archéologiques où les statues sont nues»! alors que l’Égypte emploie environ 12% de la population dans le secteur touristique, qui est la première source de devises du pays, avec 14 milliards de dollars en 2010». D’après l’écrivaine Fatma Naout, le programme islamiste consiste en une idée et une seule idée, «à savoir qu’une femme n’est qu’un corps, une enveloppe charnelle non douée de raison, un instrument de plaisir, un foyer de tentation ambulant». Depuis le flashage de leur cerveau à l’image d’Erdogan, ces hérétiques prétendent que leur programme a mué, comme si une hyène pouvait devenir une gazelle. Leur doctrine à base d’amulettes ne réalisera aucun miracle ; bien au contraire, elle affamera les peuples. Mais cela leur importe peu. Pour eux, seul compte le koursi, et se prendre pour des Omar Ibn Khettab, croyant que l’économie consiste à débiter des versets. Adepte du califat, la cité mythique qui garantit paradis sur terre et éden dans l’au-delà, le candidat islamiste à la présidentielle égyptienne, le sieur Abdel Moneim Abou El-Fotouh, grand modéré devant l’Eternel et nommé «l’Erdogan égyptien», ne trouve pas mieux qu’une parade pour répondre sur ce qu’il ferait en matière d’art, de musique, de cinéma et de liberté d’expression s’il était élu : «Ces choses seront toutes traitées conformément à la Constitution, aux lois et devant la justice.» «L’Erdogan égyptien» nie d’emblée la liberté d’expression et de création : il veut présider un pays alors qu’il ne sait même pas que la culture est un secteur économique qui ramène beaucoup de devises à l’Egypte, entre films et arts lyriques, sans compter les musées et les pyramides ! Tout aussi farfelues sont les contradictions du nouveau président, en l’occurrence le Dr Mohamed Morsi, chef du Parti de la justice et de la liberté, également lauréat d’un Ph.D en engineering de l’Université de Southern California en 1982. Peu importent les contradictions pour Morsi, les diplômes n’interdisant pas la bêtise, apparemment autorisée en politique : «Il n’existe pas quelque chose qui s’appelle démocratie islamique. Il n’y a que la démocratie.» Génial ! On ne voit donc pas pourquoi il court derrière un projet fondamentaliste antinomique avec la démocratie ! Avant les élections, Morsi appelait les responsables israéliens «vampires» et «assassins», mais juste avant les présidentielles, il a affirmé à CNN vouloir maintenir le traité égyptoisraélien de 1979, celui-là même qui a valu son assassinat au président Sadate ! Incroyable : un siècle durant, les Arabes n’ont pas essayé d’importer la laïcité du pays d’Atatürk, et aujourd’hui, ils veulent en importer le poison mortel de l’islamisme !
A. E. T.
(A suivre)
Note 1 : L’AKP a d’ailleurs failli être dissous en 2008 pour atteinte à la laïcité.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/08/02/article.php?sid=137428&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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