Le moment fatidique du condamné
Benchiha, calmement, avant de s’avancer, se retourne vers moi qui était figé, crispé, pour me demander pardon de m’avoir demandé de passer sa dernière nuit avec moi, et que maintenant, il sait que sa mort ne sera pas vaine.« Il s’avança avec calme, il avait 63 ans le vieux condamné à mort. « Sans un mort, souriant, un silence pesant se fit parmi les gardiens et les autorités de la justice militaire. Il interpelle d’une voix assurée les condamnés à mort au crie de « Allah Ouakbar » (Dieu est Grand ». « Une douceur tranquille se dégageait de son visage éclairé d’une belle barbe blanche, il marchait calmement vers le supplice, vers la veuve (nom attribué à la guillotine pour la simple raison qu’elle faisait des veuves) ». Autre témoignage concernant l’exécution de Benchiha, celui du docteur M’Djebour, détenu à Oran. Celui-ci a récolté plusieurs récits alors qu’il était en détention : « Benchiha avait passé sa derrière nuit à sa demande en compagnie de deux autres condamnés à mort ; il s’agit de Derrar et de Mesbah. Lorsque ses camarades lui ont dormir il répondra : Non, je ne dormirai pas. Je veux me préparer. Je ne veux pas être surpris par mes assassins. Quand la porte s’ouvrit brusquement, les gardiens furent impressionnés par tant de résolution devant la mort. Il demanda à enlever sa chemise et partit torse nu. Tant de sublimation dans le courage déconcerta les gardes-chiourme et leur état-major. L’histoire de la révolution algérienne est pleine de cas similaires tels que par exemple un prisonnier à Oran âgé de 75 ans du nom d’Ami Salah et d’un guillotiné encore mineur. Nous savons ce que la guillotine représentait non seulement auprès des condamnés à mort qu’elle les concernait directement mais aussi sur les détenus en général qui suivait par le bruit l’exécution des condamnés à mort. Un bruit ou un claquement, ils savaient si c’était la table du supplicié, la demi-lunette enserrant le cou du condamné, la lourde lame tranchante qui s’abat sur le cou de la victime ou encore pour terminer le bruit de l’eau et du balai indiquant que les bourreaux sont en train de laver le sol arrosé du sang des héros algériens. Puis la macabre mission est attribuée à ces mêmes bourreaux consistant à ramasser les têtes et les corps des martyrs pour les envelopper et les mettre dans des cercueils pour être dirigés en toute hâte vers le cimetière où l’on enterra les corps souvent sans sépulture plaçant ainsi les familles devant un dilemme surtout lorsque les suppliciés sont nombreux ne sachant pas à qui appartient telle ou telle tombe.
Le docteur M’Djebeur écrit
Le docteur M’Djebeur nous apprend que durant sa détention (dix-huit mois, il avait été arrêté au début de l’année 1957), quarante exécutions eurent lieu, il avait partagé sa cellule avec, entre autres, Hamid Guerrab et Ali Benkoula Hamid qui avait été condamné à mort puis gracié. C’est par Hamid que M’Djebeur fera connaissance de l’enfer carcéral où les condamnés sont enchaînés jour et nuit jusqu’au jour de leur exécution ou de leur grâce ; ils sont battus et fouettés malgré leurs chaînes. C’est pas des détails que nous apprenons comment se passait la derrière nuit du condamné à mort attendant l’aube fatidique. « La nuit s’écoule en prières et recueillement jusqu’à ce que le coq vint les rappeler que l’heure fatidique s’approche ; cependant pas un n’a oublié de crier » Tahia El-Djazair ». Pour ce qui est des condamnés à mort, l’occasion nous est donnée pour en citer entre autres : Cheriet Ali Cherif, Benyekhlef Amor le Témouchentois, Derrer, Abdelwahab Moulay, Chabane Ramadane, les frères Mahiedine Benarba, Benayad, Benalia, Kaddour Nait, Mimoun, Benchiha, Laouer, Mesbah, Abderahmane Bentahar, Berrabah (il n’avait que 18 ans)…Kaddour Benayad serait restés trente mois enchaînés dont huit mois au cachot avant d’être gracié. Un soir, il fit enfermé avec cinq de ses compagnons, comprenant que c’était la derrière nuit, il décida de la passer à réciter des versets coraniques. A l’aube, on ouvrit la porte de la cellule et on se précipita sur ses cinq camarades ; il sera le seul épargné. Ce jour-là, cinq des meilleurs enfants de l’Algérie auront, l’un après l’autre, la tête coupée. La liste complète des condamnés à mort pour ce qui est de la prison d’Oran se trouve jointe en annexe. Le docteur M’Djebeur nous rapporte que Mesbah encourageait beaucoup ses camarades de la cellule 13. Parfois les détenus font des rêves. Tel ce détenu qui a rêve que les condamnés à mort étaient quarante alors qu’ils étaient quarante et un ; deux jours plus tard un condamné a été exécuté et il ne restait plus que quarante. Tel autre avait fait un autre rêve ce fut le cas de Benchiha qui avait rêvé qu’ils étaient les quarante et un condamnés à mort alignés dans la cour et dit-il : « Mimoun est arrivé avec un panier de pains qu’il s’est mis à nous distribuer. Tout le monde en eut sauf moi. Quand j’ai protesté, il m’a répondu : Ammi Benchiha, il n’y a plus de pain pour toi. C’est donc cela, je n’ai plus de part dans la vie. Je vais partir. C’est mon tour ». Nous savons que Benchiha avait su que son fils est mort chahid les armes à la main au maquis 15 jours avant l’exécution de son père ; c’était son fils unique et il est mort en laissant deux enfants, sa mère et son épouse.« Extraits tirés du livre « Viva Zabana »
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2 août 2012
Ahmed Zabana, Benyahia Aek, Guerre d-ALGERIE