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Luttes d’influence et commerce algéro-turc (5e partie) Par Ali El Hadj Tahar

1 août 2012

AlI EL HADJ TAHAR

Contribution : ISLAMISME À LA MODE TURQUEali.benamar54@gmail.com

La mode AKP est donc le dernier avatar d’une mosaïque d’islamistes qui font le caméléon pour s’adapter à l’histoire.
Le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre turc Tayyip Erdogan a séduit bien des chefs islamistes sous les cieux d’un Maghreb qui n’a pas encore fait son deuil du colonialisme ottoman, un colonialisme sauvé par la religion de ses agents, comme si le fait d’infliger une injustice à un coreligionnaire était licite et n’en faisait pas un péché. Au Maghreb en général et en Algérie en particulier, le colonialisme ottoman reste vivace, car on enseigne aux enfants le fait que Barberousse ait chassé les Espagnols du Penon d’Alger, de Jijel et d’Oran, sans mentionner les dégâts que cette présence a causés trois siècles durant dans notre tissu économique et social. Par contre, dans les autres pays arabes, cette domination est démystifiée, et l’on parle aisément à son sujet de colonisation et de crimes. En Algérie donc, la pilule turque mode AKP marche assez bien même si les scores aux législatives ont été catastrophiques pour un fondamentalisme qui charge ses relais dans l’enseignement de demander à leurs élèves de faire une «recherche» ( bahth) sur Erdogan, afin de les préparer à accueillir le nouveau Barberousse… Or, de sauveur, Baba Arroudj est vite devenu un indu occupant qui a fait de nous des pirates, trois siècles durant ! Preuve que l’allégeance des islamistes algériens au pouvoir d’Ankara est forte, il y a la réaction violente de Aboudjerra Soltani lorsque Ouyahia a dénié à quiconque le droit de faire «du sang des Algériens un fonds de commerce», allusion à Erdogan qui avait évoqué les crimes français en Algérie en réponse à la promulgation d’une loi française sur le génocide turc en Arménie. En défendant Erdogan, Soltani ignorait-il que la Turquie n’a jamais critiqué la colonisation française depuis 1830 et qu’il est trop tard pour le faire maintenant ? La Turquie ne faisait-elle pas partie de l’OTAN qui a soutenu un colonialisme responsable de la mort d’un million et demi d’Algériens ? En 1830, les Ottomans sont sortis par la petite porte de l’Algérie, en prenant soin d’emporter leurs harems et les trésors. Notre pays n’ose pas qualifier ce règne d’injuste et de colonial : or, tout chef de parti algérien est supposé avoir lu L’Algérie durant la période ottomane de Mahfoud Kaddache, le seul historien qui est allé à contre-courant du discours officiel ! Mais Soltani et ses amis ne semblent pas s’intéresser aux livres, fascinés qu’ils sont par les feuilletons à l’eau de rose pleins de «khanou » et de riches qui en rajoutent. Tout en se disant admirateurs d’Erdogan, Soltani et ses amis tirent à boulets rouges sur la laïcité, qu’ils confondent avec athéisme, par ignorance ou mauvaise foi : comment leur accorder des bons points aux couleurs d’Erdogan ? Le patron d’Ennahda, Fateh Rebiai, déclare quant à lui que sa politique «a pour source l’islam» ; rien que ça ! Promettant une «sahwa» (éveil) dont les miracles tardent à se réaliser en Algérie, Abdallah Djaballah, chef du Front de la justice et du développement (FJD), a dit que la laïcité est étrangère à l’Algérie, oubliant de mentionner au passage que sa doctrine à lui s’articule également autour des principes étrangers de Hassan El-Banna et Sayed Kotb et qu’elle ignore ceux de l’Emir Abdelkader ou de Abane Ramdane. Utilisant la religion comme fonds de commerce, celui qui a mis sa femme sur une liste électorale et envoyé ses enfants étudier à l’étranger ne retient d’Erdogan qu’un costume cravate sans être capable de citer un seul nom d’économiste, croyant qu’une fetwa puisse servir de programme et qu’une «sahwa» se fasse en récitant des versets. Se croyant également investi d’une mission divine, dès lors qu’habillé comme Erdogan, le SG d’El Islah, Hamlaoui Akkouchi, a dit : «Si Dieu conduit le peuple sur le bon chemin et choisira les islamistes, une époque de prestige, de stabilité et de paix l’attend. En réalité, l’Algérie est un Etat islamique par excellence. Ces pays sont remis sur les rails après les déviations qu’a commises le colonialisme. Les choix des islamistes qui se suivent dans la région arabe sont une réconciliation avec l’Histoire et un retour à une situation historique normale. » Avec le cynisme islamiste habituel, Hamlaoui Akkouchi tance les laïcs, oubliant ou ignorant qu’Erdogan venait de rappeler, en septembre 2011, en Libye, en Egypte et en Tunisie que son pays était une République laïque et qu’il fallait respecter cette doctrine. Les fondamentalistes algériens ne semblent point être à la page, ils se contentent de répéter ce que quelqu’un a dit qu’on a dit, ignorant les sources, répétant les redites et déformant les vérités. Derniers de la classe en matière de savoir, ils se ringardisent à vue d’œil et régressent sans s’inquiéter même si cela les pousse d’une Alliance présidentielle synonyme de complicité à une Alliance verte synonyme de voie de garage. Aucun des islamistes algériens n’a levé les ambiguïtés relatives au renoncement à l’inscription de la charia dans la Constitution qui est pourtant à 90% inspirée du Coran. Sincères ou insincères, ils peuvent aujourd’hui évoquer l’AKP et Erdogan, cela ne calmera pas pour autant les ardeurs des salafistes radicaux qui se cachent au fond de leurs troupes et qui réclament une charia pure et dure. D’où la méfiance grandissante des Algériens qui ne leur a octroyé que quelques strapontins à l’assemblée.
Des emplois en Tunisie et peu en l’Algérie
Pendant ce temps, la Turquie nous fourgue ses feuilletons et empoche aussi nos dollars en nous vendant ses excédents industriels et de toc. Les exportations turques vers l’Algérie sont passées de 807,1 millions de dollars en 2005 à 1,5 milliard de dollars en 2010 tandis que les Turcs importent surtout nos produits hydrocarbures, à une hauteur d’un milliard de dollars en 2010. Près de 150 entreprises turques sont implantées chez nous, et sont surtout présentes dans la commercialisation de biens d’équipement et de produits alimentaires. Côté investissements, les sociétés turques ciblent surtout le secteur du bâtiment, et particulièrement le programme du million de logements, mais sans créer des emplois en nombre appréciable. Or, les treize industriels turcs implantés en Tunisie emploient 1 235 salariés dans les secteurs de l’industrie chimique, de la mécanique, de l’éclairage automobile, de l’électroménager et des textiles ! C’est également le cas au Maroc où plus de 75 entreprises turques sont implantées, dont sept dans le BTP avec plus de 25 projets pour un total de 1,3 milliard de dollars. En effet, la Turquie est le deuxième géant mondial du BTP après la Chine, et détenteur d’un marché de 3 500 projets dans 65 pays pour un équivalent d’environ 100 milliards de dollars. Au Maroc, les entreprises turques auraient investi plus de 240 millions de dollars jusqu’à présent et opèrent dans des activités diverses, pas uniquement le bâtiment. Parmi ces sociétés, il y a Tekfen qui travaille avec l’Office chérifien des phosphates notamment pour la construction d’un pipeline de 240 km, en plus de deux usines de fertilisation pour Maroc Phosphore qui généreront près de 1 700 emplois, alors que la construction du pipeline nécessitera près de 700 personnes. Par contre, les Algériens offrent aux Turcs sans rien recevoir en retour, ni emploi ni transfert technologique. L’Algérie a oublié les trois mauvais siècles d’histoire ottomane ; or, la politique extérieure de l’AKP veut s’inscrire dans un même terreau historique fait de condescendance et de pillage. Ces données, le MSP de Soltani et les autres fondamentalistes algériens ne les relèvent pas. Ils ne relèvent pas le fait que l’Algérie ne bénéficie pas d’un apport technologique et scientifique et se contente d’importer des produits fabriqués en Turquie ou simplement montées chez nous sans aucune valeur ajoutée nationale. Pragmatiques, les islamistes tunisiens et marocains veulent d’un islamisme turc à condition que la vente concomitante d’un islam AKP et des produits turcs ne se fasse pas sans transfert technologique ni création d’emplois dans leurs pays respectifs. Le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, fait lui aussi l’apologie de l’islamisme à la sauce ottomane. Ghannouchi est celui-là même qui a été condamné pour terrorisme à onze ans de prison en 1981, qui fut gracié par Zine el-Abidine Ben Ali en 1988 après avoir promis le rejet de la violence, et qui complotera encore une fois contre l’Etat, qui le condamnera par contumace en août 1992 à la détention à perpétuité. Est-il devenu sage celui qui avait été interdit de séjour aux Etats-Unis et que le spécialiste du terrorisme, Roland Jacquard, considérait comme l’un des inspirateurs du terrorisme islamiste, avec Omar Abdul Rahmane, Gulbulddine Hekmatyar, Hassan Al-Tourabi et le mollah Omar ? La victoire relative d’Ennahda aux législatives l’a contraint à gérer le pays avec les démocrates et il renvoie à d’autres échéances son projet islamiste. Ce projet est-il compatible avec les libertés privées ? Ghannouchi a dit qu’il respecterait le Code du Statut personnel tunisien, datant de 1956 et fondé sur l’interdiction de la polygamie, la liberté de la femme et la parité entre les deux sexes ; mais bien malin est le psychanalyste qui pourra déceler le vrai du faux dans ses déclarations. En 1989, Ghannouchi donnait une interview à l’hebdomadaire algérien Algérie Actualité du 12 octobre 1989 où il disait : «La société islamique est fondée sur l’interprétation des valeurs organisant la vie des individus et des communautés. De plus, elle organise le côté spirituel de ces derniers. C’est pourquoi, on ne saurait concevoir de société islamique laïque, ou de musulman laïc que si ce n’est en renonçant à ce qui est essentiel en islam. Car la foi en Dieu n’est pas essentielle en islam ; l’essentiel, c’est la foi en l’unicité de Dieu. Par conséquent, toute législation qui s’inspire d’autres sources pourrait porter atteinte à cette unicité. Une société ne saurait être islamique qu’à condition de ne pas être laïque et d’accepter l’unicité de Dieu.» dans son livre, Les libertés publiques dans l’Etat islamique, Centre d’Etudes de l’unité arabe, Beyrouth, 1993, il écrit ceci : «Il est à noter que la plupart des Constitutions arabes, y compris la Constitution tunisienne, ont stipulé l’islamité du chef de l’Etat, il s’agit en effet d’une stipulation abusive et vide de contenu, tant que ces Constitutions ne contiennent pas d’articles imposant la charia comme source principale de toute législation, et tant qu’elles ne contiennent pas non plus d’institutions constitutionnelles contrôlant la constitutionalité des lois. Aussi bien le chef de l’Etat lui-même et le degré de son engagement à respecter, dans sa vie publique et privée, la loi et les normes morales, pour ne pas donner le mauvais exemple de ce qui ne plaît ni à Dieu ni à ses créatures soumises. » Comme un caméléon, il s’est adapté dès son retour en Tunisie et raflé les législatives. Alors, devenu pernicieux, il parle un langage codé, comme dans cette citation, qui est cependant très claire : «Il nous est demandé d’appliquer l’islam dans les limites du possible. Nous pouvons même être contraints aux nécessités… même les règles prescrites de l’islam, si elles conduisent à des interdits, nous pourrons y renoncer. Ce faisant, nous n’abandonnons rien mais nous appliquons simplement une règle de la charia à une situation concrète et cette application doit forcément tenir compte de la règle du possible et du faisable. Telle est la politique. De ce fait, nous ne faisons aucune concession contractuelle et aucune concession sur nos principes pouvant donner à penser que l’islam n’implique pas un pouvoir ou un Etat ou qu’il n’y a pas de relation entre l’islam et la politique. Nous ne disons rien de tout cela car nous croyons au projet islamiste dans son intégralité». «Nous n’abandonnons rien» de notre «projet islamique dans son intégralité» : cela ne signifie rien d’autre qu’une dawla islamiyya avec majliss echoura, rejet de l’alternance et des autres principes de la démocratie. Ils sont patients, les islamistes, avec cette stratégie des petits pas pour atteindre le but final. Entre-temps, les intégristes radicaux tunisiens se sentent pousser des cornes depuis la «révolution» du 14 janvier. Ghannouchi et les autres islamistes maghrébins (Soltani, Mosri, Abdel Jalil…) sont-ils contre la laïcité ou bien pour l’islamisme turc qui accepte la laïcité ?
A. E. T.
(A suivre) 

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/08/01/article.php?sid=137374&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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