LA CHRONIQUE DE ABDELHAKIM MEZIANI
Yasmina Khadra a été l’auteur particulièrement inspiré de deux tacles d’anthologie. Avec l’art et la manière cathodiques, convient-il de souligner, et sur un plateau de télévision, invité qu’il était et en direct, tenez-vous bien, par France 24. Une chaîne qui a tenu à commémorer, à sa manière, la célébration du Cinquantième anniversaire de l’indépendance nationale. S’il ne se voulait pas éminemment politique, le signifié de l’émission était centré sur la représentation de la Révolution nationale du 1er Novembre 1954 par le cinéma. Pour autant, l’objectif ciblé était loin d’être sibyllin, apolitique. Il visait bien au contraire la nature du système en place depuis le recouvrement de la souveraineté nationale à travers la pratique de la censure. Comme si cette bête immonde, castratrice à bien des égards, était un mal endémique, propre à l’Algérie. Les commanditaires d’une telle approche semblent avoir oublié que la censure a toujours existé, plus particulièrement du côté de l’Hexagone où des films comme “Octobre à Paris” de Jacques Panigel et “La Bataille d’Alger” de Gillo Pontecorvo ont été interdits de diffusion des décennies durant. C’est justement cette référence à la censure qui sera à l’origine des deux tacles commis sur les personnes de Khalida Toumi et Mohamed Abbas, ministres respectivement de la Culture et des Moudjahidine. Il est reproché à la locataire du Palais de la Culture le fait qu’elle ne daigne pas lui faire l’honneur d’être son invité aux nombreuses manifestations qu’elle organise et de présenter dans son pays l’adaptation à l’écran par Alexandre Arcady de “Ce que le jour doit à la nuit”. Alors que l’objurgation visant le représentant de la famille révolutionnaire est liée au fait qu’il constitue un passage obligé pour toute production cinématographique en relation étroite avec l’écriture de l’histoire. Yasmina Khadra comme Amar Laskri et Lamine Merbah (interviewés pour les besoins du reportage illustrant l’émission) semblent avoir oublié que la production cinématographique est une mécanique perverse. Les fonds alloués aux films sont loin d’être sans arrière-pensées. Le remodelage du passé à l’image du présent est chose courante. “Alexandre Nevski” de Sergueï Eisenstein et “Salah Eddine El Ayyoubi” de Youssef Chahine à la gloire respectivement de Joseph Staline et de Gamal Abdel Nasser en sont de parfaites illustrations. L’héroïsme dans sa conception individuelle fracassante et sa finalité souvent gratuite et romantique n’a pas manqué d’envahir le cinéma algérien. Cette veine, soutenait Mostefa Lacheraf, a contribué à perpétuer un nationalisme anachronique qui détourne les gens des réalités nouvelles et du combat nécessaire en vue de transformer la société sur des bases concrètes, en dehors des mythes inhibiteurs et des épopées sans lendemains. Coincé entre la fiction et la réalité, le film algérien n’a pratiquement jamais pu, ou su, c’est selon, faire œuvre historique. Ce qui n’a nullement empêché la représentation de la guerre de Libération nationale par l’image de donner à l’Algérie des films de qualité.
29 juillet 2012
Abdelhakim Meziani