«La démocratie dont je suis partisan, c’est celle qui donne à tous les mêmes chances de réussite selon la capacité de chacun. Celle que je repousse, c’est celle qui prétend remettre au nombre l’autorité qui appartient au mérite.»
Henry Ford
Homme discret, bienveillant, loyal, selon les témoignages de ses camarades de combat, parfois pointilleux mais généreux en paroles, Sadek Keramane est issu d’une vieille famille de Béjaïa. A 78 ans, il a toujours la mémoire en veille et le souvenir vivace. A 18 ans, il décroche ses deux parties du baccalauréat en philo, lui le fort en maths. Il rejoint la faculté des lettres d’Alger, milite dans le milieu estudiantin avec Amara Rachid, participe activement à la grève des étudiants de Mai 1956, et devient un des responsables de cellule de la zone autonome. Il active à Alger sous la houlette de Chergui Brahim. Il est arrêté en 1957.
Il subit les affres de la torture, la solitude des prisons, dans la crainte des lendemains incertains. Sadek n’est pas de ceux qui utilisent les mots comme des armes en mitraillant son intervieuwer d’idées ou de faits héroïques surdimensionnés. Au contraire, il hait la guerre à laquelle pourtant il a pris part à son corps défendant. Il a grandi jusqu’à l’adolescence dans sa ville natale Béjaïa, où il a effectué ses études scolaires à l’école de la rue Fatima, tout près du quartier qui porte le nom de sa famille.
Il intègre le collège de Béjaïa en 1946. Dans cet établissement, qui deviendra un lycée par la suite, il décrocha les deux parties du baccalauréat en 1952 et 1953. «J’étais matheux et engagé passionnément dans cette filière, mais comme il n’y avait pas de classe dans cette matière, je me suis résigné à faire philo par défaut», précise-il.
Prise de conscience précoce
En 1953, tout en poursuivant ses études supérieures, il est maître d’internat au lycée d’Aumale de Constantine devenu Hihi El Mekki. Il y restera deux ans avant de rallier Alger où il occupe la même fonction au lycée Bugeaud. Il est inscrit à la Fac de lettres d’Alger, mais la grève de 1956 bouleversa la donne.
Cet événement marquera le cheminement du mouvement national. L’implication des étudiants dans la guerre lui donnera sans doute une autre dimension. Mais il faut remonter à loin pour en connaître les raisons, renchérit Sadek qui précise que l’éveil à la cause nationale n’est pas un événement fortuit, c’est la résultante de faits accumulés.
«Car on le vit dès la naissance face aux injustices criantes entre une minorité de colons qui a tout accaparé et la majorité de la population qui peine à assurer sa survie. Dès lors, les deux communautés entrent en conflit. Quand on se rencontre, on est tout le temps en compétition, que ce soit en football, en boxe ou sur les bancs de l’université. On se faisait un point d’honneur en mettant les bouchées doubles pour les battre. Personnellement, j’ai été marqué, très jeune, par le comportement violent de la soldatesque coloniale. A 11 ans, en mai 1945, j’ai pris part à la manifestation réclamant l’indépendance. D’El Khemis, nous avons convergé vers le théâtre de la ville, mais on nous avait bloqués à la place Gueydon. Après la manif, on s’est retrouvés à Sidi Soufi pour un meeting qui a été dispersé avec en sus des arrestations. Il y avait des leaders comme les Touati, les Bahloul, Salah Mabroukine, Djamel Barkat. Ces deux derniers avaient par la suite raflé la mise lors des élections, mais l’administration avait annulé le scrutin. Je me souviens qu’en cette année 1945, outre les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, Béjaïa a eu son lot macabre. La chaîne des Babors était quotidiennement bombardée par un navire à partir de la baie de Béjaïa durant des semaines…
Le déclic de 1954 tire sûrement son essence des terribles événements de 1945, car il n’y avait d’autres possibilités de s’émanciper que par la lutte armée.»
D’autres facteurs ont contribué à la formation politique de Sadek, qui reconnaît que la lecture l’a beaucoup aidé à se positionner. «Mon cousin Abdelhafid Keramane, lecteur assidu, ramenait des journaux et des hebdos qu’on lisait goulûment à la maison. Cela nous permettait d’être au fait des événements qui se déroulaient, et puis durant l’été 1952, il y a eu l’avènement de l’AEMAN (Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord). Belaïd Abdeslam, son président, se déplaçait à travers le territoire pour se faire connaître. A Béjaïa, ce fut une découverte pour nous et le discours était déjà nationaliste. Moi, j’étais proche des idées du PPA, mais je n’ai jamais intégré le parti. Cela dit, on a vécu la scission du PPA-MTLD comme un drame. Personnellement, je n’avais pas beaucoup de sympathie pour le zaïm. En 1947, Messali était venu à Béjaïa, je voyais un cortège arpenter la rue du Vieillard. On est tout de suite descendus du quartier. Messali était porté à dos d’homme. Cela m’a choqué. De plus, avec sa barbe et sa tenue, cela me faisait penser à Raspoutine.»
Pour revenir à Belaïd Abdeslam, il faut dire qu’il était maître d’internat à Constantine. Il avait regroupé les militants MTLD de la ville et lancé l’idée d’une association de lycéens en 1954 et dont Sadek était membre fondateur aux côtés de Lakhdari Ali, Mouloud Ali Khodja et le regretté Lamrani Abdelhamid, mort au champ d’honneur aux côtés de Mostefa Ben Boulaïd. Il a été créé un journal estudiantin, L’Essor. Sadek rentre en contact avec Skikda et Alger qu’il rejoint en juin 1954 où il rencontre Chafika Meslem et Mohamed Sahnoun, l’association d’Alger est créée en février 1955 par Amara Rachid. Le 24 avril 1955, Sadek assiste à une conférence organisée à l’occasion de la Journée internationale de la jeunesse anticolonialiste et anti-impérialiste et animée par Pierre Chaulet. Sadek rencontre Amara Rachid, Saber et Lounis en même temps qu’il prend attache avec les frères Adjali, Abdelhamid et Nacer à Constantine. A Alger, Sadek fait partie d’une cellule dirigée par Amara Rachid avec Hachem Malek, Abdelatif Amrane et d’autres…
En décembre 1955, Amara est arrêté. Il avait chargé Sadek de suivre les élections de l’AEMAN. «Ce que j’ai fait. Il m’avait proposé d’être candidat. Je lui ai fait savoir que je préférais la clandestinité.»
«Amara au maquis, j’ai travaillé avec Benyahia et Lamine Khène. C’est ce dernier qui m’avait mis en contact avec Brahim Chergui, responsable politique de la zone autonome. La rencontre a eu lieu près de la Maison du livre, et on était en pleine structuration de la zone autonome. J’ai été désigné comme adjoint au chef de la Région I, M. Akli Ziane. J’avais la responsabilité du deuxième arrondissement avec Hamada comme chef et Mustapha Dahmoune. Notre champ d’action touchait Bab El Oued, Climat de France, Beau Fraisier… J’ai été chargé par le FLN de l’organisation des traminots (RDTA), on a créé d’autres structures et on a regroupé les intellectuels avec un comité de justice sous la direction de Salah Nour, et les médecins avec Abderezak Belhafaf. Lors de la Bataille d’Alger, le soutien de la population était acquis.
A la fin de la grève des huit jours, je me retrouve sans contact avec Ziane et Aït Merzouk qui avaient rejoint le maquis. J’avais un refuge à la Scala. Un jour, je devais remettre un pli dans une boîte postale avec un laisser-passer devant permettre à Dekar de représenter l’UGTA au Congrès de la Confédération internationale des syndicats libres à Tunis le 5 juillet 1957. J’étais sorti de mon refuge, une patrouille passait par-là. Elle m’a arrêté et amené à Serkadji où j’ai subi les pires tortures.»
La torture, procédé courant
«Un jour, j’étais dans ma cellule. J’entends vociférer une équipe de militaires qui torturaient un détenu. Il s’appelait Abderrahamane Belhimer, cela a duré longtemps. Il gémissait, et à un moment donné, sa voix s’est éteinte, puis des éclats de voix ‘‘Ah le s… il nous a eus.’’ Il n’avait pas avoué. Puis, des chuchotements, certainement des manigances pour maquiller l’assassinat et inventer un scénario à présenter à leur chef.
L’Ugema a constitué une avocate pour ma défense. J’ai été déféré au parquet le 14 novembre 1957 au Tribunal militaire après l’arrestation de tous les responsables FLN d’Alger. Paradoxalement, l’affaire a été instruite par un juge civil. J’en ai profité pour déposer plainte pour tortures… J’ai été amené à la caserne des Zouaves à La Casbah, où les interrogatoires étaient entrecoupés de tortures. J’étais traîné de centre de détention en endroit non officiel où j’étais torturé par le lieutenant Dimartino que je connaissais car originaire de Béjaïa et étudiant dans la même école que mon frère… Ils utilisaient les pires procédés pour m’anéantir. Un jour, ils m’ont fait traverser une pièce où quatre cadavres étaient étalés. J’en ai reconnu un, Abderrahmane Oussadi, dit la Glace. Ils voulaient jouer sur mon moral et m’impressionner, mais j’ai tenu bon. Un jour, j’ai été convoqué par l’administration pour faire face à tout un aréopage de personnes qui voulaient me persuader de retirer ma plainte pour tortures.
Comme je n’ai pas cédé à leur volonté, ils m’ont maintenu à Serkadji entre cachot et cellule. J’étais condamné à 8 ans. C’est là que j’ai attrapé une méchante maladie : une pleurésie sèche. J’y suis resté jusqu’en 1959, puis je suis transféré à Berouaghia où on a observé à la prison une grève de 16 jours pour protester contre les conditions inhumaines de détention. Là aussi, on a subi les pires atrocités.Comme on était des éléments gênants, on nous a transférés aux petites Beaumettes à Marseille, dont le régime est plus sévère que celui de la grande prison phocéenne. Une grève est enclenchée suivie d’un transfert à Angers avec Guerroudj, Belamane, Akache…»
Une autre grève est observée durant 20 jours pour demander la libération des cinq leaders du FLN dont l’avion avait été arraisonné par l’armée française. En avril 1962, Sadek et ses camarades sont au camp de Larzac en France d’où ils sont transférés par avion au camp Tefechoun à Blida avant d’être libérés.Sadek rejoint Alger où il intègre le comité de coordination de la 1re région Casbah. «Nous étions déprimés, désorientés et puis, nous n’avions plus aucune influence puisque c’est la Wilaya 4 qui avait repris les choses en main. On a assisté avec Houhat et d’autres résistants au meeting du GPRA au stade d’El Annasser. On savait déjà qu’il y avait anguille sous roche, que quelque chose se tramait et que c’était effectivement les prémices de la discorde. Désillusionnés, il fallait faire quelque chose pour éviter le pire. Mais la volonté seule ne suffisait pas.
En ce qui me concerne, désabusé, j’ai intégré l’administration à la direction générale du Plan et des études économiques avec Abdelmalek Temmam, jusqu’en 1968 où j’ai intégré le ministère de l’Industrie, en occupant par la suite le poste de directeur des matériaux de construction, de conseiller technique, de directeur général de la SNLB jusqu’en 1988. Sadek rejoindra ensuite les fonds de participations, industries manufacturières… En mars 1991, il est directeur général de la Safex jusqu’à sa retraite en l’an 2000.
Haro sur les imposteurs
Sadek continue de suivre avec intérêt l’évolution politique du pays en stigmatisant certaines postures auxquelles le FLN originel n’aurait jamais imaginé qu’elles puissent se produire.
«Le mieux qu’on puisse faire, c’est de mettre le FLN au musée de l’histoire. C’est le temps des imposteurs ! La mascarade qui se joue au sein du parti est en tous cas loin d’être un signe de vitalité démocratique. La plupart de ceux qui se réclament du FLN font actuellement de la politique politicienne pour leurs propres intérêts. C’est devenu un fonds de commerce. Cela est aussi vrai pour la religion que certains veulent monopoliser à leur compte alors qu’elle appartient à tout le monde. Pis encore, on veut nous imposer des modes de pratiques qui sont étrangers à nos mœurs, à notre culture.
C’est un accaparement illicite inadmissible. Notre seule force, c’est la cohésion nationale qui suppose l’acceptation de l’autre et des différences. Quant à l’histoire contemporaine de l’Algérie, elle reste à écrire. Il ne s’agit nullement de surdimensionner les faits ni de les réduire. Il faut écrire l’histoire avec autant d’objectivité que possible. Certes, les gens qui ont vécu les faits dans leur chair ne peuvent oublier. Leur témoignage aidera les historiens à sasser les faits bruts, les cribler avant d’en sortir une matière expurgée de tout subjectivisme. Ces derniers temps, des voix exigent de l’ancien occupant la reconnaissance de ses crimes et sa repentance. Si la France ne veut pas se regarder dans la glace, c’est son problème. Si on se repent, c’est qu’on accepte de faire son examen de conscience, sinon c’est la confrontation permanente même si c’est parfois à fleurets mouchetés…
Bio express :
Sadek Keramane est né le 15 février 1934 à Béjaïa où il effectue ses études primaires et secondaires en décrochant son baccalauréat au début des années cinquante. Très jeune, Sadek est sensibilisé à la cause nationale, marqué surtout par les massacres du 8 Mai 1945.
Sadek active à Constantine, mais c’est surtout à Alger où il intègre la Faculté d’Alger qu’il se signalera par ses intenses activités dans les milieux estudiantins aux côtés de Amara Rachid. Sadek prend part à la grève de mai 1956 et devient responsable de cellule du FLN au sein de la zone autonome d’Alger. Arrêté, il est torturé et condamné à 8 ans. Il est trimballé de prison en prison et recouvre sa liberté en 1962. Il a occupé plusieurs postes au sein de l’administration avant de prendre sa retraite en l’an 2000. Sadek est père de 3 enfants.
25 juillet 2012 à 9 09 44 07447
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