le 28.04.12 | 10h00
- Votre dernier ouvrage Ben Bella-Kafi-Bennabi contre Abane : les raisons occultes de la haine est en passe de devenir un succès de librairie. Ravageur et véhément, son contenu a-t-il induit des échos, de l’establishment notamment ?
Non, pas d’écho pour le moment. Exceptées les déclarations bienveillantes du ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia sur Abane Ramdane. Des déclarations certes bien gentilles mais qui sont biaisées : on aurait aimé qu’il les tienne avant, lorsque la polémique a éclaté, et non pas dans un contexte électoral – comme c’est le cas – avec cet objectif latent d’apaiser la Kabylie. Toutefois, comme déclarations, c’est toujours bon à prendre.
- Même lorsque ça vient d’un «MALGache», disciple de Boussouf, un des assassins de Abane ?
A l’époque, Ould Kablia était jeune, un soldat, et n’avait pas de pouvoir. Maintenant, effectivement, il a pris du grade, il est membre du gouvernement, par son propos, il engage pleinement le gouvernement et le président Bouteflika. Même s’il est sincère, et je pense qu’il l’est, son propos à Tizi Ouzou aurait eu plus de mérite s’il avait été tenu en temps opportun. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il ait fait ces déclarations en qualité d’ancien membre du MALG. Je ne le pense pas. Le cas contraire, il se doit de faire une rétrospective générale, ce qui s’est passé et non pas se contenter de répliquer aux propos de Ali Kafi. Il doit nommer les choses, qualifier comme il se doit la mort de Abane : un assassinat maffieux avec préméditation.
- Vous dites avoir travaillé dix ans sur cet ouvrage. Avez-vous eu accès à des archives inédites comme celles du MALG, dont l’association éponyme est dirigée par l’actuel ministre de l’Intérieur ?
Mais que voulez-vous trouver dans les archives du MALG, quand le corps lui-même, celui de Abane, a été définitivement anéanti. Pensez-vous qu’on puisse trouver dans ces archives le procès-verbal d’un assassinat maffieux. Car il s’agit d’un crime maffieux, du genre qui ne laisse pas de traces. Par ailleurs, je ne m’inscris pas dans une démarche d’historien. Je ne suis pas dans mon rôle. Dans mes deux ouvrages, j’ai porté un regard de politologue.
- Dans votre dernier ouvrage, vous cassez des mythes, dont le mythe Bennabi, que vous décrivez sous des habits nouveaux : vous déterrez, à ce propos, son passé de «collaborateur» avec les nazis et l’administration capitularde de Vichy. En vous en prenant avec une telle véhémence à la figure de Bennabi, n’avez-vous pas l’impression d’avoir trop tiré sur la corde ? Ne craignez-vous pas de choquer, notamment, les disciples de Bennabi, un personnage qui non seulement ne se situait pas dans la sphère très immédiate des exécutants de Abane, jouit d’une aura d’intellectuel anticonformiste ?
Les idéologues précèdent parfois les assassinats. Nous en avons fait l’expérience dans notre pays. Mais pour répondre à votre question, ça tient à une question de timing. Ce livre devrait sortir, en dernier, après celui traitant des Vérités sur l’assassinat de Abane que je compte sortir en décembre prochain. Mais j’ai précipité sa parution pour permettre aux protagonistes encore vivants de prendre connaissance de son contenu. Je pense notamment à Ben Bella et Kafi. Je ne voulais pas tomber dans les mêmes travers que ces derniers qui se sont attaqués à des personnalités qui ne sont plus de ce monde. Pour ce qui est de Bennabi, c’est justement parce qu’il n’était pas dans la sphère immédiate de Abane, mais bien à la lointaine périphérie de la Révolution, qu’il en parle avec beaucoup d’approximation. De la révolution, il en parle comme un néophyte, comme quelqu’un qui n’en sait pas grand-chose ou a-t-il eu seulement quelques échos des héros des maquis aurésiens qui parvenaient jusqu’à lui, en Luat Clairet. Non, Bennabi n’est pas un monument. Il est tout juste un islamiste francophone qui se donne des allures de maître à penser. Par ailleurs, beaucoup d’Algériens ne le connaissent pas sous son vrai visage : ils le découvrent, maintenant, comme il est, véritablement. C’est un intellectuel autodidacte, défaitiste, qui s’emmêle les concepts (marxistes et islamistes), manipule des référents théologiques et idéologiques, souvent antinomiques, forcément inconciliables. En définitive, Bennabi n’est pas un intellectuel anticonformiste comme on a bien voulu nous le présenter.
- Votre livre est «violent». L’auteur, on le sens, veut rend coup pour coup… Vous mettez en œuvre la loi de talion…
Je ne crois pas qu’il est violent. En fait, je n’ai fait que répondre à des insultes. Je l’ai fait en prenant soin d’argumenter au préalable. C’est là où réside justement toute la différence entre la démarche d’un Bennabi qui qualifie Abane d’«erreur induite» et d’ «erreur introduite de l’extérieur», sans avancer le moindre argument, et ma démarche à moi, qui est au contraire, assez étayée. De quelle preuve dispose un Kafi pour parler de Abane qui, selon lui «n’est ni de gauche ni de droite», l’accusant d’avoir ouvert des «canaux secrets» de négociations avec la France ? Aucune preuve. Quand j’évoquais l’implication de Kafi dans la mort de Zighout Youcef, je cite les déclarations de Ben Bella et le livre de Fethi Dib, le patron des services égyptiens. Sans pour autant prendre pour argent comptant ce que ces derniers disent.
- Ne pensez-vous pas qu’en s’engageant sur cette pente raide, on finira par accuser tous les résistants, les plus illustres y compris, d’être des «traîtres» en puissance ? De Messali à Abane, en passant par Ben Bella, Abbas, Boussouf, Boumediène, Yacef, Ighilahriz… tous traînent des casseroles… La figure du «héros» pur, irréprochable, au-dessus de la mêlée… n’aura plus sa place, plus de sens, dans l’imaginaire collectif ?
Oui. C’est ce qui me désole le plus. C’est toujours difficile de s’en prendre à des mythes, à des illusions, d’ôter le couvert sur les parties sombres d’un personnage. Ce n’est pas pour autant descendre trop bas quand on s’avance avec des arguments. Quand des accusations de ce type viennent d’un Ben Bella, elles peuvent être justifiées par la soif au leadership, mais quand ça vient d’un Bennabi !!!
- Le colonel Amar Benaouda a «récidivé» récemment, sur les colonnes d’un quotidien national, en qualifiant le Congrès de la Soummam de trahison, et son premier inspirateur, Abane en l’occurrence, de traître…
Voilà. On est encore dans l’invective rageuse. Benaouda vit reclus à Seraïdi, honni, vomi par la population. Au point où une association à qui il a voulu faire un don, l’a rabroué et refusé de le prendre. Mais à quoi devrions-nous nous attendre de la part de quelqu’un qui s’est toujours rangé du côté de l’homme fort. Benaouda a été dans le comité central du FLN qui a exclu Abdelaziz Bouteflika, et colporté sur ce dernier quantité d’invectives, et qui, 20 ans après, tombe dans ses bras en pleurant. J’aimerais bien que Benaouda nous dise quelles sont ces «fautes» que Abane aurait donc commises pour mériter le sort qu’on lui a réservé ?
- A vous lire, on a l’impression que Abane, l’unificateur du mouvement national sous la bannière du FLN, avait réussi à faire l’unanimité contre lui, qu’il était devenu l’homme que tous voulaient abattre ?
Pas tous, uniquement les prétendants au leadership de la Révolution, comme Ben Bella avec qui il n’a jamais été tendre. Entre les deux hommes, aux caractères diamétralement opposés, il y a de la détestation réciproque. Ali Kafi, quant à lui, ne digère toujours pas son exclusion du Congrès de la Soummam. Il vit ça comme une blessure narcissique profonde.
- Curieusement, dans votre livre, vous évacuez les ordonnateurs de l’assassinat de Abane, vous préférerez vous appesantir sur des responsables et idéologues de la Révolution qui n’ont pas de lien direct avec le meurtre. Pourquoi ?
Parce que ce n’est pas l’objet de ce livre, mais du prochain. Et dans le prochain livre, il y a des vérités dures à entendre.
- Vous êtes professeur de médecine, vous exercez à Paris, et vous dites dans une interview récente que désormais vous vous consacrerez entièrement à l’écriture. L’écriture de l’histoire, vous en faites presque une affaire personnelle…
Non, non pas du tout : je n’en fais pas une affaire personnelle. Si je m’y intéresse, c’est par sens du devoir. Du devoir de mémoire. Il fallait que j’assume cet héritage. C’est une charge excessivement lourde. Croyez-moi, j’ai hâte d’en finir pour m’adonner à l’écriture libre. J’ai hâte de donner une sépulture morale pour Abane, que plus jamais un lâche ne viendra souiller.
- Certains vous reprochent de transformer l’histoire de Abane notamment en affaire personnelle…
Pas du tout. Je ne parle aucunement de ma personne dans mes livres. J’y ai complètement évacué le «moi». Ce qui me catalyse, c’est le fait d’établir ou de rétablir les vérités – mes vérités - et devant un enjeu pareil, ma personne est inintéressante. Je me dis souvent que si Abane était de Mécheria ou autre région d’Algérie, il serait porté au panthéon national.
- Votre prochain ouvrage portera sur des Vérités sur l’assassinat de Abane. Qu’est-ce que vous y apportez de nouveau, que les historiens ont omis de faire ?
Le livre apporte beaucoup d’émotions. Un raz-de-marée émotionnel. Parce que j’ai interrogé des personnes parmi les plus proches de la scène où se préparait l’assassinat de Abane.
Il y a des choses inédites, nécessaires pour situer avec précision les responsabilités. Comme cette histoire de procès-verbal des colonels ayant précédé l’élimination de Abane. Le PV existe, mais il a été dressé a posteriori. Ceux qui ont décidé de l’élimination de Abane, sous des prétextes protéiformes, n’ont pas sollicité l’approbation de tous les membres – signataires du dit PV – ils l’ont fait après coup.
25 juillet 2012 à 15 03 13 07137
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