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Argent, pouvoir et langage dans le football algérien Par Lalaoui Belkacem

23 juillet 2012

Contributions

 Argent, pouvoir et langage dans le football algérien  Par Lalaoui Belkacem dans Contributions Lalaoui-Belkacem-300x115Contribution :

Le passage de nos clubs de football amateur en clubs de football professionnel n’a pas manqué de révéler le rôle important que joue l’élément communicationnel argent-pouvoir-langage dans la dynamique des clubs de football professionnel. Ces trois éléments, de l’activité communicationnelle, seraient constitutifs du «lien social».
En effet, parmi les activités permettant de lutter contre la déperdition du «lien social», le club de football professionnel apparaît, idéologiquement, comme un espace original pour l’apprentissage et l’obéissance à des règles, des normes et des valeurs. Lieu idéal dont use une société pour proposer au monde sa «performance sportive » ; le club joue un rôle-phare dans la construction du vivre-ensemble. Il nous donne l’image d’une collectivité, qui est «en train de se faire». Par son biais, la communauté, qui d’ordinaire est invisible, prend figure et parvient à se rencontrer avec elle-même. S’interroger sur le modèle de développement du football professionnel algérien consisterait donc à analyser les rapports entretenus par le triptyque communicationnel argent-pouvoir- langage, dans le fonctionnement de nos clubs de football professionnel. Car le problème qui se pose, aujourd’hui, dans les clubs de football professionnel est de situer des barrières à ne pas franchir (un seuil à ne pas dépasser), concernant ces trois éléments de l’activité communicationnelle, sous peine de pervertir le «lien social» et de briser par là même l’enchantement du spectacle sportif en tant que facteur d’identification et d’identité.
L’élément communicationnel : argent
L’argent n’a pas manqué d’être l’un des vecteurs communicationnels des sports modernes, depuis leur origine. Il est l’un des constituants du sport moderne. Déjà, au début du XXe siècle, le vocable sport était synonyme de «pari» entre les membres de l’élite aristocratique. Ces derniers n’hésitaient pas à parier des fortunes sur une course ou un combat de boxe. Les premiers combats de boxe ont été suscités et organisés en Angleterre, sous la forme de «défis» par des aristocrates, mettant en lice leurs plus robustes domestiques. Ces défis participaient à la création d’une sociabilité fondée sur la reconnaissance réciproque des valeurs et de l’excellence. L’argent était considéré comme un vecteur de communication dans le maintien du «lien social nobiliaire». Ce système concernant au départ des groupes restreints de type aristocratique va se trouver perturbé par de nouveaux venus, souhaitant participer à la «circulation du lien social argent». Ces nouveaux venus sont, pour la plupart, de simples domestiques, ouvriers, artisans, qui vont, eux, jouer contre un «revenu» pour «vivre» et non pas seulement pour jouer. De fait, ils vont vite être décriés, comme étant des «professionnels » et disqualifiés par le groupe originel. L’argent gagné est alors détourné de sa fonction de «lien social distinctif» pour devenir un simple moyen de subsistance et de survie. De catégorie symbolique et quasi ludique pour les uns (les nobles), l’argent devient porteur de valeur financière réelle pour les autres (les couches populaires). Il change, ainsi, de sens par rapport à sa fonction initiale. Les «professionnels » sont donc à l’origine des individus issus des couches populaires, qui se sont passionnés pour une pratique sportive, qui devenait une sorte de métaphore de leur propre promotion sociale. Cela signifie qu’à un moment donné, la pratique intensive d’un sport quelconque apparaît, à certains individus, comme offrant un espace où il est possible d’accéder à l’argent, à la richesse, à la promotion sociale, voire à la notoriété. Ainsi, ce qui était à l’origine une pratique ludique de quelques «oisifs» (les nobles), qui ne doivent pas gagner leur vie avec leur corps, devient une pratique étendue à tous ceux qui décident de travailler avec leur corps, de se donner en spectacle et de vivre de celui-ci. Il y a, en ce sens, communion objective dans le domaine de l’argent. Cette communion est système de «lien social». Aujourd’hui, la direction des grands clubs de football professionnel est toujours le fait de notables (industriels et hommes d’affaires) au tempérament généreux, qui estiment qu’ils ont le devoir moral, s’ils veulent tenir leur rang, d’offrir des spectacles à leurs cités. Les exemples sont nombreux. En France, Jooris, grand brasseur lillois à la tête du Losc, Prouvost, magnat du textile présida le RC Roubaix, Peugeot fonda le FC Sochaux. En Italie, l’essor des grands clubs a été lié au mécénat paternaliste de grands industriels : les Agnelli à Turin, le riche armateur Doria à Gênes, l’armateur Lauro à Naples. Ces grands industriels apportèrent, non seulement, de l’argent à leurs clubs, mais ne manquèrent pas de leur imprimer une vision du monde et du social. En Algérie, quels sont les grands industriels ou hommes d’affaires prestigieux, qui ont une telle «vision», et la volonté de donner une telle orientation pédagogique à leurs clubs ? On peut les compter sur les doigts d’une seule main. Aujourd’hui, la population continue de manifester à l’égard des présidents de club une grande méfiance : d’où tiennent-ils leurs fortunes? dit-elle. Pour certains d’entre eux, elle ne sait même pas ce qu’ils font dans la vie. En dehors du stade, dit-elle, ils ne sont rien ou pas grand-chose. Par ailleurs, certains responsables politiques n’hésitent plus à déclarer que c’est l’«argent maffieux» qui a tendance à gouverner en Algérie, découvrant ainsi que «les jeux sont faits, la partie est truquée et le chien mord les pauvres» (proverbe d’Italie du sud) ou bien encore, pour parler comme Rousseau, que «tout est bon qui sort des mains du Créateur de la nature, tout dégénère dans les mains de l’homme». En somme, si l’on tend à s’acheminer vers une société maffieuse, le club de football professionnel le sera tout autant parce qu’il en est le reflet. Il participera, alors, à afficher des règles, des normes et des valeurs corrompues, qui vont façonner la société et servir de repères identificatoires pour la jeunesse. Il ne faut pas alors s’étonner que les supporters s’identifient à cette déviance et incorporent à leur tour des conduites violentes. Dans cette perspective, le club sera perçu comme un coffre-fort à dévaliser : l’argent, qui s’y trouve, n’appartient à personne.
L’élément communicationnel : pouvoir
Depuis sa naissance, et comme certains auteurs l’ont très bien montré (Bourdieu, Brohm, Pociello, Pivato, etc.), le champ sportif est un enjeu de pouvoir. En effet, sur la plupart des terrains de sport, on assiste à un enjeu de pouvoir important dans le domaine du symbole, qui est mis en scène : pouvoir d’une équipe sur une autre, d’une ville sur une autre, d’une région sur une autre, d’un pays sur un autre. C’est, en définitive, cette circulation du «pouvoir sportif», qui crée du «lien social». Cette recherche de pouvoir, expression de la volonté de puissance, on l’observe dans un club comme la Juventus de Turin où le destin de l’équipe est étroitement associé aux ambitions industrielles et au pouvoir aristocratique de la famille Agnelli. On le constate dans l’équipe de l’AC de Milan de S. Berlusconi, le «Tarzan de la jungle audio-visuelle », qui promit qu’il sauverait l’Italie comme il avait sauvé son club. C’est finalement cette lutte très «civilisée» pour exercer le pouvoir, en conformité avec les normes, qui donne au club un certain prestige et le transforme en une mise en scène bruyante du «pouvoir du président » et de «son club». Vient s’ajouter à cela la particularité du football professionnel : son système de lois jouissant d’une sorte d’extraterritorialité juridique et qui en fait, finalement, un véritable Etat dans l’Etat, un pouvoir dans le pouvoir. La loi démocratique ne s’applique, généralement, pas dans l’espace du football professionnel. C’est pour cette raison que l’on retrouve, dans la jungle du football professionnel algérien, une constellation de Tarzans, qui ignorent le tacle «régulier». Tous ces Tarzans sont des personnages redoutables (on raconte que ceux qui s’amusent à les toucher enflent et périssent), qui maîtrisent, parfaitement, le bruissement de la jungle du football professionnel algérien. Une jungle sportive qui fonctionne, exactement, comme le capitalisme du début du XXe siècle, ne voyant dans le sportif de haut niveau qu’une bête de somme : «un être du même type que le bœuf.» Aucun contre-pouvoir n’est présent, pour permettre à la population d’exprimer ce qu’elle pense de l’orientation de ce système sportif. Cette dernière ne peut même pas demander à ce que le club professionnel soit considéré comme une entreprise, comme n’importe quelle autre, soumise aux mêmes critères et aux mêmes examens.
L’élément communicationnel : langage
Mead établit que le langage est à la fois vecteur de l’individuation et de la socialisation et qu’à ce titre, il est le principe synthétique de toute société dans la mesure où c’est par lui, et par lui seulement, que la société «tient ensemble». De ce fait, il remplit trois fonctions : celle de la reproduction culturelle, de l’intégration sociale et de la socialisation. Or, dès son origine, le monde sportif se constitue comme un immense système langagier, un «parlable sportif», utilisé par les participants pour accéder à la compréhension commune de l’objet sport et notamment le football avec ses règles et ses interdits. A travers les journaux, la radio et la télévision, l’élément langagier «football» a envahi l’espace social. En effet, le langage sportif football est devenu un discours, qui exprime un sens conforme à nos souhaits, celui que porte la société à la compétition sportive. Ce sens est inculqué, aujourd’hui, dès la plus jeune enfance, dans la plupart des écoles de sport et des centres de formation des clubs sportifs. Ainsi, le football professionnel, dans la part de l’«agir communicationnel» médiatisé par le langage a contribué à créer un «lien social planétaire». Il n’est plus un pays où l’on ne connaisse pas, aujourd’hui, non seulement les règles et le rituel du jeu football mais aussi les noms des champions et des équipes les plus en vue. Dans ce domaine, la presse sportive tend à jouer un rôle important ; en s’attachant, notamment, à commenter (à dire le vu) quotidiennement le fait «football professionnel». Elle participe à créer une forme culturelle, comparable à toute autre, puisqu’elle transforme un fait en objet de discours, de réflexion. Au sein de la population, elle concourt à susciter les discussions pratiques, et «ce qui est en jeu dans les discussions pratiques, nous dit J. Habermas, ce n’est ni la vérité des propositions, ni l’exactitude des évaluations, ni la bonne conformation des constructions, pas plus que la sincérité des expressions de soi, mais seulement la justesse des actions et des normes d’actions : “La question est : est-ce moralement juste” ?» Par la presse sportive, les gens vont apprendre à parler d’une rencontre de football, échanger la parole, communiquer leurs opinions, dialoguer entre quatre yeux. De ce dialogue vont naître des rapports humains, se nouer des complicités, des amitiés : «On ira, la prochaine fois, voir le match ensemble.» Chez les supporters, le langage sportif football se transforme en une langue primitive de l’espèce humaine, en une poésie populaire : «L’arbitre, salaud, le peuple aura ta peau.» Chez les spectateurs, il va remplir une fonction de plaisir et de désir : «Tu vois, là, moi j’aurais marqué le but !» ou bien encore : «A sa place, j’aurais fait une passe.» Pour les téléspectateurs, il va donner lieu à un «nationalisme de l’inquiétude ou de l’angoisse et un nationalisme de la satisfaction ou de l’euphorie» ; laissant de ce fait éclater les problèmes d’identité d’une localité, d’une communauté, d’une nation. Enfin, par le langage sportif football, les gens vont projeter l’image de la nation telle qu’ils la souhaitent : «chaleureuse, dynamique et conquérante». De tout ce qui précède, il ressort que les trois éléments communicationnels argent-pouvoir-langage, constitutifs du lien social, laissent transparaître que le phénomène football professionnel algérien créateur de «lien social» n’existe pas, et s’il existe, il existe bien petitement. En Algérie, il est «réellement réel», mais pour les joueurs seulement. C’est un football professionnel ventriloque, qui se parle à lui-même : une simulation, une théâtralité, un spectacle d’illusions. Loin de symboliser un modèle d’organisation et de gestion, un lieu de production basé sur la compétitivité et la productivité avec ses finalités et sa morale, le club de football professionnel algérien est devenu le lieu attitré de toutes les dérives, renforçant ainsi les tensions sociales déjà existantes. Aujourd’hui, il est source de frustration et de crispation et non d’émancipation et de solidarité. N’étant pas transparent, il ne participe nullement à tisser du lien social, à créer de la participation et de la compétence. Manquant tragiquement de sens, d’orientation et de pédagogie, il est perçu comme une structure déconnectée de son environnement : c’est «un simple appareil de colonisation de la vie vécue» (J. Habermas). C’est ainsi que l’élément communicationnel «argent» montre sa fragilité et sa perméabilité aux influences des ressources maffieuses. On dépense dans le club de football professionnel algérien sans compter, vite et sans contrôle. Dans l’élément communicationnel «pouvoir», la majorité des clubs sont entre les mains de gens qui ne représentent nullement l’élite méritocratique. Le pouvoir n’est pas considéré comme une délégation, une mission confiée à un individu, mais bien comme un patrimoine héréditaire d’un clan. C’est au clan que va la fidélité et non pas à la population sportive. C’est pour cette raison que certains présidents de clubs se conduisent en «César fou». Enfin, l’élément communicationnel «langage», susceptible d’établir une proximité et de faciliter le parler-ensemble, est géré par une presse sportive guerrière, peu formée au sport comme phénomène social et culturel. Les joueurs sont présentés comme des mercenaires de l’«identité» et du «patriotisme» de l’instant, prêts à embrasser un maillot de circonstance selon la loi du plus offrant et à changer de camp à la première occasion. En somme, le club de football professionnel algérien, qui s’offre au regard, n’exprime pas un espace qui rapproche et pacifie une communauté, facilite et nourrit le lien social ; bien au contraire, il apparaît comme une institution laide et brutale où rôdent la violence, la corruption et le tribalisme. C’est un «vague football professionnel », soutenu par une «morale vague». Par la manière dont nous l’organisons et le gérons, il reflète le type de communauté que nous formons.
L. B.


Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/23/article.php?sid=137022&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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