Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
L’assertion est suffisamment grave en termes de convenances et cependant elle alimente la rumeur et ponctue toutes les discussions. Au-delà des débats entre ratiocineurs, elle parvient quand même à mettre d’accord ces derniers au sujet de l’origine unique du malaise national. C’est ainsi que sur le «cas» du président de la République, les avis s’accordent. Effectivement, les principales critiques convergent toutes vers le sommet de l’Etat où, au fil des mois, une sorte de vacance rampante contribue à donner la détestable impression que le pays s’achemine vers une dangereuse ingouvernabilité.
Et comme les inquiétudes collectives s’alimentent essentiellement du mutisme officiel et de la paralysie des institutions, le retour de la trêve ramadanesque en aggravera certainement la situation. De fait, elle est déjà interprétée dans l’opinion comme une aubaine pour Bouteflika afin qu’il puisse faire jouer des prolongations à un statu quo qu’il impose à l’Etat depuis 70 jours. L’addition des reproches qui lui sont imputés n’est évidemment pas imaginaire. Car pour avoir décidé que la parole officielle, dont il est l’unique dépositaire, serait, en toutes circonstances, rare puis qu’il veuille ignorer le formalisme constitutionnel qui l’oblige à renouveler la confiance dans un gouvernement ou, au contraire à le remanier après une législature, ne sont certainement pas des marques de respect pour la plus haute fonction élective. Une année entière sépare les deux seuls moments où il consentit à monter en première ligne. D’abord en avril 2011, quand au plus fort des révoltes arabes, il craignit la contagion, ensuite le 8 mai 2012, quand il s’invita, hors délai d’ailleurs, dans la campagne des législatives, déjà close, de peur que l’abstention ne se transformât en indice de boycott. Depuis, le mépris souverain a repris ses droits dans sa relation avec le pays. L’occasion, pourtant rarissime, de la célébration du demi-siècle de la nation ne lui a précisément inspiré qu’indifférence au point qu’il n’estima guère nécessaire de mettre de la majesté dans cette date en s’adressant à la nation. C’est donc à partir d’un tel état des lieux de cet olympe du pouvoir que toutes les interrogations s’invitent tout aussi bien chez les commentateurs de presse que dans les cercles de la nomenklatura politique. «Pourquoi le président tarde-t-il ainsi, quant à la nomination d’un cabinet gouvernemental sans intérimaire ?» ; «Que vise-t-il comme gain politique en entretenant le flou sur le contenu de son agenda» ; «Pourquoi est-il personnellement réfractaire à certaines obligations de ses fonctions quand lui-même laisse entendre que l’après-Bouteflika commencera en avril 2014 ?». C’est approximativement à ce genre de questionnaire, qui recourt à la conjecture comme mode de décryptage, que les observateurs en sont réduits. Sans doute que toutes ces énigmes politiques ne sont pas véritables et que la réalité qui leur a donné naissance est tout simplement humaine. C’est à peu près ainsi que l’Algérien de base, celui qui prend son «petit noir» au café du quartier en taillant une bavette, s’imagine son président. «Il est dans une grande fatigue et ça se “voit” puisqu’on ne le “voit que rarement”», dit-il avec certitude. Et s’il n’avait pas tort en évoquant pudiquement l’usure qui le prive désormais du tonus de ses débats ? Or, un président malade est toujours un tabou élevé au rang de secret d’Etat. La fonction, dans ce domaine primant sur les capacités de l’homme, celui-ci devient virtuel pour les besoins de la cause. Mais l’hypothèse, vérifiée parfois ailleurs, ne résiste pas aux faits et à leur chronologie s’agissant du nôtre. En effet, il sera difficile, dans le futur, d’évoquer Bouteflika en termes de «président du devoir». Ambitieux à l’appétit de puissance inassouvie, a-t-il un instant hésité, pour ce motif justement, avant de triturer la Constitution et se donner un 3e mandat en 2009 alors que ses problèmes de santé étaient déjà là en 2005 ? Tel qu’en lui-même le président, septuagénaire, qui depuis 12 années gouverne l’Algérie, ne diffère guère de celui qui dès ses début, en 1999, affichait de la morgue aussi bien à l’égard de ceux qu’il a choisis que de ceux qui lui ont fait la courte échelle pour réussir son ascension. Le «je ne veux pas être un trois quart de président» était sa première sommation aux militaires dont les dommages collatéraux se traduisirent en désinvolture républicaine. En effet, ne mit-il pas 8 mois avant de former le premier gouvernement de son premier mandat ? Un record dont nul ne souhaite qu’il soit battu cette fois-ci. Au cours d’une mandature presque résiduelle (18 mois nous séparent de la succession), succession), il n’est jamais rassurant de constater le lent délitement du rapport de l’Etat et des administrés. La suspicion de ces derniers n’est sûrement pas un fantasme inventé de toutes pièces par les commentateurs en mal de copie. Preuve en est que le président en a fait implicitement son repoussoir intime au point de mettre un embargo sur sa communication directe. Reste hélas que même ses actes ne viennent plus suppléer la parole rare. Or, la double défaillance d’un président devient un problème national. Et Bouteflika en est désormais un pour l’Algérie.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/21/article.php?sid=136937&cid=8
23 juillet 2012
Boubakeur Hamidechi