Question de fond : où se situe ce temps merveilleux et utopique pendant lequel on était tous salafistes, djihadistes ou islamistes ? On ne sait pas. Avant, il y avait nos grands-pères qui étaient musulmans séculaires ou pas musulmans, selon leur choix ou les époques. Avant, dans les livres, il y avait des califes qui tuaient les gens et colonisaient le reste du monde. D’autres qui étaient des gens bien et qui étaient tués par leurs fils, frères, amis, ou autres selon le mode d’élections chez eux. Jusqu’aux Omeyyades qui se tuaient entre eux pour le pouvoir, la chaise, le banc, le verset ou la femme perse et le butin. Et avant ? Les Omeyyades avaient tué les fils de Ali qui avait été lui aussi tué. Il avait hérité de l’Etat naissant de Othmane qui avait été tué. Héritier de Omar qui avait tué. Ne reste donc que les vingt premières années mythologiques de l’Islam pour caser un peu le mythe d’une utopie religieuse. Et là, il y a encore des problèmes d’interprétations. Car depuis toujours on veut confondre la religion avec son histoire terrestre et l’islam avec l’arabité et les frasques d’empire et d’épée avec la théologie intime de chacun. Et donc au lieu de creuser le sens d’une religion, on finit par transformer son histoire en bandes dessinés pour écoles coraniques et produire des hallucinés.
Donc, remonter vers où et pourquoi remonter le temps quand il faut les descendre ? Pourquoi aller de la climatisation moderne, au Sahara imaginaire d’autrefois ? Pourquoi vouloir forcer les gens à prendre un bus qui va en marche arrière puis les forcer à descendre pour prendre le chameau toujours en marche arrière ? Pourquoi cette obsession de l’an Zéro ?
D’ailleurs d’où vient cet utopisme du passé chez les religieux ? De la peur de l’avenir et de l’impossibilité d’admettre le présent. Parce qu’on ne peut pas assumer sa vie, on se fait « doubler » par son ancêtre réel ou supposé. Le verset ou la fatwa. Le souci numéro un du religieux est donc le temps pur. Celui que ne doit pas troubler la femme, la sexualité, l’argent, la rouille, l’Autre, la géographie et la raison. L’islamiste est un être qui refuse le temps, c’est-à-dire l’Etre et le Monde. C’est un être qui ne veut pas vivre et ne veut pas que les autres prouvent que la vie existe sur terre. Il veut le « Rien ». Vers l’arrière, sous forme de nostalgie meurtrière. Vers l’avant sous forme de désir de mort et de meurtre.
Le but est le paradis officiellement : celui qui été quitté à cause d’une pomme. Celui que l’on peut rejoindre en perdant la vie. Mais cela n’est pas possible comme on le sait tous : un islamiste, un djihadiste, un salafiste ou un hypocrite utilise toujours le dentifrice, le téléphone portable, la télécommande et Youtube pour sa fatwa ou son attentat. Il est donc coincé entre le confort moderne qu’il ne peut zapper et les temps purs mais sans électricité qu’il ne peut restaurer sans tuer. D’où cette démarche de serpent enroulé sur larbre du monde: rendant licite ce que l’on veut et illicite ce qui dérange et incommode. Vivre mal et se promettre la vie par la mort. Tuer en voulant « sauver » et détruire pour mieux « purifier ». Le but et donc d’arrêter le temps, ce qui veut dire tuer la vie et les vivants.
L’Islamistan est une fuite devant le Temps. Par le meurtre et le mythe. Incompatible avec la Vie et inapte à la modération.
22 juillet 2012
Kamel Daoud