Mercredi, 13 Juin 2012 09:50
Noir et blanc
Le fusil et le haïk symbolisaient à mon époque l’essence même de la rejla. On considérait dans les Hauts-Plateaux, en effet, qu’un homme sans son arme n’était pas un homme et qu’une femme sans haïk n’était pas digne d’un homme, et qu’un homme sans fusil, sans femme et sans cheval n’était rien et même trois fois rien. Ces codes d’un autre âge ont disparu bien sûr, pour ne laisser place qu’à un vague souvenir au parfum suranné. Aujourd’hui, le haïk fait carrément folklore, le fusil rouillé du grand père est utilisé comme décor et le cheval fait impitoyablement ringard, dépassé, périmé et dans le meilleur des cas décalé. Et pourtant le brave étalon a connu des jours meilleurs. Il a été habillé en son temps de selles harnachées d’or, bichonné par des palefreniers de rois. Il a été monté par des princes ommeyades, des vizirs abassides, des sultanes, des courtisans, des Pharaons. Il a porté les cavaliers de l’Islam très loin et leur bannière très haut, il a porté les hommes de l’Émir, les combattants d’El-Mokrani et de Bouamama. Il a labouré la terre des Beni Ameur et tiré le carrosse de leurs épouses quand elles revenaient du bain. Pour le plaisir des roitelets du Golfe, il court dans les hippodromes du monde entier aussi vite que le vent et aussi rapide que leurs faucons. Chez nous, la pauvre bête continue de tirer les charrettes des zaoualis. Chassée comme une pestiférée par des municipalités soucieuses de leur image et de leur environnement, elle a fini par disparaitre totalement du paysage urbain. Ou presque, puisque certaines boucheries chevalines la servent sans brancher en steak et en viande hachée.
16 juin 2012
M. MOHAMMEDI