Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Avant même que les candidats et les appareils qui les ont sélectionnés n’entrent en scène, le chef de l’Etat a, cette fois, décidé de payer de sa personne en tenant un meeting de pré-campagne contre l’absentéisme chronique que son pouvoir redoute, bien plus que par le passé. Les observateurs qualifiés qui s’attendaient, sans trop y croire par ailleurs, à ce qu’il s’astreigne au travail de sensibilisation, l’ont découvert enfin dans le rôle de VRP en déplacement à Arzew.
C’est que, hormis les exigences qu’impose la réussite d’un référendum ou les impératifs de sa propre réélection, Bouteflika ne s’est jamais distingué par son goût pour les besognes subalternes. Aussi bien lors des législatives de 2002 que celles de 2007, il n’avait pas laissé le souvenir d’une pareille inquiétude sur le sujet. Pourtant, c’est pour les mêmes motifs politiques que l’électeur s’était systématiquement dérobé à l’acte de voter. Or, cela n’avait pas empêché le régime de légitimer, par d’autres procédés évidemment, de nouvelles chambres ou de changer d’édiles dans les communes. Signe des temps qui changent, il semble qu’une certaine désinvolture éthique, dont le pouvoir n’a eu de cesse de faire preuve, touche à sa fin. Non pas à la suite de quelques examens de conscience mais simplement sous le diktat de la réalité. Mis en péril de toutes parts, il feint de dépasser les contradictions, consubstantielles à la nature des hommes qui le composent et à la matrice qui les a enfantés, en changeant superficiellement l’arsenal juridique du passé mais en ne variant pas d’un iota au sujet de l’origine de la légitimité qu’il incarne. Qualifiant, à partir d’Arzew, le scrutin du 10 mai «d’élection de rupture, c’est-à-dire de passage d’une époque à une autre», Bouteflika n’entend dire rien d’autre qu’il sera seulement question de méthode. Et même s’il ajoute sur le ton de la gravité que ce rendez- vous sera aussi «important que le 1er Novembre 1954» (rien que ça !), il se veut implicitement le précurseur et l’architecte de la révolution démocratique à venir. Sans doute qu’en martelant ces formules, il s’adresse moins à l’électeur de base qu’à la nomenklatura et aux puissants lobbies présents, à travers leurs réseaux, dans toutes les institutions de l’Etat. Mais cela aura-t-il de l’effet, en termes d’adhésion, sur la stratégie qu’il compte appliquer d’ici à 2014 ? Rien n’est plus incertain tant qu’il demeurera vague, voire secret sur les intentions qu’on lui prête et qu’il ne modifiera pas, de sa propre volonté, l’ensemble des rapports politiques sur lesquels il s’était jusque-là appuyé. En effet, lorsqu’au cours du même meeting, il évoquait le contexte international global et insistait sur le fait que l’Algérie est désormais scrutée à la loupe, pourquoi a-t-il usé d’un pudique euphémisme s’agissant de la «crédibilité» ? Car au lieu de dire simplement qu’il y allait de la crédibilité de son régime exclusivement, pourquoi a-t-il préféré la périphrase en se cachant derrière le vocable générique de «pays» ? Impliquer la responsabilité collective de la nation, à travers son corps électoral et lui en imputer la probabilité de l’échec futur n’est-il pas en soi la manière la plus déloyale pour un pouvoir de se dédouaner à bon compte de ses propres bilans ? De plus, pourquoi la promesse d’un bon virage serait-elle spécialement indexée sur la seule rénovation de l’appareil législatif, quand bien même le pouvoir s’engagerait à faire de la chambre future une «constituante» de fait ? À toutes ces questions se rajoute fatalement ce pourquoi le président de la République a opté, dès le 15 avril 2011, pour une procédure douteuse qui a abouti à la promulgation des lois organiques en l’absence d’une nouvelle clé de voûte que serait la prochaine Constitution ? Après avoir «enfumé» l’idée de réformes en procédant de la sorte, Bouteflika vient de prendre son bâton de pèlerin pour jouer sur l’affect populaire en agitant le chiffon rouge de l’effondrement de l’État si par malheur l’on oublierait de voter. Comme il se doit, le président se dédouble en prédicateur de tribune en déclinant toutes les bonnes raisons de ne pas boycotter. A nouveau, le catalogue des garanties sera récité comme un leitmotiv. Sauf qu’à force d’insister sur la «transparence», la «neutralité de l’administration» et la «loyauté» des résultats finaux, il risque de ranimer les soupçons du passé ! Tant il est vrai qu’en politique, à force de faire de fausses amendes honorables, l’on recueille en retour moins d’adhésions que de procès d’intention. Comme il est clair que le chef de l’État s’engage dans un challenge décisif, pourquoi donc choisit-il de faire abstraction de tous les rendez-vous ratés au cours de son triple mandat ? Psychologiquement, cela aurait amélioré son image mais surtout tonifié son «appel». A Arzew, il s’est contenté de quelques allusions lyriques du genre : «L’avenir est une responsabilité collective.» Certes oui, mais le passé lorsqu’il est enfoui sous le tapis n’appartient-il pas au seul pouvoir ?
B. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/02/25/article.php?sid=130713&cid=8
25 février 2012
Chroniques