Ce dernier cas de figure touche plus particulièrement les vieux États industriels ayant atteint un stade de perfectionnisme très avancé. En effet, la systématisation des circuits sociaux, le rationalisme débridé, la mise sur orbite de la conscience sociale et les travers pervers de la société de consommation n’ont en vérité fait que diluer l’identité des peuples dans les chimères de la mondialisation-laminoir. Celle-ci, via l’idéologie du libéralisme sauvage, aurait effacé les frontières physiques entre les nations mais en a hélas imposé d’autres de cristal ou pour mieux identifier l’image au lecteur, construit des «murs transparents» entre les peuples et les ethnies du monde. Certes, le jeu perfide «des identités hégémoniques» aurait donné par ricochet le là à une standardisation culturelle des modèles d’évolution technologique, scientifique et même «philosophique», jugés plus performants, plus pertinents et en parfaite corrélation avec l’ère des temps et qui s’est avéré (la standardisation) de loin et à terme porteuse de certains bienfaits (tentative de rééquilibrage des disparités intercontinentales Afrique/ Europe et sphériques Sud/Nord), mais il n’en reste pas moins qu’elle ait débouché sur un raz de marée de manipulations de tout ordre (références implicites ou explicites à la suprématie de la civilisation occidentale sur le reste des cultures planétaires au nom de l’idéologie «raciste» des chocs de civilisations). Rien d’étonnant donc à ce que l’hyperpuissance américaine qui a, de par son passé aux relents impérialistes et son présent à rebondissements sauvages, asservi les Noirs et les Indiens, redécouvre comme par enchantement les vertus de la défense des droits de l’homme sur le dos des peuples du Tiers Monde. Le plan du Grand Moyen Orient (G.M.O) qui a vu la lumière sous la férule de l’administration Bush en 2003 et qui vise notamment la promotion de la condition féminine dans le Monde Arabe comme si c’était le seul handicap dont souffre la région en est l’affligeant exemple, l’identité des nations a été sabotée (l’Irak, l’Afghanistan, la Palestine.etc) et l’entité ainsi que la symbiose des ethnies (les tibétains, les kurdes, les tchétchènes) déchiquetée et écrasée en fonction de l’équilibre des forces des géants de ce monde (U.S.A, Chine, Russie) et sous le prisme de la vision binaire et manichéenne des faucons de la Maison Blanche «l’axe du bien et du mal». Comble d’ironie, même les masses dans les pays occidentaux n’en sont pas moins ménagées, la précarisation du marché du travail par «les oligarchies financières», ces dictatures à visage humaniste et le rétrécissement du champ des perspectives a rétamé l’identité du citoyen, les vices et le poison du capitalisme ont commencé à fendre les artères des nations. Ainsi la Grèce, naguère terre des civilisations et de culture, se retrouve-t-elle au jour d’aujourd’hui face à une banqueroute financière, un vacillement de sa souveraineté et pour forcer encore la note, en collision avec le cauchemar de sa propre disparition. Autrement dit, elle est en perte de «son identité existentielle». Si l’identité de l’individu se résume à un nom, un prénom, une parenté précise et une ascendance avérée, l’identité des nations est on ne peut plus question de souveraineté. Culture et identité en société équivaudrait inéluctablement à diplomatie et souveraineté en politique. Ce parallélisme macro-sociétal n’en diffère pas moins sur le plan individuel car «quand tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens» dirait le proverbe africain, la route vers la connaissance de l’autre commence par «une exploration ontologique» des profonds abysses de soi, le principe de «connais-toi toi-même» du philosophe Socrate (469-399 AV J.C) devrait être mis à jour. Mais pour simplifier les concepts, l’identité suit dans son processus évolutif les mêmes étapes que l’individu, elle naît, se développe, devient mûre, vieillit et meurt. D’où l’apparition et la résurgence des mêmes symptômes maladifs qui l’atteignent autant que l’individu, elle n’est pas du tout une forteresse imprenable ni un ghetto de repli hautement sécurisé d’autant plus qu’elle ressent en ses soubassements toutes les secousses qui déstabilisent en amont l’ordre social et de façon particulière, la culture. Laquelle, encore faudrait-il le mettre en exergue ici, est le ciment de la société dont l’agencement et l’interaction faits essentiellement d’éléments hétéroclites ne sont jamais figés. En ce sens, l’identité est un processus et non plus une essence vu qu’elle se réorganise sans cesse et au fur et à mesure du contact des autres cultures et civilisations, elle acquiert de la sorte une plus grande souplesse, une malléabilité et une plus grande liberté dans ses va-et-vient et ses navettes fructifères entre la culture et la société. Néanmoins, l’identité peut tomber dans le piège de la surenchère nationaliste et des délires xénophobes dès que des idées extrémistes l’emportent sur le sens de la rationalité et de l’esprit cartésien. Les partis d’extrême droite européens représentent à s’y méprendre cette aile conservatrice du diptyque judéo-chrétien, la notion du sang et de race, propre à l’idéologie nazie, véhiculée par le national-socialisme hitlérien et théorisée principalement par Arthur de Gobineau (1816-1882) a largement pris le dessus durant la seconde Guerre Mondiale (1939-1945) sur le concept du droit de terre, conception purement laïque portée dans les prémices démocratiques de la révolution française de 1789.
Dans cette perspective, l’identité devient «une culture réactionnaire», sinon un bunker aliénant de «la civilisation-centre» (pays du Nord) par rapport aux «cultures périphériques» (pays du Sud). Ce qui la rend rachitique, indigente et engoncée dans ses plus barbares archaïsmes, la frontière symbolique de la langue se transforme ainsi en véritable source de distanciation psychologique. Dans la foulée, une hiérarchie des civilisations aurait été conçue dans les esprits étriqués des fanatiques fascistes et nazis comme une panacée universelle à cette résistance des peuples face à l’esclavagisme, la traite négrière, le colonialisme et l’exploitation de l’être l’humain par son semblable. Ironie du sort, la race, le sang et même la couleur de la peau des individus furent des années et des décennies durant le point de convergence de tous les exclusivismes planétaires. Ainsi l’instrumentalisation idéologique des différences identitaires a-t-elle érigé les pourvoyeurs des fanatismes en détenteurs exclusifs du droit de vie et de mort sur «les minorités du silence», jugées comme parias de la civilisation. Dans l’autre versant, l’on remarque le surgissement des idéologies identitaires progressistes, Ernesto «Che» Guevara (1928-1967) fut incontestablement l’une des figures de proue et l’un des rares promoteurs de l’idée d’autonomie des peuples et de l’identité authentique de toute l’Amérique Latine face à l’expansionnisme territorial de l’Oncle Sam. Pour cela, il reste un mythe qui ne s’efface jamais des mémoires en raison de son engagement au côté de tous les déshérités. En 1951, poussé par son ami Alberto Ganado à l’aventure, il aurait osé parcourir à 23 ans et pendant sept mois presque tout le continent américain (12 pays) sur une motocyclette de fortune. Ce fut le voyage de la vie qui aurait fait découvrir au médecin «bourgeois», désormais révolutionnaire de tous les temps, l’identité réelle de son continent et qui lui a démontré par-dessus tout que l’humanité n’a plus de frontières ni encore moins de limites fixes et qu’elle est un champ de revendication d’existence et d’altérité. De son Argentine natale jusqu’à la mer des Caraïbes, la trajectoire du «Che» fut plus qu’un ressourcement dans les fonts baptismaux de son être, des interrogations en ont découlé et son identité s’est transformé dans le sillage du révolutionnaire algéro-martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) et du cubain José Marti (1853-1895) en un choix de vie. De Valparaiso, la plus grande ville du Chili, aux fresques de Machu Picchu, l’ancienne cité des Incas, à la forêt amazonienne et du lac Titicaca, qui relie la Bolivie au Pérou, le médecin argentin a côtoyé les riches, les pauvres, les curés, les athées, les indiens et autochtones, ce qui l’a réconforté dans ses certitudes d’une Amérique latine pour les Latinos. C’est pourquoi, quelques années plus tard, il aurait porté en bandoulière sur sa conscience l’idéal de la résistance anti-impérialiste et pris le pari de combattre au nom de l’humaine condition même en terre africaine (le Congo) ces barbares des nouveaux temps, pilleurs des pays et destructeurs des civilisations de surcroît. L’identité personnelle du héros argentin s’est en fait affirmée à la rencontre de l’identité réelle de tous les peuples «latinos» que les «conquistadores» impérialistes auraient tenté auparavant au XVI et XVII de briser, de diviser et d’effacer à jamais de l’existence. De même, la personnalité charismatique du vénézuélien Hugo Chavez demeure, en dehors de tous les clichés et stéréotypes que lui collent au jour d’aujourd’hui «les yankees», un vrai modèle de revendication identitaire de l’entité latine. Féru de l’épopée indépendantiste et fédératrice de Simon Bolivar (1783-1830) et de ses tentatives de réunification des pays aussi divers les uns des autres géographiquement (Colombie, Équateur, Bolivie et Venezuela) mais en parfaite symbiose historique et culturelle, il aurait en vain voulu ressusciter le mythe vivant de Guevara et du grand «Unificador» Bolivar. Parfois, les peuples parent leur identité des oripeaux du mythe afin de pouvoir la vivre pleinement et permettre au destin des générations futures de se construire sur les déconfitures de leurs prédécesseurs. Raison pour laquelle en Amérique Latine même, les deux leçons historiques du coup d’État fomenté en 1973 par les américains contre le leader socialiste Salvador Allende (19081973) et la Guerre des Malouines en 1982 qui fut un désastre pour les troupes de la junte militaire de Buenos aires, sont inscrites dans l’inconscient collectif des populations. C’est peut-être en raison de tout cela que l’on trouve cette symétrie imaginative et ce parallélisme historique entre le Maghreb, terre de résistance à l’occupation et au colonialisme et l’Amérique Latine, berceau et fief de la lutte anti-impérialiste contre l’hyperpuissance du Nord. En fait, la figure héroïque de la résistance algérienne Lalla Fatma N’soumer (1830-1863), cette «Jeanne d’Arc de Kabylie» comme l’aurait nommé le général Randon et cette digne descendante de la Kahina, fut à n’en point douter et concomitamment, le symbole de l’identité millénaire, le relais nécessaire à la disparition du combattant Boubaghla en basse kabylie, et l’icône aussi bien de la féminité que de la paix en terre maghrébine si «l’homme a inventé la guerre, la femme a inventé la résistance» aurait lâché sur la bouche de l’un de ses personnages l’écrivain Yasmina Khadra dans son roman «l’attentat». En vérité, la pacification tardive de la Kabylie en 1857 est due principalement à la grande mobilisation de cette femme, sa sagacité et son mépris de la difficulté. Ce n’est pas par hasard que son identité subjective en tant que femme s’est vu mélanger sur fond de contestation au colonialisme et aux envahisseurs à la destinée de son peuple. C’est pourquoi, elle aurait refusé toute soumission à l’ordre masculin quel qu’il soit en gardant «sa condition de pucelle» comme marque de bravoure et de dévouement à la mère-patrie: l’Algérie de toutes les souffrances. C’est un fait incontestable, la femme algérienne fut le pilier de toute la société, son identité et son honneur même, les dures années de la lutte d’indépendance et la guerre civile de la fin du siècle dernier ont confirmé la véracité de ces données, Ben Bouali, Bouhired, Zohra Drif Bitat, Louisette Ighil Ahriz et d’autres furent parmi ces nombreuses femmes qui ont pris l’élan identitaire de la nation comme unique souffle à leur vie.
Par ailleurs, la mémoire tient une place importante dans «le puzzle identitaire», l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899-1986), cet éternel nobélisable qui ne le fut jamais réellement, aurait retracé dans ses différents écrits, notamment son ouvrage philosophique «les fictions», le destin de cette mémoire latine qui bafouille, son personnage «Funès» fut effacé par le cyclone de l’amnésie. Incapable de distinction entre les phénomènes, il est contraint à une abstraction tronquée de sa vie, le flou de son identité fut la source de sa perte. Borges a su également redonner relief et sens à la culture et à l’identité des «Gauchos», ces aborigènes de las pampas de l’intérieur du pays, qui à l’instar des «stolen generations», les descendants des aborigènes d’Australie, furent oubliés et reniés par les nouveaux maîtres du pays. En plus, le métissage extraordinaire dont la capitale argentine fut le théâtre n’a jamais été négligé par l’auteur pour mettre en évidence la richesse identitaire de son pays. Dans l’autre bout du continent, plus exactement au Pérou, l’écrivain Mario Vargas Llosa, aurait exhumé ses démons identitaire et existentiel dans son roman «la ville et les chiens» en prenant son expérience de jeunesse en tant que cadet à l’une des casernes de Santiago comme le noeud gordien du malaise dont s’est engouffré son pays. Lequel à l’époque ploie sous le joug de la dictature de Manuel Odria (1897-1974). Ainsi pourrait-on dire à cet effet que le drame personnel de l’auteur a sciemment été mis à contribution pour exprimer l’horreur d’une identité nationale en déliquescence. L’homme moderne est aliéné, isolé et «décosmisé». Mais sous couvert de désespoir sobre et de lucidité douloureuse, les détrompés du système essaient de le sauver de sa noyade alors que tout autour de lui, la réalité est à la fois saturée et verrouillée par les parasites médiatiques, son identité est dévorée par ce python du «fast» et du «speed».
Le monde n’a plus du temps ni pour la réflexion ni moins encore pour la méditation, il est devenu abscons et intolérable tandis que la publicité aurait fait des ravages dans aussi bien les tempéraments que les comportements des consommateurs. A côté de ces sociétés «préorganiques», et traditionalistes entamées par le virus de la répétition et de la routine et qui de surcroît, croulent sous le fatras d’un sous-développement structurel chronique, se dressent des sociétés hystériques, suicidaires et comble de malheur indifférentes au sort d’une humanité en souffrance au moment même où elles sont gavées dans l’opulence. Il est important de signaler en dernier ressort que la conception de l’identité a changé ses contours ces dernières années d’autant plus le destin d’un peuple ou d’une nation ne peut se concevoir isolément comme séparé de ce qui l’environne, globalisation oblige. Amin Maalouf dans son ouvrage «les identités meurtrières» aurait justement analysé son propre destin de «chrétienarabe» au travers d’un ensemble de portraits allant du «maghrébin beur» et de l’arménien «intégré» en France au Yougoslave en sempiternelle quête identitaire car déraciné par la guerre civile en passant par le turc en perte de repères aux pays germaniques pour culminer à la conclusion que cette «panthère» nommée «identité» ne s’apprivoise plus jamais. Ainsi compare-t-il son parcours personnel à celui de son Liban natal, déchiré par plus de 15 de guerre intestine (1975-1990), engageant des factions religieuses de tous bords et abords. Il est un fait irrévocable, l’individu n’est guère libre ni indépendant car il est partout dans les chaînes, attaché à sa nation-matrice «les cultures dirait l’anthropologue français Jean-Loupe Anselle dans son ouvrage «logiques métisses», ne sont pas situées les unes à côté des autres comme des monades leibnitziennes sans porte ni fenêtre, elles prennent place dans un ensemble mouvant qui est lui-même un champ structuré de relations». C’est immanquablement dans cette logique que l’on remarque la nostalgie des descendants des algériens déportés à Cayenne pour l’Algérie après plus d’un siècle et demi de leur exil forcé par le colonialisme français suite à l’échec de la révolte des cheikhs Al-Mokrani et Al-Haddad en 1871. Il va de soi que la destinée de la terre ancestrale, nos destins individuels ou nationaux s’inscrivent dans le destin commun de l’humanité, la douleur de la perte des origines signifie en vérité l’amour de nous-mêmes et notre ouverture à l’autre, l’identité se conçoit alors comme un échange fructueux et la culture des murs disparaît dans la foulée à la faveur de ce que le philosophe français Gilles Delleuze (1925-1995) appelle «la philosophie de la différence».
*Universitaire
23 février 2012
Contributions